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La licence pour les préparateurs est compromise

Publié le 20 janvier 2023
Par Christine Julien
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Les travaux sur une licence professionnelle pour les préparateurs en pharmacie sont arrêtés. La Conférence des doyens des facultés de pharmacie est en désaccord sur le fond avec la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France. En revanche, tous s’accordent sur l’urgence des textes législatifs autorisant la délivrance de médicaments aux futurs diplômés Deust.

Ils sont reportés sine die(1). Les travaux sur l’élaboration d’une licence pour les préparateurs se sont arrêtés fin 2021. La Direction générale de l’offre de soins (DGOS), qui dépend du ministère de la Santé et de la Prévention, est aux abonnés absents. Le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche reste dans l’expectative. Et la Conférence nationale des doyens de pharmacie jette l’éponge. « Il n’y aura pas de licence parce que nous arrêtons. Nous comptions former les préparateurs pour qu’ils acquièrent davantage de compétences par rapport aux besoins de l’officine. Ils [sous-entendu la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France, NDLR] n’en veulent pas. Nous mettons les travaux en stand-by », tranche le Pr Gaël Grimandi, président de la Conférence des doyens et doyen de la faculté de pharmacie de Nantes (44), qui a décidé d’arrêter les frais car ce dossier mobilise trop d’énergie.

Ce n’est pas le cas de Philippe Denry. Le vice-président de la FSPF, principal syndicat de titulaires, demeure confiant : « Il y aura une licence, mais elle ne sera pas effective à la rentrée 2023 parce qu’il n’y a pas eu le temps de la construire et que des arbitrages ont été retardés à cause de l’élection présidentielle ». Et d’ajouter : « Les travaux sur la licence reprendront quand les doyens des facultés de pharmacie arrêteront également d’écrire des licences seuls dans leur coin ».

Les jeux ne sont pas faits, mais rien ne va plus

Philippe Denry avance d’autres arguments sur la forme : « La licence professionnelle doit correspondre aux besoins et être faite avec la profession. On ne veut pas de super-préparateurs à la tête remplie de théorie mais manquant de compétences pratiques sur le terrain. Pour l’instant, tous les schémas envoyés au ministère de l’Enseignement supérieur ont été écrits par des facultés sans y avoir associé la profession. Ils seront donc retoqués ». De quoi faire bondir le Pr Grimandi : « Ces arguments sont faux. Nous avons toujours travaillé avec les CFA, les pharmaciens d’officine et les syndicats, notamment la FSPF. J’ai suffisamment de comptes rendus de réunions pour le prouver. Par ailleurs, ces étudiants sont en apprentissage dans des officines ; la formation prend donc en compte la réalité du terrain. En revanche, nous souhaitons une licence pour tous ». Ce que confirme Daniel Burlet, trésorier en charge des questions sociales au sein de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), autre syndicat de titulaires : « Nous avons participé aux travaux fin 2021. La création d’une licence était évidente pour l’USPO, les hospitaliers et les facultés de pharmacie. La FSPF était la seule à dire que ce n’était pas forcément une nécessité ».

En dehors des clous de la LMD

Pour la FSPF, la formation du préparateur est un Deust, suivi éventuellement d’une licence. « Le 2 + 1 n’apporte rien, rétorque le Pr Grimandi. Nous ne voulons pas une licence pour faire une licence, mais le Deust est un diplôme qui n’a pas de sens d’un point de vue universitaire. Il est donné à des étudiants en échec de licence ». Effectivement, la réforme LMD (Licence Master Doctorat)(2), qui harmonise les offres de formation au niveau européen, reconnaît comme premier niveau de sortie européen le bac + 3, et non le bac + 2. « On vient de sortir les préparateurs d’un niveau bac et là, nous reprendrions le même modèle ? », soulève le doyen de Nantes, pour qui l’histoire se répète. Sous-entendu, remplacer le BP par le Deust hors dispositif LMD « ne va pas attirer les étudiants » dans la filière.

