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La trisomie 21 bientôt dépistée par prise de sang maternel ?

Publié le 4 juin 2013
Par Anne-Gaëlle Harlaut
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Les nouveaux tests génomiques sur sang maternel multiplient les perspectives de détection prénatale des maladies d’origine génétique. Le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) a donné son avis positif pour les utiliser dans le dépistage de la trisomie 21, mais ce n’est qu’une facette de la réflexion éthique globale sur le séquençage du génome fœtal.

NOTRE EXPERT INTERROGÉ

Patrick Gaudray, directeur de recherche au CNRS à Tours (37), membre du Comité consultatif national d’éthique.

Que sont ces nouveaux tests génétiques ?

Ils permettent de séquencer l’ADN du fœtus qui circule librement dans le plasma maternel, par simple prise de sang de la mère. Cette technique est déjà employée de façon ciblée pour des séquençages partiels de l’ADN (voir repères), mais les nouveaux tests, dits de « séquençage à très haut débit » multiplient par un facteur 50 000 les possibilités, ouvrant la voie à un séquençage du génome entier dès les premières semaines de grossesse.

Parmi les applications possibles, pourquoi focaliser sur la trisomie 21 ?

Parce que ce serait l’application la plus immédiate et courante. De par sa fréquence, son caractère incurable et sa gravité, la trisomie 21 est la seule maladie génétique dont le dépistage est proposé systématiquement aux femmes enceintes. Il s’appuie en France sur l’évaluation d’un risque global avec le dosage de marqueurs sériques, la mesure échographique de la clarté nucale du fœtus et l’âge de la mère. Le seuil de risque, fixé à 1/250, conduit à proposer un diagnostic en faisant un caryotype après prélèvement de liquide amniotique (amniocentèse) ou des villosités choriales (choriocentèse).

Quels seraient les avantages des nouveaux tests dans ce dépistage ?

La sensibilité imparfaite de l’évaluation globale actuelle conduit à 24 000 gestes invasifs diagnostiques pour lesquels le risque de fausse couche est estimé à 1/200 alors que dans neuf cas sur dix, le caryotype est normal, tandis qu’une trisomie sur cinq n’est pas dépistée. Les nouveaux tests, très sensibles, permettent un dépistage de la quasi-totalité des trisomies 21 et éviteraient ainsi les pertes fœtales et situations de détresse des couples.

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Permettraient-ils d’éviter toutes les amniocentèses ?

Non, bien que très sensibles, ces tests engendrent également un taux de faux positifs estimé à 1/500. Un prélèvement fœtal invasif de contrôle devrait donc être pratiqué systématiquement en cas de résultat positif. Le CCNE estime cependant que leur bonne sensibilité conduirait à diviser par dix le nombre de gestes invasifs s’ils étaient généralisés à toutes les femmes enceintes le désirant. En attendant le perfectionnement de ces tests, ils resteraient donc un élément de dépistage et non de diagnostic.

Qui pourrait en bénéficier ?

Dans un premier temps, le CCNE recommande de réserver le test « trisomie 21 » aux femmes « à risque » à l’issue de l’évaluation globale classique, les contraintes étant essentiellement d’ordre organisationnel (créations de plateformes équipées de séquenceurs à haut débit) et financier (le prix du test est actuellement de 1 250 €). Il pourrait, dans un deuxième temps, être étendu à l’ensemble des femmes enceintes. Déjà en vigueur dans d’autres pays, ce test n’est pas encore autorisé en France.

Quelles conditions pour le généraliser ?

Le CCNE approuve l’utilisation de ce test dans cette indication à condition qu’il reste un choix pour les couples, qu’il soit proposé sans conditions de ressources et qu’il bénéficie d’informations et d’un accompagnement de qualité. Plus de 85 % des couples optant pour le dépistage, ce nouveau test ne modifierait pas intrinsèquement la procédure actuelle, tout en apportant un progrès pour les femmes.

Pourquoi ces nouveaux tests relancent les questionnements éthiques ?

Le séquençage à haut débit donne accès au génome entier du fœtus et ainsi, potentiellement, à une multitude d’interprétations médicales dont beaucoup sont encore inconnues. Pour le Comité consultatif national d’éthique, l’enjeu n’est pas d’interdire ces tests, qui apportent des progrès considérables, mais de mener un questionnement collectif d’ordre éthique quant à la portée et à l’utilisation de ce « savoir » supplémentaire : comment transformer ces données en informations pertinentes en termes de santé, en informer les parents, ne pas alimenter une « stigmatisation » du handicap ? Les pistes de réflexion lancées vont bien au-delà de l’application immédiate du dépistage de la trisomie 21.

Repères

→ 1997 : mise en évidence de la présence de l’ADN fœtal libre dans le plasma maternel dès les premières semaines de grossesse.

→ Début 2000 : premières applications ciblées de l’analyse de courtes séquences d’ADN fœtal dans le plasma maternel (diagnostic prénatal de maladies génétiques liées au sexe, d’incompatibilité rhésus…) conduisant à une prise en charge médicale.

→ 2000-2012 : progression des méthodes de séquençage de l’ADN permettant de séquencer l’ensemble du génome fœtal à partir d’une prise de sang de la mère.

→ 31 juillet 2012 : la Direction générale de la santé saisit le CCNE pour avis sur « les problèmes éthiques et les questions que soulèvent le développement de cette technique de diagnostic prénatal des anomalies génétiques du fœtus ».

→ 25 avril 2013 : le CCNE rend public son avis, « Questions éthiques associées au développement des tests génétiques fœtaux sur sang maternel » (avis n° 102, consultable sur le site www.ccne-ethique.fr).