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L’économie d’officine reste de marbre

Publié le 1 juillet 2021
Par Francois Pouzaud
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La crise sanitaire a glissé sur l’économie de l’officine telle l’eau sur les plumes d’un palmipède. Certes, elle a bousculé les repères et rebattu les cartes entre pharmacies de proximité et pharmacies de passage, mais le réseau a globalement fait preuve de résilience. Cette immunité naturelle contre le Covid-19 est-elle durable ?

Les pharmacies de proximité ont tiré leur épingle du jeu au détriment des officines dîtes de passage », constate d’emblée Joël Lecœur, expert-comptable du cabinet LLA et président du Conseil Gestion Pharmacie (CGP). Au point que la fameuse “prime à la taille” qui prévalait depuis plusieurs années, à l’origine des disparités de croissance et de rentabilité entre officines, semble avoir disparu. « Contrairement aux années précédentes, la taille de l’officine a eu peu d’impact sur l’évolution du C.A », remarque-t-il. Toutes les catégories ont progressé en moyenne de 3 %, en 2020. Seuls la proximité, l’accessibilité et l’environnement médical ont accentué les écarts entre les officines. Une analyse partagée par d’autres experts. « La pharmacie traditionnelle, rurale et de quartier, en perte de vitesse avant la crise sanitaire, a retrouvé un peu de lustre », acquiesce Philippe Becker, directeur du département pharmacien de Fiducial.

LES BONS CÔTÉS DE LA CRISE.

Dans les statistiques CGP 2020, les officines de zone urbaine de centre-ville ont progressé de 1,2 %, alors que les pharmacies rurales et de gros bourg performent respectivement à + 3,46 % et + 3,98 %. Même les pharmacies de centre commercial, pourtant mal embarquées, ont retrouvé le chemin de la croissance dès la réouverture des commerces non essentiels et ont fini sur une bonne note (+ 2,40 %). Alors que leur C.A a baissé en 2020, les pharmacies XXL de centres commerciaux affichent, aux dires de Mathéa Quercy, expert-comptable du cabinet Quercy, une consolidation de la marge et de l’EBE, du fait de la fidélisation de la clientèle sur un “mix produits” à plus forte rentabilité pendant la crise (gels, tests antigéniques, produits de la naturalité, dermocosmétiques…). A fin décembre 2020, le bilan financier des officines était correct et n’a jamais inquiété les banques. « Les fondamentaux de la pharmacie restent sains et les curseurs du crédit n’ont pas bougé pendant la crise », livre Jérôme Capon, directeur du réseau d’Interfimo. Preuve en est : seulement 5 à 10 % des officines ont sollicité un prêt garanti par l’Etat (PGE), exception faite des méga pharmacies de centres commerciaux non alimentaires qui ont recouru plus massivement aux aides de l’Etat, du fait de la perte importante de leur clientèle pendant les confinements. « La crise sanitaire a été une source d’activité pour l’officine », en conclut Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). Puis, en s’engageant dans la lutte contre le Covid-19, les pharmaciens sont devenus des acteurs en première ligne de la prévention et du dépistage. Ils ont embrassé les nouvelles missions dérogatoires que le gouvernement leur a confiées pendant cette “guerre sanitaire”. Et ce choix s’est révélé gagnant, car la massification de ces nouvelles missions est beaucoup plus lucrative que les entretiens pharmaceutiques et les bilans partagés de médication. « Une pharmacie cliente du cabinet Quercy, dont le C.A s’élève à 3 M€ est sur un trend d’activité de plus de 50 000 € ! », souffle-t-elle.

SORTIE DE CRISE : ATTENTION, DANGER !

En 2021, l’avenant 11 de la convention pharmaceutique arrive à maturité. « Cette année sera l’an 1 de l’avenant 11 avec un périmètre constant de rémunération et sera, en ce sens, révélateur en termes de résistance économique. L’officine restant tributaire des volumes et des prescriptions médicales », analyse Joël Lecoeur. Pour Philippe Besset, « 2021 est l’année de tous les dangers, redoute-t-il, avec le déremboursement de l’homéopathie, l’accélération de la décroissance du marché OTC, l’extinction programmée de la ROSP générique, la baisse des honoraires pour ordonnance complexe… ». Une perspective partagée également par Joël Lecoeur qui rajoute à la liste des menaces : les défaillances d’entreprises, la montée du chômage par l’arrêt des aides de l’Etat et du financement du « quoi qu’il en coûte ». La sortie de crise pourrait peser sur les équilibres financiers des pharmacies les plus fragiles, notamment de moins d’1 M€. A l’inverse, Gilles Bonnefond, ex président de l’USPO, prédit une consolidation de l’économie des officines car la crise sanitaire a accéléré l’orientation “métier” de la nouvelle convention. « La réforme de l’avenant 11 va produire cette année ses pleins effets, promet-il. Par ailleurs, la croissance doit être recherchée du côté des nouvelles missions et des nouveaux services rémunérés. La crise sanitaire et le passage du rôle de dispensateur de médicaments à celui de professionnel de santé soignent l’image de la profession et fidélisent le patient via les nouvelles missions et services : accompagnement des patients chroniques, entretiens pharmaceutiques, bilans de médication, prévention, dépistage, pharmacien correspondant, mission de premier recours pour les soins non programmés, PDA, dispensation à domicile, etc », explique-t-il.

