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Les idées fusent !

Publié le 1 mars 2024
Par Yves Rivoal
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En aidant les futurs titulaires à s’installer, les groupements et les grossistes-répartiteurs disposent, avec leur booster d’apport, d’un canal de recrutement précieux pour attirer de nouveaux adhérents. Mais pas à n’importe quel prix ! Pour obtenir le sésame, le projet du candidat doit être conforme à certains critères d’évaluation. Lesquels ?

Avec la hausse des taux d’intérêt, la capacité d’endettement des acquéreurs s’est réduite, et l’apport personnel exigé par les banques est, lui, plus conséquent. Si bien que les boosters d’apport des groupements, des grossistes-répartiteurs ou de la Caisse d’assurance vieillesse des pharmaciens (CAVP) sont devenus des leviers essentiels dans la chaîne de financement des pharmacies d’officine. D’ailleurs, la plupart s’adressent aux primo-accédants. C’est le cas, par exemple, d’InterPharmaciens, le fonds d’aide de la CAVP. « Depuis sa création en 2019, sa vocation n’a pas changé : il s’agit de favoriser l’achat en toute indépendance de pharmacies par des primo-accédants, quel que soit leur âge et quelle que soit l’officine, sa taille, et sa localisation, souligne Philippe Berthelot, président de la CAVP. Nous sommes persuadés que ce type d’initiatives contribuera à maintenir un maillage officinal qui répond au besoin de la population sur l’ensemble de notre territoire. »

Prêt ou obligations ?

Tous les boosters fonctionnent sensiblement sur le même principe mais avec deux grands modes de financement distincts. La CAVP, l’OCP, la CERP Rouen et Leadersanté ont fait le choix d’accorder des prêts in fine. « Notre booster Pharm Install est un prêt sur huit ans que le pharmacien contracte auprès de l’un de nos quatre partenaires bancaires, confirme Joffrey Blondel, le directeur financement et gestion de l’officine à la CERP Rouen (groupe coopératif Astera). De notre côté, nous nous portons caution pour le compte du titulaire qui, pendant les huit premières années, ne paie que les intérêts. Le remboursement du capital intervient à partir de la neuvième année. »

Certains acteurs comme Giropharm ont, eux, opté pour des contrats obligataires. « Avec notre booster Giroboost, le financement s’effectue via un contrat obligataire sur douze ans, avec des obligations non convertibles afin de préserver l’indépendance du pharmacien, précise Emmanuelle Niess, la responsable du pôle cession installation de Giropharm. Le titulaire commence à rembourser la somme prêtée à partir de la treizième année, lorsque l’emprunt principal a été clôturé. »

En contrepartie, les pharmaciens doivent respecter quelques engagements. « Chez nous, ils doivent réaliser 80 % de leurs achats répartition et génériques auprès de la CERP Rouen pendant les huit années du prêt, et adhérer à l’un de nos groupements partenaires », souligne Joffrey Blondel. Les boosters des groupements imposent, eux, l’adhésion au réseau le temps de la durée du remboursement du prêt principal. « Nos deux prêts participatifs permettent d’apporter une somme d’argent au capital du titulaire, sans que cela ne rentre dans le compte de résultat. C’est une solution saine et avantageuse qui ne remet pas en cause l’indépendance des pharmaciens. Autre avantage par rapport à une banque : les frais de dossier ne sont que de 1 % », affirme François Douère, directeur des opérations chez Evolupharm.

Des processus de financement bien huilés.

Pour étudier les demandes de financement, les boosters d’apport appliquent des processus bien huilés. « Pour déposer un dossier Initio, la porte d’entrée est le conseiller en gestion du lieu où le pharmacien souhaite s’installer, précise Guillaume Morel, le responsable des solutions de financement de l’OCP Répartition. Nous rencontrons ensuite l’acquéreur pour un premier échange à l’issue duquel nous lui indiquons la liste des documents à nous remettre : son CV, les bulletins de salaire des collaborateurs de l’officine visée, le descriptif du projet de reprise, le compromis de cession, et le plan de financement sur cinq ans. » Le candidat doit ensuite se soumettre à un assessment. « Celui-ci va permettre au pharmacien d’identifier ses points forts et ses éventuels axes de progression, mais également de mesurer l’ampleur de ce qui l’attend. » Sur la base de tous ces éléments, le conseiller en gestion et Guillaume Morel réalisent une pré-étude avant de soumettre le dossier au comité de financement, qui prendra la décision d’accompagner ou non le projet.