Attention au métier intermédiaire

Le schéma 2 + 1 ferait coexister des préparateurs techniciens de base de niveau Deust et des techniciens spécialisés de niveau licence. Sur le papier, cette licence optionnelle semble séduisante. « Le pharmacien pourrait par délégation, et sous son autorité, confier des missions différentes et plus importantes au préparateur spécialisé afin de libérer du temps, sans risquer un amalgame de fonctions et de responsabilités avec lui. D’autre part, cette licence optionnelle permettrait une promotion professionnelle en cours de carrière et une reconnaissance supplémentaire pour les titulaires du Deust, mais aussi du BP, comme c’est le cas de la spécialisation hospitalière actuelle », déduit le Pr Jean-Louis Beaudeux, doyen de la faculté de pharmacie de l’université Paris Cité. Mais ce serait « peut-être difficile à gérer dans une équipe officinale. L’objectif reste une licence pour tous ». Pour Daniel Burlet, c’est clair : « Un préparateur à deux vitesses ne nous intéresse pas ».

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Pour le Pr Grimandi, bâtir une licence professionnelle après le Deust nécessiterait la rédaction de deux fiches RNCP(3) décrivant deux métiers. Une pour le Deust et une pour la licence, mais ce sont tous les deux des préparateurs. « Comment écrire une fiche RNCP “licence” différente de celle du préparateur Deust ? Nous pourrions de plus aboutir à une sorte de préparateur en pratique avancée, ce que la ministre déléguée, Madame Firmin Le Bodo, ne veut pas semble-t-il », met en garde le doyen, c’est-à-dire un exercice intermédiaire entre le Deust et le pharmacien (lire actu du 25 novembre 2022 sur l’appli Porphyre).

Permis de délivrer

La FSPF et les doyens s’accordent en revanche sur la nécessité de disposer des textes juridiques habilitant les titulaires du Deust à dispenser des médicaments. Pour l’heure, aucun texte n’autorise les futurs diplômés du Deust à seconder le pharmacien ! Pour Philippe Denry, « c’est une priorité qui ne devrait pas tarder à être réglée ». Le Pr Grimandi est plus réservé : « Ce n’est pas réglé. Il faut changer le code de la santé publique et celui de l’Éducation, la signature de trois ministres, dont le Premier ministre, et un véhicule administratif [décret, arrêté…, NDLR]. Peut-être en mars ou avril ». Proactifs, les doyens, sous l’égide du Pr Beaudeux, ont adressé une pétition aux ministères concernés le 9 décembre 2022, avec plus de 1 200 signatures d’élèves de Deust, d’enseignants et de doyens, « demandant aux instances nationales de prendre les dispositions nécessaires pour que le Deust soit officiellement reconnu comme autorisant l’exercice de la préparation en pharmacie. Cette pétition témoigne de l’inquiétude de ces étudiants quant à leur avenir et à leur exercice professionnel, qui débutera dans moins d’un an ». Autre texte attendu, celui autorisant les titulaires du Deust à postuler pour les passerelles vers les études de pharmacie. « C’est urgent, cela doit sortir avant la fin janvier, mais là un simple arrêté devrait suffire », précise le Pr Grimandi.

Pour Philippe Denry, une fois ces textes publiés, les travaux sur la licence pourront reprendre. Mais dans quel cadre ? La balle est dans le camp des pharmaciens de terrain. Que veulent-ils ? À eux de le dire pour débloquer la situation.

(1) Sans fixer de jour.

(2) Décret n° 2002-482 du 8 avril 2002.

(3) Une fiche RNCP (Répertoire national des certifications professionnelles) décrit, pour les diplômes et les titres à finalité professionnelle, les activités visées, le secteur d’activité, les éléments de compétences acquis, les modalités d’accès ou encore le niveau d’études.

Retournement

Depuis plus de dix ans, « l’ensemble des partenaires sociaux – sauf la CFDT – s’était positionné pour un diplôme en trois ans, précise Daniel Burlet, trésorier et en charge des questions sociales à l’USPO. La FSPF a changé de cheval en cours de route. L’idée de départ a toujours été une formation en trois ans, avec une troisième année de spécialisation pour l’officine, l’hôpital ou l’industrie. À l’USPO, nous sommes favorables à un diplôme en trois ans sanctionné par une licence. Dans le cadre de ses nouvelles fonctions et de celles qu’il réclame, le pharmacien titulaire a besoin que son armée de soldats suive aussi son général avec une formation adaptée et améliorée ! »