UN AVANT/APRÈS COVID-19.

« La stratégie du pharmacien doit nourrir sa réflexion sur l’adaptation de son outil de travail et de la configuration de son officine aux nouvelles attentes, sur la réalisation des travaux nécessaires (local de confidentialité, vaccinations, intégration des outils numériques…), sur l’évolution du plan d’animation du point de vente, etc., estime Joël Lecœur. « La crise sanitaire est révélatrice de nouveaux comportements d’achats. Le consommateur veut à la fois la proximité (circuit court) et l’achat sur le net. A cela s’ajoute une forte appétence pour les produits “made in France”, naturels et bio, prévient Joël Lecœur. Ces exigences exacerbées par la pandémie du Covid-19 doivent nourrir la stratégie du pharmacien. Cela suppose parfois d’adapter son outil de travail, voire de réaliser des travaux nécessaires à la création de locaux de confidentialité et à l’intégration des services numériques, comme le click&collect ». Transformation digitale et différenciation sont aussi les deux axes à privilégier pour Jean-Marc Aubert, président d’Iqvia France. « L’essor du e-commerce (+ 26,3 % en 2020) a gagné quelques années de croissance grâce à la crise, de même que la mise en avant de tous les services dématérialisés, comme la télémédecine. Enfin, que ce soit au travers de l’adhésion d’une officine à un groupement (ou enseigne), de la théâtralisation de son espace de vente, de son offre, de ses services, les pharmaciens sont poussés à définir leur positionnement et à le mettre en avant auprès de leurs patients/clients ». Pour ne pas tomber dans la crise en 2021, la voie semble donc toute tracée. « Les officines véritablement orientées vers les services et le soin des patients ont mieux performé pendant le Covid-19 », relève Olivier Delétoille, expert-comptable du cabinet AdéquA. Il invite donc les pharmaciens à creuser davantage ce sillon pour l’avenir de leur entreprise. Il en est de même pour Joël Lecœur : « Le pharmacien qui aura réussi le développement des services pourra alors être qualifié de pharmacien augmenté ! ». Il y avait jusqu’ici des opportunités commerciales à saisir, il y a maintenant des opportunités médicales qui s’offrent aux officines. Voilà qui devrait encore accélérer la transformation du métier !

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infos clés

1 En 2020, l’officine a connu sa plus forte évolution d’activité de ces 15 dernières années. Les pharmacies de proximité ont tiré leur épingle du jeu, au détriment des officines dites de passage.

2 Une part importante de l’activité 2020 a été dopée par l’impact du Covid-19 : masques, gels, vaccination, tests antigéniques…

3 L’année 2021 sera révélatrice en termes de résistance économique. L’officine restant tributaire des volumes et des prescriptions médicales.

60 %

de la rémunération officinale sont liés aux honoraires du médicament remboursable.

En plus

Bonne année 2020

En dépit d’une année en dents de scie, 2020 est un bon cru. Les effets du premier confinement ont été amortis au départ de la crise par une première quinzaine de mars tonitruante, puis par « un effet rattrapage » en juin. La pharmacie a terminé sur les chapeaux de roues en décembre (+ 6,05 %), avec la réalisation de la vaccination grippe et des tests antigéniques qui ont contribué à ramener du C.A supplémentaire en fin d’exercice.

La feuille de route des petites officines

Les petites officines n’ont pas toujours les moyens et le temps de mettre en œuvre les nouvelles missions, notamment celles nées pendant la crise (tests antigéniques, vaccination Covid-19), qui sont des facteurs de croissance. Selon l’USPO, les clés de la croissance des petites officines résident dans leur capacité à se réorganiser, à déléguer des tâches aux groupements ou aux organismes de gestion du tiers-payant…. Objectifs : dégager de la productivité et du temps pour le patient.

Les facteurs de croissance

Toutes officines confondues, l’activité a fait un bond de 2,97 %, en moyenne, (source : CGP). Un tiers de la croissance est lié à l’impact du Covid-19 (vente de masques, gels et de produits renforçant l’immunité, la réalisation de tests antigéniques et de la vaccination…), un tiers à l’évolution des prescriptions hospitalières (médicaments chers) et un tiers à la réforme de la rémunération (évolution des honoraires à l’ordonnance).

La crise du Covid-19 a mis un coup de projecteur sur le rôle de professionnel de santé de proximité du pharmacien et sur les services qu’il peut proposer.

409 M€

C’est le C.A réalisé avec les médicaments chers en 2020, soit quasiment 1/3 du C.A du médicament remboursable (TVA 2,1 %).