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Écouter pour mieux fidéliser

Publié le 1 juin 2020
Par Favienne Colin
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Se former à l’éducation thérapeutique du patient (ETP), c’est apprendre à s’adresser à lui de façon moins directive, pour contribuer à son “mieux-être” et à une meilleure observance…, dans le cadre d’une pratique interprofessionnelle. Adaptée au comptoir, cette posture satisfait le pharmacien, valorisé, comme le malade, rassuré par une approche où il devient davantage acteur de sa santé. De quoi générer une fidélité accrue des patients chroniques.

Aider le patient atteint d’une maladie chronique à mieux gérer son traitement, l’amener à faire des choix éclairés, à moins subir les effets indésirables de ses médicaments, par une meilleure observance, un peu de sport, une peau bien hydratée… Tels sont les objectifs des programmes d’éducation thérapeutique du patient (ETP), menés ça et là sur le territoire, dans le cadre de projets multidisciplinaires. Ces missions sont accessibles après une formation spécifique d’un minimum de 40 heures, et surtout, elles influencent la façon d’agir au comptoir.

Une nouvelle posture au comptoir.

« Une fois formé à l’ETP, au comptoir, le changement tient dans la posture éducative. Nous perdons l’attitude dominant/dominé, de celui qui a la connaissance face à celui qui la reçoit. Nous avons une attention moins descendante, nous sommes davantage dans le partage, nous posons plus de questions ouvertes », résume Jean-Louis Laffilhe, coordinateur de la Maison de santé Rives de Mayenne à Cantenay-Epinard (49), professeur associé en service temporaire (PAST) à la Faculté de santé de l’Université d’Angers, et titulaire pendant près de 40 ans jusqu’en octobre 2018, date à laquelle il a vendu son officine à deux salariés. Dès 2008, il a participé au programme de réadaptation cardiaque (post infarctus) Etoppia, qui impliquait notamment le CHU d’Angers et 15 pharmaciens d’officines du Maine-et-Loire. « Lors de jeux de rôles à l’Université, les étudiants ont tendance à proposer au patient de se rendre dans la salle de confidentialité, pour engager la conversation. En pratique, nous n’avons pas toujours le temps de le faire. Même si nous prenons des mesures comme diffuser un fond musical, des séparations entre comptoirs, le comptoir n’est pas un lieu assez confidentiel. Les patients le savent aussi, ils n’y racontent pas forcément leur vie. Il faut savoir donner le signal que dans certaines situations, on peut utiliser l’espace de confidentialité ». Et de raconter une situation survenue lors d’un remplacement récent. Une personne lui parle de la diarrhée chez un enfant. Le pharmacien imagine vite bien d’autres problèmes derrière cette histoire. « J’ai profité d’une opportunité pour lui glisser : “Et vous comment allez-vous ?”. Finalement, j’ai réalisé qu’elle avait besoin de parler d’elle », raconte le pharmacien qui, lors d’entretiens en ETP, se place autour d’une table ronde, sans ordinateur « écran » entre lui et le patient. Depuis qu’il pratique l’ETP, au comptoir, il explique volontiers au patient que dans un premier temps, il va remplir les formalités administratives, avant de se rendre disponible pour parler.

Les expressions à bannir.

Au-delà de sa posture, le pharmacien sensibilisé à l’ETP change carrément de vocabulaire. « On a souvent le réflexe d’affirmer “prenez bien vos médicaments matin, midi et soir”. C’est l’attitude non éducative. On peut remplacer cette phrase par “Expliquez-moi comment vous prenez vos médicaments ?” », suggère Jean-Louis Laffilhe. Sa consœur, Stéphanie Satger, co-titulaire de la Pharmacie Satger à Loriol-du-Comtat (84), impliquée dans le programme Pharm’Observance (mené en PACA) et celui de la Maison de santé de Carpentras (en oncologie), observe le même type d’évolution chez elle. « Parfois, face à une femme à qui l’on vient de diagnostiquer un cancer du sein, on a tendance à être encourageant (car cette maladie se guérit généralement bien, NDLR ). Je ne le dis plus.

De fait, pour le patient, il s’agit de “son” cancer. On vient de lui apprendre la nouvelle et sa vie va changer. Pour lui, il n’y a pas de “petit” cancer ». Jérôme Sicard a le même type de réflexes. Ce titulaire de la Pharmacie Principale Sicard à Châlons-en-Champagne (51), qui a suivi une formation en ETP dans la foulée de la loi HPST (Hôpital, Patients, Santé et Territoires), a banni l’expression “bon courage !” de son vocabulaire. « Ça n’apporte rien et la personne repart avec son fardeau. A la place, elle doit sortir avec l’idée que nous restons en contact, que nous sommes là pour elle… Nous sommes un point d’ancrage ». Malgré tout, il est difficile de tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler. « Il m’arrive encore de dire à certains “comment ça va ?” », regrette-t-il.

