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Les pionniers de Bourgogne

Publié le 1 janvier 2005
Par Claire Bouquigny
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Après trois ans de préparation, le CFA régional de la pharmacie de Talant, en Bourgogne, a débuté l’an dernier un programme de formation au BP à distance par ordinateur.

Châlon-sur-Saône (Saône-et-Loire), une petite rue du centre ville, quelques marches, une porte vitrée, une salle informatique où s’alignent une dizaine d’ordinateurs. C’est à l’IFPA, Institut de formation et de promotion des adultes, que travaillent Suzy Richard et Julien Godereaux, élèves en deuxième année de BP, pratiquent la formation à distance (ou « e-learning », selon le terme anglais consacré). À 70 km du CFA de Talant, situé dans la banlieue nord-ouest de Dijon (Côte-d’Or). Ils font partie des 60 élèves du CFA de Talant (sur 230 inscrits) à tester l’efficacité du système de Formation ouverte assistée à distance (FOAD) par ordinateur mis au point par les enseignants. En d’autres termes, une partie de l’enseignement leur est dispensée sur écran d’ordinateur, soit 70 heures, l’équivalent de deux semaines de cours sur l’année.

Vingt points-relais locaux.

L’IFPA de Châlon est l’un des vingt points-relais locaux qui constituent la trame du réseau informatique du projet et qui sont répartis sur les quatre départements de la région Bourgogne : la Côte d’Or, l’Yonne, la Nièvre et la Saône et Loire. Le CFA a passé convention avec des organismes (centres de formation continue, centres informatiques, lycée professionnels, autres CFA) qui mettent des salles informatiques à disposition. « Les élèves se trouvent à 20 minutes maximum de voiture du point-relais le plus proche de leur officine ou de leur domicile. Certains n’ont même qu’à aller au coin de la rue. Nous cherchons à augmenter le nombre des points-relais afin d’améliorer le maillage du territoire, explique Dominique Foulon, chargé de mission au CFA. Les élèves y sont reçus individuellement, ils sont encadrés par des référents qui nous contactent en cas de problèmes. » La présence permanente d’une ou de plusieurs personnes est nécessaire pour accueillir les élèves, les aider en cas de problème technique ou autre et s’assurer qu’ils sont bien en formation aux heures dites en tamponnant leur feuille d’émargement. Aujourd’hui, il n’est pas envisageable que la formation se fasse depuis l’officine car, réglementairement, les apprentis doivent suivre leurs cours au sein d’un organisme de formation. En pratique, il est à craindre aussi que les élèves soient en permanence dérangés pendant leur temps de formation pour aller servir les clients. La répartition régionale des points-relais fait partie intégrante du projet de e-learning car « il aide au maintien d’une vie au niveau local en permettant aux jeunes de rester ancrés dans les petites villes et les villages. C’est donc une même logique d’aménagement du territoire qui a amené la Fédération régionale des syndicats pharmaceutiques de Bourgogne Franche-Comté et le Conseil régional de Bourgogne à soutenir ce projet », commente Gilles Sauvage, président-délégué de la Fédération. Et puis, « les élèves de BP sont surtout des femmes et nombre d’entre elles ont des jeunes enfants. Cette pratique leur permet de rester plus proche de leur famille », ajoute Dominique Foulon. Le e-learning permet aussi d’éviter des temps de trajet comme le remarque Suzy : « C’est moins de fatigue de venir ici que d’aller à Talant, et ça permet de couper la semaine de travail. » Avec un bémol toutefois, c’est que « le calme n’y règne pas toujours, regrette Dominique Cottin, en deuxième année de BP qui travaille lui aussi au point-relais de Châlon. Il y a beaucoup de monde qui passe et qui discute et c’est difficile de se concentrer. » Un avis partagé par Lucie Auclerc qui se rend, elle, au point-relais du Creusot (Saône-et-Loire, 90 km du CFA). Pour le titulaire, la situation est avantageuse car, en cas d’absence d’un salarié, l’apprenti peut déplacer son rendez-vous à l’IFPA, ce qui réduit les problèmes d’absentéisme.

