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Le point faible au comptoir
Si la loi sur le droit des malades a réaffirmé la nécessité du respect des informations concernant la santé de chacun, encore peu d’officines de ville sont équipées de véritables aires de confidentialité.
Elle m’a demandé si je voulais une boîte de 6 ou de 12, avec réservoir ou sans, texturés ou non. J’ai précipitamment dit « peu importe », parce que je sentais qu’elle allait dans la foulée me proposer vanille ou fraise… Elle a posé la boîte de Durex sur le comptoir comme du Doliprane. Je me suis sentie devenir écarlate, j’avais les jambes en coton et l’impression que tous les regards des clients étaient braqués sur moi. » Pas facile d’acheter en toute discrétion des préservatifs, un lubrifiant intime ou des protections pour incontinence à l’officine ! L’épreuve de force… Lorsqu’il s’agit d’une prescription, c’est un peu plus facile, le client glisse l’ordonnance sur le comptoir… Et l’affaire est dans le sac. Sauf si le préparateur ou le pharmacien a l’indélicatesse de dispenser quelques conseils (après tout c’est son rôle), du style « Si votre diarrhée ne cesse pas au bout de trois jours, consultez votre médecin… » Et voilà tout l’auditoire de la pharmacie, la voisine, la postière, le père du copain du fiston, au courant de vos problèmes intestinaux ! Car la conversation au comptoir n’est pas à l’abri d’oreilles indiscrètes.
En France, la surface de vente d’une officine fait en moyenne 37 m2 et les comptoirs sont agencés les uns à côté des autres. Et pourtant le préparateur ou le pharmacien, comme tout professionnel de santé, est tenu au secret. Comment allier cette obligation à des conditions de travail peu propices ? D’autant que la loi sur le droits des malades a réaffirmé la nécessité du respect des informations concernant la santé de chacun. Il y va bien sûr du respect de la vie privée des patients, qu’il s’agisse d’une délivrance d’un contraceptif ou d’un conseil sur le traitement de l’herpès. Il y va aussi du secret médical au sens strict exigé par des pathologies chroniques ou des comportements encore stigmatisés. On peut aisément comprendre qu’un ancien toxicomane ne tienne pas à ce que l’on sache qu’il est sous traitement de substitution ou qu’un patient sous traitement antirétroviral veuille garder secret sa séropositivité au VIH.
L’officine montrée du doigt
La question de la confidentialité à l’officine a d’ailleurs été posée par les associations de patients dès 1997 avec la dispensation en ville des antirétroviraux. Alors que cette mesure avait pour objectif de faciliter l’accès au traitement, les associations de lutte contre le sida avaient à l’époque beaucoup insisté pour une double dispensation ville-hôpital en arguant du manque de confidentialité à l’officine. Encore aujourd’hui, Act Up demande une plus large plage horaire d’ouverture des pharmacies hospitalières qui permettent selon l’association « une garantie de confidentialité que n’offrent pas toujours les pharmacies de ville » et « un suivi personnalisé du malade par un personnel formé. » Et la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) a enfoncé le clou. Dans un rapport en décembre 2002 sur la délivrance de la contraception d’urgence aux mineures, elle souligne également le « manque de confidentialité de l’officine » susceptible de constituer un frein dans le dialogue nécessaire entre un pharmacien et une jeune mineure. « À l’officine, on reçoit trop souvent les personnes comme des clients et non comme des patients », souligne Michèle Guehring, présidente de l’amicale des préparateurs d’Ile-de-France qui travaille en milieu carcéral.