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Chez Leadersanté, le process démarre toujours par une rencontre avec l’acquéreur. « Après une première étude des pièces comptables et financières, le pharmacien est invité à passer un assessment qui évaluera ses compétences sur 7 items parmi lesquels le métier, la réglementation, la gestion, le management, confie Alexis Berreby, le cofondateur du réseau. Si le candidat n’obtient pas la moyenne, nous estimons qu’il n’est pas prêt. Ceux qui réussissent passent un entretien RH où l’on juge, cette fois, leur motivation à s’installer et à rejoindre notre réseau. Et c’est sur la base du dossier de financement, de l’assessment et de l’entretien RH que les pharmaciens titulaires cofondateurs de Leadersanté Groupe prennent leur décision. » Le go est en général donné sans tarder. « La rapidité et la réactivité sont des éléments clés. Entre le moment où l’on reçoit l’intégralité des pièces et le grand oral que le candidat passe devant la commission Giroboost, il se déroule en principe moins de deux semaines, et le pharmacien est informé de la décision dans la journée », assure Emmanuelle Niess.

La viabilité du projet étudié à la loupe.

Les boosters appliquent des grilles d’analyse basées sur trois critères : le plan de financement, le projet, et l’acquéreur. « À la CAVP, le seul élément qui nous importe est de voir si dans le business plan à trois ou cinq ans, la trésorerie générera suffisamment de cash pour permettre au pharmacien de se verser un salaire », confie Alain Pestre, son directeur financier. À l’OCP, les prévisionnels fournis par les porteurs de projet sont toujours soumis à des stress tests. « L’objectif étant de vérifier qu’en cas de conditions d’exploitation un peu dégradées, la trésorerie de la pharmacie tiendra le choc », souligne Guillaume Morel. Pour évaluer la qualité du projet, les comités ou commissions d’investissement essayent de jauger le potentiel de la pharmacie. Pour ce faire, l’OCP étudie l’ensemble des informations mises à disposition par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). « Nous passons en revue les données démographiques de la commune et de la zone de chalandise, le pouvoir d’achat des habitants, le taux de chômage, les revenus médians, poursuit le responsable. Le but final est de s’assurer que la projection prévue de l’officine est cohérente avec l’évolution démographique, et que la répartition entre les différentes tranches d’âge de la population et de revenus est homogène. Nous regardons également l’implantation, l’accessibilité, les possibilités d’extension ou de transfert lorsque la pharmacie n’est pas bien située au sein de son secteur. Nous attachons enfin une importance toute particulière à l’environnement médical et à la commercialité, la pharmacie idéale étant celle qui coche toutes ces cases. »

Le futur titulaire doit montrer patte blanche.

Le dernier pilier de l’analyse se focalise sur le porteur de projet. « Chez Leadersanté, le potentiel du titulaire et sa motivation, que nous avons évalués lors de l’assessment, constituent à nos yeux les critères les plus importants », assure Alexis Berreby. Chaque groupement veille également à la compatibilité du futur titulaire avec ses valeurs. « Nous nous assurons que le pharmacien, que l’on va aider à s’installer, se reconnaît dans la vision du pharmacien Giropharm, acteur de santé, et qu’il partage l’envie de développer son officine autour du conseil, des services, et des nouvelles missions, tout en y associant une dynamique commerciale », confirme Emmanuelle Niess. L’implication et la motivation de l’acquéreur sont également scrutées attentivement. « Nous privilégions les candidats ayant véritablement travaillé leur dossier, et capables de se projeter à cinq ou dix ans, précise Guillaume Morel. Et grâce aux résultats de l’assessment, nous avons aussi une vision sur les qualités de savoir-être qu’implique le métier de titulaire : l’aisance relationnelle, le sens du contact, la capacité d’adaptation aux évolutions du métier, l’appétence pour le management et l’entrepreneuriat… »

S’entourer des bonnes personnes.

Lorsqu’on lui demande quel conseil il donnerait à un candidat qui s’apprête à solliciter un booster d’apport, Pierre-Henri Cazaly, le directeur du développement du réseau Pharmacie Lafayette répond : « Il faut d’abord être au clair sur l’endroit où l’on souhaite exercer mais aussi sur sa propre situation financière qui va déterminer la typologie de pharmacies à cibler. Je suggérerais au candidat de venir en amont travailler dans nos officines, s’il n’a pas eu d’expérience dans une pharmacie de flux avec une proposition mélangeant patientèle et clientèle. C’est d’ailleurs pour cette raison que nos futurs titulaires sont systématiquement envoyés en immersion dans des officines du réseau et auprès des fonctions supports au siège. »