Seul devant l’ordinateur, mais contrôlé

Aujourd’hui, Suzy planche sur l’apprentissage du système nerveux, Julien, lui, s’est attelé aux cours de chimie. « On avait tous laissé la chimie de côté, explique-t-il. Du coup, l’enseignante nous a envoyé un SOS par mail : “Alerte, n’attendez pas le dernier moment pour faire la chimie”. Alors je m’y suis mis. » Car si les élèves sont apparemment seuls devant leur ordinateur, ils ne sont pas du tout livrés à eux-mêmes. À Talant, les enseignants sont aussi devant des postes informatiques pour des séances de tutorat. « J’affiche les noms des élèves, je regarde combien de temps ils ont passé sur chacun des modules de formation, note Guylaine Drut-Grévoz, pharmacienne, enseignante et coordinatrice du projet de e-learning. S’ils n’y passent que quelques secondes, c’est qu’ils ont simplement fait une impression. S’il s’agit de trois minutes, ils lisent le cours mais ne peuvent pas l’avoir assimilé. Or, je veux voir leur raisonnement, sentir qu’ils ont bien compris et assimilé les notions enseignées et pour cela, il faut qu’ils y passent au moins 10 ou 15 minutes. » Les enseignants constatent aussi le niveau des évaluations effectuées en fin de chaque apprentissage, exactement comme ils relèveraient des copies à l’issue d’un cours pour noter les acquis de chacun. Ils peuvent envoyer des mails individuellement ou à tout le monde, féliciter ou alerter. Guylaine Drut-Grévoz a d’ailleurs mis en garde les élèves. La formation à distance implique autant d’investissement de la part de l’élève qu’un cours traditionnel. « Je vois tout ce que vous faites, leur a-t-elle dit, comme si, en salle de cours, je jetais un coup d’œil derrière votre épaule. » S’ils butent sur un cours, les élèves ont la possibilité de contacter les enseignants de deux manières. Ou ils envoient un mail, c’est le tutorat asynchrone. Ou ils posent leurs questions en direct, c’est le tutorat synchrone. Pour cela, ils ont à disposition une webcam et un micro et doivent se brancher aux heures de permanence des professeurs. L’enseignant peut alors expliquer de vive voix le cours à l’élève à l’aide du casque audio et de la souris que l’élève voit bouger sur son écran. Et Dominique de témoigner : « J’ai pu parler en direct avec l’enseignant. J’étais un peu décontenancé au début mais c’était agréable de pouvoir pointer la question posée et d’exposer oralement un problème qu’il aurait été difficile de décrire par écrit. Mais, à mon sens, il manquait l’écho des autres élèves. »

Le tutorat modifie la relation professeur-élève

Le tutorat synchone qui est pourtant une technique de pointe n’est pas encore très prisée… Sans doute parce qu’elle modifie profondément la relation professeur-élève. L’enseignant doit se mettre à la portée de l’élève, évaluer ce qu’il a compris puis l’accompagner dans sa démarche. L’enseigné doit être actif, apprendre à analyser ses acquis, formuler ses besoins et laisser de côté la timidité naturelle de l’élève. Les élèves ont quatre disciplines à travailler : la chimie, la pharmacologie, la galénique et la botanique. Mais ils peuvent enchaîner les modules dans l’ordre qu’ils souhaitent, à condition qu’ils suivent une certaine logique et qu’ils assimilent tout le programme pendant le temps imparti. Pour Julien, c’est un avantage : « J’ai effectué ma première année de BP au CFA de Paris. Les cours étaient organisés différemment et je connais déjà une partie du programme de la deuxième année, alors que j’ai des lacunes en première année. Ce système me permet de les combler sans problème. » En effet, le e-learning permet d’individualiser les parcours de chacun, de passer rapidement sur les acquis pour passer plus de temps sur les points faibles. Toutefois, « les élèves ne peuvent pas “zapper” des matières, pas plus qu’ils ne sont autorisés à s’absenter des cours. Ils doivent ouvrir chacun des modules et répondre à un questionnaire avant de passer au suivant », commente Olivier Kirsch, directeur du CFA. Certains cours, comme celui sur les dilutions homéopathiques, sont accompagnés d’une vidéo, d’autres sont plus difficiles à assimiler comme la pharmacologie.