De l’usage du langage codé
Mais le manque de discrétion serait plus crucial à la campagne qu’en ville. Dans les grandes agglomérations, l’anonymat favorise la confidentialité. Dans un village, aller à l’officine, c’est comme aller chez son boucher, en attendant son tour, on serre les mains, on prend des nouvelles du dernier-né chez les Bouchard et de la grand-mère alitée chez les Durand. « Parfois les clients se connaissent tellement que demander un renseignement très personnel, relève de la ruse », constate Marie-Claire Motin, préparatrice intérimaire dans le département. Mais répondre à la question sans en faire profiter l’assemblée n’est pas plus facile. Catherine, préparatrice dans une pharmacie de village des Bouches-du-Rhône, témoigne : « Nous sommes obligés d’utiliser des paraphrases. Car si nous essayons de parler doucement, tout le monde tend l’oreille pour savoir ce qui se dit. » On ne dit pas si vous avez encore la diarrhée dans trois jours. On dit si vous avez encore vos symptômes dans trois jours. Et parfois, cela donne un véritable langage codé. « Je me souviens d’un vieux monsieur qui avait attrapé des morpions. Il est revenu à l’officine pour demander : “C’est normal que le produit que vous m’avez donné, ça… Vous savez…” J’ai compris que l’application de Spray-Pax lui causait une sensation de brûlure. Je lui ai répondu : “Oui, c’est un produit qui peut irriter, c’est normal.” Quinze jours après, en le revoyant, j’ai pris de ses nouvelles en disant : “Et votre problème, ça va mieux ?” » Mais si la plupart des clients souhaitent la discrétion, il y a aussi des clients exubérants capables d’exposer haut et fort l’incontinence de la grand-mère ou de déshabiller un enfant pour montrer une brûlure. « Dans ces cas là, nous éduquons les gens à la pudeur, continue Catherine. Nous les entraînons à l’écart, dans le bureau du titulaire. » Il faut le dire, la majorité des officinaux ont des astuces pour permettre une dispensation confidentielle. « Il est toujours possible de s’isoler dans un petit coin de l’officine, estime Jean-Pierre Quilliou, préparateur depuis 40 ans à Dourdan (91). Une musique d’ambiance peut également permettre des conversations plus intimes. » « Il est aussi utile d’avoir des comptoirs accidentés, avec des tours et des présentoirs, pour délivrer les médicaments à l’abri des regards des clients », conseille Richard Sawenepoel, pharmacien et directeur de l’association des pharmaciens contre le sida « Croix rouge et ruban vert ». Pour Frédéric Guillemont titulaire à Abbeville (80), l’informatisation permet de repérer les délivrances les plus délicates. « Il suffit de taper les nom et prénom du client pour que la fiche du client apparaisse sur l’écran de l’ordinateur avec les remarques associées. Il est alors possible d’effectuer la délivrance en retrait du comptoir et de ranger les médicaments dans un sachet avant de revenir vers lui. » Sans compter que la prescription, à elle seule, est explicite : anticancéreux, psychotropes, contraceptifs. Avec une mention spéciale pour des médicaments très médiatisés : le Viagra pour les troubles de l’érection, le Prozac pour la dépression, voire le Subutex pour la substitution chez les toxicomanes.
La qualité de l’accueil rime avec confidentialité
« L’essentiel est d’évaluer très vite la demande du client à travers sa prescription, ses mots, son attitude afin de mesurer le degré de confidentialité », explique Frédéric Guillemont qui a su insuffler à son équipe le respect et l’accueil du patient. Pour preuve : un ancien héroïnomane a choisi cette officine, en accord avec l’hôpital, pour venir y chercher ses comprimés de Subutex tous les jours (voir encadré). La cabine d’orthopédie et le bureau du pharmacien sont utilisés pour certaines délivrances ou pour s’isoler avec un patient qui en a besoin. Dans la cabine d’orthopédie, tout un pan de mur sert de présentoirs aux protections à incontinence. Là, les clients peuvent regarder, toucher les échantillons et avoir autant d’explications qu’ils le souhaitent sur les tailles, les modèles ou les capacités d’absorption. En France, tout doucement, la notion de confidentialité fait son chemin, un comptoir isolé par là, un local fermé par ci. « J’ai pensé installer une ligne de démarcation, mais j’ai préféré revoir toute l’organisation de l’officine en gardant une certaine convivialité. Nous ne sommes ni à la poste, ni à la banque, nous serrons régulièrement les mains de nos clients », explique Jean-Jacques Mercier, titulaire de la pharmacie des Papillons de Montereau (77) qui vient de relooker son officine sous l’enseigne Pharmavie. Les comptoirs distants les uns des autres et une musique de fond assurent la discrétion lors des délivrances de prescription. Les produits de parapharmacie étant en libre service, on peut soi-même choisir sa boîte de préservatifs et payer à la caisse située près de l’entrée… Enfin, point fort de l’officine, un espace intitulé « Renseigner ». « Notre surface de vente qui fait 180 m2 nous permet de laisser cet espace ouvert tout en préservant l’intimité des conversations. » C’est souvent à l’occasion de travaux d’aménagement que les officinaux prennent en compte cette nécessité. La section A du conseil de l’Ordre des pharmaciens l’a bien compris. « Nous prévoyons début 2005 de remettre aux officinaux et aux agenceurs des recommandations au sujet de l’agencement de l’officine, annonce Isabelle Adenot, présidente de la section A de l’Ordre. Ces recommandations concerneront le préparatoire, la croix et également l’aménagement d’une aire de confidentialité. »
Vous souvenez-vous des longs comptoirs d’autrefois qui ne promettaient aucune confidentialité ? Pourquoi cette notion devient-elle une préoccupation pour les professionnels de santé ? « Avec la raréfaction des médecins, le rôle de conseil du pharmacien et de ses collaborateurs va devenir de plus en plus important. Mais les patients ne solliciteront les officinaux que si ces derniers garantissent la confidentialité », analyse François Allaert, président de l’association Droits des patients et par ailleurs médecin de santé publique. Édouard Marès, titulaire à Bègles (33) de renchérir : « Les clients ont de plus en plus besoin de parler, d’être en confiance. Nous souhaitons réaménager la pharmacie et créer un espace fermé et confidentiel, comme cela se fait dans les pharmacies de nos amis québécois. » Le dernier rapport sur les tendances en pharmacie au Canada, édité par Rogers Media-Éditions, montre que deux pharmacies canadiennes sur trois sont équipées d’un local séparé ou d’une aire pour la consultation. Près de la moitié des pharmacies offrent par ailleurs des consultations privées sur rendez-vous. Ce souci de confidentialité est encore plus éloquent au Québec, où la quasi-totalité des officines (98 %) disposent d’une aire dédiée.
