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Les demandes d’iode à l’officine sont-elles justifiées ?

Publié le 1 avril 2022
Par Thierry Pennable
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La guerre en Ukraine soulève la crainte d’un risque nucléaire, qui pousse à demander des comprimés d’iode. Ils s’utilisent dans des situations précises, sur décision des pouvoirs publics.

Quel est le lien entre l’iode et un accident nucléaire ?

En cas d’accident nucléaire, de l’iode radioactif peut être rejeté dans l’environnement. Il pénètre dans l’organisme par inhalation, par ingestion d’aliments contaminés ou par la peau en cas d’exposition directe. Il est ensuite fixé par la thyroïde et induit des dommages au niveau de l’ADN des thyrocytes, cellules de base de la thyroïde qui peuvent être à l’origine d’une cancérisation.

Pourquoi prendre de l’iode stable en cas d’accident nucléaire ?

Avec la mise à l’abri et l’évacuation des populations, la prise d’iode stable, ou iodure de potassium, est l’une des mesures que peut prendre le préfet. En saturant la thyroïde, l’iodure de potassium limite la fixation d’iode radioactif, qui sera éliminé par l’organisme. C’est pour ça qu’il doit être pris dès l’ordre des autorités, et idéalement avant le passage du nuage radioactif. « Il convient de garder à l’esprit que l’iode stable ne protège qu’un seul organe, la thyroïde, contre un seul élément, l’iode radioactif, notamment l’iode 131 », rappelle l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) interrogée. Pas du césium 134 ou 137 (source : inrs.fr).

D’où provient l’iode radioactif ?

L’iode radioactif 131 n’existe pas à l’état naturel. Il est créé lors de l’éclatement des noyaux d’uranium ou de plutonium qui se produit dans un réacteur nucléaire ou lors de l’explosion d’une arme nucléaire.

Comment sont distribués les comprimés d’iodure de potassium ?

Deux dispositifs complémentaires sont prévus selon le niveau de risque. Le plan particulier d’intervention (PPI) organise une distribution préventive de comprimés d’iode dans un rayon de 20 km autour des centrales nucléaires. « Le rayon a été étendu de 10 à 20 km en 2016, compte tenu du retour d’expérience de l’accident nucléaire de Fukushima de 2011 », précise l’Autorité de sûreté nucléaire. Si les rejets radioactifs dépassent 20 km autour de la centrale, les plans « Orsec iode » prennent le relais dans chaque département, pour une distribution en urgence à la population concernée.

Sur quel seuil se base-t-on ?

L’ingestion des comprimés se fait selon les recommandations de l’ASN, fondées sur les valeurs de l’article D. 1333-84 du code de la santé publique, soit dès que les prévisions d’exposition de la thyroïde dépassent 50 millisieverts (mSv, voir Repères).

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Comment la population est-elle avertie ?

Les plans de secours sont déclenchés par les pouvoirs publics en cas d’accident, lorsque les rejets radioactifs peuvent avoir des effets sur la santé et l’environnement. En cas de danger, le réseau national d’alerte déclenche ses sirènes, qui émettent un signal composé de trois séquences sonores d’une minute et 41 secondes(1), et les médias diffusent un message d’alerte. Le dispositif « cell broadcast », déjà utilisé dans d’autres pays, devrait être opérationnel en France avant la fin juin. Il envoie un message à tous les mobiles géolocalisés dans une zone à risque.

Qui peut demander des comprimés d’iode en dehors de ces dispositifs ?

Les riverains nouvellement installés dans un secteur couvert par le PPI qui n’ont pas bénéficié de la distribution préventive ont une raison d’en demander à une pharmacie du secteur, sur justificatif de domicile.

Y a-t-il un risque à cause de l’Ukraine ?

Cette guerre affaiblit la sûreté des installations nucléaires et accroît le risque d’un accident dans l’une de ses quatre centrales. Les autorités de sûreté nucléaire européennes prévoient que, même en cas d’accident similaire à celui de Fukushima, les rejets radioactifs s’étendraient sur environ 100 kilomètres et ne concerneraient pas le territoire français(2).

Que dire à ceux qui veulent de l’iode ?

La limite maximale est de 600 g par jour chez l’adulte. 2 à 3 g d’iode (30 à 40 mg/kg) peuvent être létaux et 10 mg/jour, toxiques. Si un excès dure plus de trois jours, peuvent survenir diarrhées, céphalées, voire trouble cardiaque. Une exposition chronique entraîne goitre, hypo- ou hyperthyroïdie. Enfin, des apports élevés favoriseraient des maladies thyroïdiennes auto-immunes(3).

(1) À l’origine, le signal était d’une minute, les 41 secondes correspondaient au délai technique de montée et descente de la sirène.

(2) Guerre en Ukraine : les conclusions de WENRA et HERCA sur les conséquences d’un accident nucléaire, ASN, 2022.

(3) Risque d’apport en iode lié à la consommation d’algues dans les denrées alimentaires, Anses, 2018.

NOTRE EXPERT INTERROGÉ

→ Le service de communication de L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN).

Repères

→ L’iodure de potassium est disponible en comprimés quadrisécables à 65 mg fabriqués par la Pharmacie centrale des armées. Depuis fin 2021, le laboratoire Serb (Société d’études et de recherche biologiques), groupe pharmaceutique européen indépendant, dispose aussi d’une AMM. Une prescription magistrale est possible.

→ Administration : dès réception de l’ordre d’ingestion ou, à défaut, dans les six heures après la contamination. Elle peut être réitérée sur sept jours. La dose dépend de l’âge (130 mg pour un adulte), comprimé à dissoudre dans un liquide (lait, jus de fruits, eau). Enfants, adolescents, femmes enceintes et allaitantes sont prioritaires.

→ Le millisievert (mSv = 0,001 Sv) est une unité utilisée en radioprotection pour mesurer l’effet d’un rayonnement sur un organisme vivant. En France, l’exposition moyenne aux sources de rayonnements ionisants est de 4,5 mSv par an.