Remédiation et cours traditionnels

La formation à distance ne fait pas que remplacer des cours traditionnels en CFA. « Elle libère du temps car chaque élève apprend à son rythme, peut revenir sur ce qu’il n’a pas acquis sans ralentir le travail des autres » s’enthousiasme Olivier Kirsch. Ce temps gagné permet de réunir les élèves au CFA pour effectuer des séances de remédiation au cours desquelles ils restituent ce qu’ils ont appris individuellement à l’aide de la plate-forme informatique. Ils discutent, ils échangent leurs idées et leurs savoirs et participent plus que lors d’un cours traditionnel. Le formateur vérifie alors que les élèves ont bien assimilé les cours, ils réexpliquent les notions qui ont été mal comprises et ils donnent des informations complémentaires. Cependant, Dominique Cottin trouve que : « la remédiation est parfois insuffisante quand il s’agit de matières difficiles comme le système nerveux ou le système immunitaire. Pour les matières plus faciles comme l’homéopathie ou la phytothérapie, par contre, il n’est même pas nécessaire de faire une remédiation. » Lucie Auclerc est du même avis : « l’ordinateur ne remplace pas le professeur, sauf pour certains cours, comme la pharmacologie, qui demande simplement à être appris par cœur. » Les cours traditionnels, (appelés désormais FFP ou face-à-face présentiel !), qui se passent en salle de classe avec un professeur, n’ont pas disparu et concernent les trois-quart du programme. Ils sont irremplaçables quand il s’agit des travaux pratiques, bien sûr, et aussi pour certaines matières qui ne se prêtent pas à la formation à distance tel que le français. La limite du e-learning est surtout de nature technique comme le déplore Lucie Auclerc : « nous sommes plusieurs à avoir eu des problèmes au niveau du matériel, soit parce qu’il manquait une webcam ou un micro, soit que nous ne pouvions pas nous accéder à la plate-forme. » Il est arrivé aussi que des résultats ne soient pas mémorisés, ce qui obligeait l’élève à refaire tout le parcours de formation. Ces problèmes devraient être résolus par le nouvel hébergeur du site qui sauvegarde quotidiennement les données et maintient le serveur en état de marche 24 heures sur 24. Reste à savoir si ces difficultés sont liés à la mise en place du projet ou si elles sont inhérentes à la pratique de l’Internet…

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Examen de passage du BP

Trois ans de travail ont été nécessaires pour parcourir les différents étapes qui ont abouti au projet actuel : ébauche, plan de financement, choix de la plate-forme logicielle proposée par Arkesis System, formation des enseignants et des élèves, montage du réseau de points-relais, sélection du prestataire Réseau Concept pour l’hébergement du serveur. Mais le CFA n’a pas travaillé tout seul. Il a d’abord lancé le projet en collaboration avec le CFA du sport de Bourgogne. Puis, devant l’importance du travail accompli et face à l’ampleur de ce qu’il reste à faire, les deux CFA pionniers ont décidé de créer un Groupement d’intérêt économique pour la formation ouverte et à distance, le GIFOD, afin d’accélérer la production de contenus et de mettre en commun les contenus et les expériences. « Le GIFOD passe des contrats avec les professeurs afin qu’ils créent des cours en suivant une charte commune, explique Dominique Roy, responsable, il gère les droits d’auteur, discute des conditions de contrat avec l’hébergeur, aide à monter des dossiers de FOAD. » Il fédère aujourd’hui cinq CFA, celui de la pharmacie à Talant, du sport à Dijon, de la pharmacie à Troyes, de l’automobile à Mâcon, de la communication et des arts graphiques à Bagnolet et l’ANFPP. Chaque adhérent bénéficie des contenus qui sont déjà sur la plate-forme et s’engage à son tour à concevoir par an 20 heures de cours qui seront mis à la disposition de tous les adhérents. Une telle mutualisation est nécessaire car « installer un système de formation à distance demande beaucoup d’argent et de temps et quand nous nous sommes lancé dans ce projet, nous n’avons pas mesuré l’ampleur du travail à accomplir », explique Olivier Kirsch. En tout état de cause, les CFA de la pharmacie et du sport, forts de leur expérience acquise, ont d’ores et déjà une bonne longueur d’avance sur tous les projets intégrant la formation par Internet, qu’il s’agisse de donner une solution aux problèmes posés par les redoublants ou par l’absentéisme, de remettre à niveau d’anciens préparateurs qui désirent revenir sur le marché du travail, de validation des acquis par l’expérience (VAE) ou de formation continue. Le e-learning devrait dans l’avenir prendre une place indéniable dans la formation. Mais certains élèves tempèrent. « Oui, le e-learning a un avenir, mais il ne faut pas se faire des illusions, on aimerait que tout se passe à distance mais ça n’est toujours qu’un outil. », estime Dominique. Dans quelques mois aura lieu l’ultime épreuve pour ce test grandeur nature avec l’examen de passage du BP en juin pour tous les élèves de deuxième année, qu’ils aient suivi les cours traditionnels ou en FOAD. Le taux de réussite des seconds par rapport aux premiers va donner une indication fondamentale sur la validité des cours à distance suivis par ordinateur.