Repères
ZoomPas de confidentialité sur Internet
La CNIL (Commission nationale informatique et liberté) continue de sensibiliser les professionnels de santé au risque important de divulgation des informations concernant les patients via les nouvelles technologies de communication. Elle souligne que la messagerie électronique ne constitue pas a priori un moyen de communication sûr pour transmettre des données médicales nominatives. Une simple erreur de manipulation comme un e-mail erroné peut conduire à divulguer à des destinataires non habilités des informations couvertes par le secret médical et à porter ainsi gravement atteinte à l’intimité de la vie privée des personnes. En outre, la transmission par e-mail de données nominatives sur l’état de santé d’une personne comporte, compte tenu de l’absence générale de confidentialité du réseau Internet, des risques importants de divulgation de ces données et d’intrusion dans les systèmes informatiques internes.
La CNIL recommande aux professionnels d’utiliser une messagerie sécurisée intégrant un module de chiffrement (cryptage) des données (produits disponibles sur le marché). Les risques d’intrusion dans le système informatique d’un ordinateur connecté à internet sont en effet réels et peuvent conduire à l’implantation de virus ou de programmes « espions ». Un logiciel pare-feu, que l’on peut télécharger sur internet, permet de limiter le risque d’intrusion dans l’ordinateur. Pour plus de sécurité, demander conseil à son fournisseur d’informatique habituel. Enfin, la CNIL rappelle que les informations concernant les patients ne peuvent faire l’objet d’une cession ou d’une exploitation commerciale.
Content« Je suis reçu discrètement dans un local fermé »
J’ai d’abord consommé de l’héroïne puis j’ai voulu arrêter. Je me suis mis au Néo-codion et j’avoue que je faisais toutes les pharmacies de la ville plusieurs fois par jour pour avoir ma dose. Lorsque je me suis vraiment décidé à décrocher, je suis allé à l’hôpital. Le médecin chef m’a dit qu’il faudrait que j’aille chaque jour prendre du Subutex dans une officine. Il m’a demandé où je souhaitais être suivi. Je n’ai pas hésité. J’ai dit la pharmacie Guillemont qui m’a toujours bien accueilli. Quand j’arrive, discrètement, une pharmacienne me reçoit dans un local fermé et j’avale le comprimé sous ses yeux. Le samedi, elle me donne la dose du dimanche à emporter avec moi. Tous les quinze jours, je retourne à l’hôpital pour l’ordonnance.
Damien, Ex-toxicomane à Abbeville (80)
Pas content« Les pharmaciens ne se donnent pas les moyens »
Bon nombre de patients VIH hésitent encore à aller chercher leurs médicaments en ville pour cette raison. Nous restons ainsi très attachés au maintien de la double dispensation ville-hôpital pour les antirétroviraux. Les banques ou la poste, qui utilisent des lignes de confidentialité, sont aujourd’hui plus confidentielles que les pharmacies. Lorsque les officines disposent d’un espace suffisant, elles préfèrent le plus souvent l’aménager au profit de la parapharmacie que de se doter d’un espace confidentiel pour les patients. Je ne vois pas comment les pharmaciens peuvent articuler leur rôle d’acteur de santé publique s’ils ne se donnent pas les moyens de recevoir les patients dans de bonnes conditions. Le conseil pharmaceutique ne peut pas se faire au guichet devant tout le monde. Cela dit, notre association travaille avec un réseau de pharmaciens engagés dans la lutte contre le sida et sensibilisés à cette question.
Christian Saout, président de l’association de lutte contre le sida Aides
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