Il est également recommandé d’être bien entouré et conseillé. « Être accompagné par un expert-comptable, un transactionnaire et un juriste nous rassure, et rassure aussi les banques », souligne Jean-Christophe Rosay, responsable national gestion & économie de l’officine de Phoenix Pharma France, qui vient d’adopter le booster Initio après le rachat de l’OCP. Mais attention, s’il est effectivement important de pouvoir s’appuyer sur des experts, c’est le porteur de projet qui doit mener le bal. « C’est à lui que nous allons prêter de l’argent, rappelle Guillaume Morel. Un projet bien porté est celui où l’acquéreur a saisi tous les tenants et les aboutissants de son engagement. » Jean-Christophe Rosay invite, lui, les candidats à se valoriser. « Ils doivent montrer qu’au travers de leurs différentes expériences en tant qu’assistants, ils ont su se forger une vision du métier et de son avenir, tout en assumant le rôle de chef d’entreprise, capable de gérer une équipe, de faire face aux flux financiers, et de comprendre l’environnement économique et social de l’officine. » Tandis que Joffrey Blondel préconise simplement d’être soi-même. « Plutôt que d’essayer de surjouer, mieux vaut arriver avec son punch, sa motivation, et un projet clair et bien présenté », estime-t-il.

Titulaire depuis deux ans de la pharmacie d’Échiré, Lucie Teulière mesure le rôle joué dans son installation par le booster d’apport Pharm Install de la CERP Rouen. « Sans lui, je n’aurais jamais pu acheter une officine qui réalise 2 M€ de chiffre d’affaires. J’aurais dû revoir mes ambitions à la baisse et cibler une pharmacie de 1,2 ou 1,3 M€, voire faire appel à un associé investisseur », reconnaît la jeune titulaire qui disposait, au départ, d’un apport personnel de 10 % du montant de la transaction. « Grâce au booster, j’ai pu quasiment le doubler et obtenir ­l’accord d’Interfimo pour mon prêt principal, car le fait d’être adossé à la CERP Rouen et au groupement Santalis a incontestablement joué en ma faveur. »

infos clés

1 Le booster d’apport s’est imposé ces dernières années comme un canal incontournable dans le financement de l’installation des primo-accédants.

2 Pour évaluer la qualité d’un dossier, le booster applique des grilles d’analyse basées sur trois principaux critères : le plan de financement, le projet, et l’acquéreur.

3 Être entouré et conseillé par un expert-comptable, un transactionnaire et un juriste permet de rassurer le booster mais aussi les banques au moment de négocier son emprunt principal.

4 Pour décrocher un booster, le dossier doit être clair et bien présenté. Le futur titulaire doit également maîtriser tous les tenants et aboutissants de son engagement.

En plus

Un accompagnement complet chez Pharmacie Lafayette

Claire-Amélie Gayraud et Yoan Debranche se sont appuyés sur le programme d’accompagnement de Pharmacie Lafayette pour reprendre, le 1er mars, la pharmacie d’Armagnac, à Nogaro (Gers). « Après trois ans en tant qu’adjoints, nous avons décidé de nous installer. Nous avions eu un coup de cœur pour cette pharmacie lors de notre première visite, raconte le couple. Mais une officine qui réalise plus de 4 M€ de chiffre d’affaires (CA) n’entrait pas dans nos capacités de financement. Nous n’avions donc pas donné suite, jusqu’au jour où le réseau Pharmacie Lafayette nous a contactés. » Après un premier échange où le réseau leur garantit qu’ils pourront développer une pharmacie orientée cœur de métier et services, les deux pharmaciens décident de se lancer. « Ce sont les équipes de développement qui ont réalisé les études géomarketing, analysé les bilans, construit le prévisionnel et le plan de financement, confient-ils. Et négocié directement avec les banques. » Claire-Amélie Gayraud et Yoan Debranche reconnaissent que sans cet accompagnement doté d’un booster d’apport, ils n’auraient jamais pu concrétiser leur projet !

Des prêts plus ou moins gros

Les sommes accordées par les boosters d’apport dépendent de la typologie des pharmacies ciblées. « Chez nous, le ticket moyen oscille entre 80 000 et 110 000 €, avec un montant maximum de 330 000 €, car nous finançons des officines allant de 800 000 € de CA jusqu’à 3 ou 4 M€ », détaille Joffrey Blondel, le directeur financement et gestion de l’officine à la CERP Rouen (Astera). Au sein du réseau Pharmacie Lafayette, le ticket moyen tourne autour de 1 M €, « mais nous pouvons aller jusqu’à 3 M € sur les dossiers des officines qui réalisent 8 M€ de CA », précise Pierre-Henri Cazaly, le directeur du développement du réseau. Chez Evolupharm, l’avance sur trésorerie s’élève à hauteur de 100 000 € maximum. Le second prêt participatif créé par le groupement en 2023 s’adresse, lui, uniquement aux pharmaciens désireux d’acquérir une nouvelle officine, et ne peut excéder les 200 000 €.