Métier Réservé aux abonnés

Faut-il diaboliser le méthylphénidate ?

Publié le 29 juin 2013
Par Anne-Gaëlle Harlaut
Mettre en favori

Les ventes de méthylphénidate en France ont progressé de 70 % entre 2008 et 2013, d’après l’étude Celtipharm publiée dans Le Parisien le 29 mai. Ces résultats alimentent la polémique d’une « drogue des enfants », utilisée de façon abusive. Le point avec le professeur Maurice Berger, spécialiste de la psychopathologie de l’enfant.

NOTRE EXPERT INTERROGÉ

Pr Maurice Berger, pédopsychiatre, chef de service en psychiatrie de l’enfant au CHU de Saint-Étienne.

Auteur de L’enfant instable, approche clinique et thérapeutique, Éd. Dunod.

Quels sont les bénéfices du méthylphénidate dans le traitement du TDAH ?

Je considère que l’hyperactivité, ou trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH), est essentiellement une rupture de la continuité de la pensée. L’enfant lâche sans arrêt une pensée pour une autre, ses jeux sont hachés, sans réelle construction. C’est parfois un véritable handicap et actuellement seul le méthylphénidate rétablit en partie la continuité de la pensée. L’enjeu est aussi parfois d’éviter une exclusion sociale.

L’augmentation des prescriptions relevée par l’étude Celtipharm vous semble-t-elle conforme à ce qui se passe en pratique ?

Nous observons une augmentation du nombre d’enfants qui présentent un TDAH sans comprendre complètement pourquoi. Une étude récente montre que les enfants soumis à une discontinuité précoce de leur mode de vie présentent plus souvent ce trouble, en particulier lorsqu’ils vivent en résidence alternée.

Cette hausse reflète-t-elle des prescriptions inappropriées ?

Je n’observe pas de prescriptions abusives, parce qu’elles s’accompagnent souvent d’un abord relationnel individuel et familial. Au contraire, je reçois beaucoup d’enfants ralentis dans leur développement ou leurs acquisitions scolaires par l’absence de prescription.

Publicité

Signerait-elle une meilleure prise en charge du TDAH puisque seul un enfant concerné sur six(1) prendrait ce traitement ?

En France, la réalité du TDAH a longtemps été niée car ce trouble était considéré comme une défense maniaque contre la dépression. Ce déni diminue. On sait que certaines formes sont d’origine purement neurodéveloppementale. Dans les formes d’origine environnementale (négligences parentales graves, forçage éducatif précoce, long séjour en pouponnière), lorsque le trouble est structuré, il ne s’atténue pas forcément par la psychothérapie et un environnement mieux adapté. Alors, la prescription peut être justifiée.

Pourquoi craindre une dérive ?

Parce que ce produit a été utilisé de manière abusive aux États-Unis. De plus, après 1968, des adultes l’ont employé à titre toxicomaniaque. Enfin, il risque d’être réclamé par des adultes « pour avoir la paix » avec un enfant agité, alors qu’il ne s’agit pas d’un TDAH.

Existe-t-il réellement un risque de détournement du méthylphénidate ?

Le risque concerne uniquement des adultes avec une personnalité addictive qui peuvent aussi bien devenir dépendants de tout produit psychostimulant (alcool, etc.). Le méthylphénidate peut alors être détourné pour ses propriétés stimulantes, le plus souvent dans le cadre d’une polyconsommation.

La Ritaline risque-t-elle d’induire une toxicomanie chez l’enfant ?

Ce médicament existe depuis plus de quarante ans. Toutes les études longitudinales sur des centaines d’enfants montrent l’absence d’addiction, mais le trouble peut réapparaître à l’arrêt du traitement.

Quels sont les « dangers » de la Ritaline ?

Ayant eu une autorisation ministérielle dès 1975, je suis le plus ancien prescripteur en France et je n’ai observé aucun danger sur des centaines de prescriptions. Les effets secondaires sont le plus souvent passagers (céphalées, mal au ventre); parfois une tachycardie avec une arythmie amène à diminuer les doses. Les deux problèmes les plus importants sont l’absence de prise de poids, alors que la croissance staturale se poursuit, et les difficultés de sommeil. Le dosage se fait individuellement à 0,25 mg près pour avoir la période d’efficacité la plus large sans souci d’endormissement. Le grand problème est l’inefficacité dans 30 % des cas.

Que dire aux parents qui s’inquiètent ?

Les parents ont d’autant plus peur que sur Internet, l’Église de scientologie cherche à « recruter » des parents en dénigrant ce médicament. Je propose une période d’essai de quinze jours, qui suffit à améliorer l’enfant de manière importante quand c’est efficace. Les parents constatent alors à quel point leur enfant se sent mieux.

(1) Environ 20 000 enfants reçoivent du méthylphénidate, mais entre 108 000 et 135 200 enfants pourraient en tirer bénéfice (HAS 2012).

Repères

→ TDAH (trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité) : trouble neurocomportemental lié à un défaut d’inhibition, associant diversement hyperactivité et impulsivité motrice et des difficultés attentionnelles.

→ Méthylphénidate (Ritaline, Concerta, Quasym) : phényléthylamine, de structure similaire aux amphétamines.

• Psychostimulant d’action sympathomimétique qui augmenterait la concentration de la dopamine et de la noradrénaline.

• Indiqué en France depuis 1995 dans le cadre d’une prise en charge globale du TDAH chez l’enfant dès 6 ans lorsque des mesures correctives seules s’avèrent insuffisantes, et dans certains cas de narcolepsie.

• Stupéfiant.

• Prescription : initiale hospitalière annuelle réservée aux spécialistes et/ou aux services spécialisés en neurologie, psychiatrie et pédiatrie ; limitée à 28 jours, renouvelable dans les périodes intermédiaires par tout médecin.