Repères

Un projet initié par la Fédération des syndicats pharmaceutiques de Bourgogne Franche-Comté

Le projet de e-learning a été lancé le 15 octobre 2000 par la Fédération des syndicats pharmaceutiques de Bourgogne Franche-Comté qui gère le CFA de préparateurs en pharmacie de Talant, situé à proximité de Dijon.

Le CFA de préparateurs en pharmacie et le CFA du sport sont les pionniers du e-learning en Bourgogne

Ces deux CFA ont commencé à élaborer un projet commun il y a trois ans et à tester à la rentrée 2003. Aujourd’hui, les CFA de la pharmacie de Troyes, de l’automobile à Mâcon, de la communication et des arts graphiques à Bagnolet ainsi que l’ANFPP (qui regroupe la plupart des CFA) les rejoignent.

Cofinancement par la Région Bourgogne et le Fonds social européen

Le projet de e-learning demande un investissement financier important : conception et utilisation de la plate-forme, frais d’hébergement par un serveur informatique, création des contenus, achat et entretien du matériel informatique : ordinateurs, imprimantes, casques audio, webcams… Il est cofinancé par le Fonds social européen et par le Conseil régional de Bourgogne.

Une problématique commune : pallier la dispersion géographique et individualiser la formation

Le e-learning permet de résoudre le problème de disparité des niveaux des élèves grâce à l’individualisation des parcours de formation par le biais du tutorat. L’accessibilité à la plate-forme par Internet permet de pallier aux difficultés engendrées par la dispersion géographique des élèves. L’absentéisme est réduit puisque l’élève peut choisir et modifier ses horaires de cours en accord avec son titulaire.

Deux semaines de cours à distance sur un total de douze semaines par an

Les disciplines faisant l’objet de cours en FOAD (Formation ouverte assistée à distance) sont la chimie, la pharmacologie, la galénique et la botanique. Elles correspondent à deux semaines de cours, soit 70 heures, sur un total de 12 semaines de cours annuelles. Les élèves disposent d’un calendrier de cours établi par le CFA qui leur indique les cours à suivre.

Vingt points-relais locaux

Les vingt points-relais locaux sont répartis sur les quatre départements de la région Bourgogne. Ils dépendent de différents organismes tels que l’Institut de formation et de promotion des adultes (IFPA), l’Atelier pédagogique personnalisé (APP), des CFA, des centres informatiques ou des lycées professionnels.

Pédagogie

Le grain remplace le cours

Avant les enseignants préparaient des cours. Maintenant, ils conçoivent des « grains ». En d’autres termes, ils découpent les cours traditionnels en petites unités d’enseignement adaptées à l’écran d’ordinateur. Les grains sont composés d’un cours, d’un résumé du cours, d’un exercice et d’un questionnaire d’évaluation, ils doivent être construits selon un objectif précis prédéterminé, l’élève y passe entre 5 et 10 minutes. « Lorsque l’on conçoit un cours, il faut anticiper les réponses aux questions que vont se poser les élèves afin qu’ils puissent avancer seuls », explique Guylaine Drut-Grévoz, enseignante et coordinatrice du projet de e-learning au CFA de Talant. Après la rédaction, les grains de formation sont soumis à l’approbation d’un comité d’évaluation avant d’être intégrés à la plate-forme.