Philippe Gauthier, titulaire la Pharmacie Gauthier à Issoire (63) et membre d’un programme d’ETP sur le diabète depuis 2012, abonde dans le même sens. « Par exemple, quand un patient change de traitement, j’adopte désormais une attitude moins médicale, davantage tournée vers son quotidien. Et face à quelqu’un de fataliste, qui refuse de prendre son médicament, au lieu de lui invectiver “quel dommage !”, j’essaie de comprendre pourquoi et quelles raisons pourraient le faire changer d’avis », explique le pharmacien. Par ailleurs, après avoir mené de nombreux ateliers en groupe sur le diabète, il a vu deux patients arrêter de prendre des médicaments parce qu’ils n’en avaient plus besoin. « C’est une sacrée victoire pour tout le monde ! », s’enthousiasme-t-il.

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Une fidélisation ressentie.

Quand il arrive que les patients suivis en ETP soient aussi clients de sa pharmacie, Philippe Gauthier remarque que ces gens-là sont « plus à même d’entendre les conseils prodigués au comptoir. Ils sont plus réceptifs et me posent des questions sur des détails évoqués durant les ateliers. Cela crée un climat de confiance bénéfique », poursuit-il. Jusqu’à fidéliser ? « Oui, bien sûr ! », concède celui dont les ateliers réalisés dans le cadre d’un programme d’ETP se déroulent systématiquement ailleurs que dans l’officine, pour éviter le mélange des genres. Même si ce n’est pas le but, la fidélisation est certaine, également pour François Rebier, titulaire de la Pharmacie de Beaumont à Hem (59), membre d’un programme concernant le suivi des diabétiques. Il organise des ateliers de groupe où chacun est incité à trouver sa solution : aller chercher le pain à pied et non en voiture, se garer un peu plus loin pour marcher… « Si je revois un de ces patients au comptoir, je constate qu’il ne se sent plus seul avec sa maladie. C’est un axe de fidélisation. La personne sent que son pharmacien a pris du temps pour lui et les autres, qu’il s’investit pour la santé en général. Les gens ont plus confiance pour me poser des questions », souligne le nordiste.

Une synergie interpro boostée.

La confiance se noue également entre les professionnels impliqués dans les programmes d’ETP. « C’est indéniable ! », affirme Sébastien Faure, pharmacien de formation, professeur de pharmacologie à l’Université d’Angers, à l’origine de plusieurs programmes d’ETP. « Cela ressort de tous les projets. Les professionnels discutent d’un même objectif, trouver la situation la plus favorable au patient et ils en oublient le pré-carré de chacun. Cela rapproche beaucoup les professionnels entre eux, ils apprennent à se connaître, à confronter leur exercice quotidien… ». Et ce, au-delà même du champ strict des “professionnels de santé”. Ainsi, Stéphanie Satger a profité des conseils de la socio-esthéticienne, membre d’un de ses programmes d’ETP. « Elle nous a éclairé sur ce qu’il est possible de faire sur les ongles, les mains, les pieds… Je lui ai aussi envoyé par mail une question sur la repousse des cheveux. J’ai également beaucoup interrogé la psychologue. On se rend mutuellement service », se réjouit la titulaire. L’ETP ouvre les chakras tous azimuts !

Des partenaires en soutien.

A leur manière, les laboratoires participent aussi à la mise en relation entre divers professionnels. « Faire financer l’ETP par l’industrie est compliqué. Je ne prône pas l’apport d’argent auprès des pharmaciens, mais l’industrie contribue avec ses compétences : sa connaissance des professionnels, des spécialistes, sa capacité à les faire se réunir… Elle peut aussi financer des supports de communication, faciliter des rencontres… », estime l’universitaire Sébastien Faure. Cela peut prendre la forme de formations non directement liées à un seul type de pathologie. Par exemple, des séances sur le comportement. « La méthode Herrmann, enseignée par Biogaran, conçoit la psychologie autour de quatre couleurs et permet de s’adresser différemment aux gens selon leur personnalité. Cela aide à prendre par la main un “vert”, au profil prudent, à interpeler le “bleu”, cartésien, pour qu’il trouve une solution… », explique François Rebier. Dans la même veine, des groupements fournissent des outils (lire encadré “En plus” p. 36). Ils accompagnent leurs adhérents pour épauler les patients dans l’esprit de l’ETP. Ainsi, François Rebier, adhérent Pharmavie, a créé un corner inspiré par le programme d’accompagnement OncoPharmavie, lancé en 2019, avec notamment les marques de cosmétique Même et Avène. « L’apport de Pharmavie a été marquant, car cela m’a permis de créer et d’identifier mon corner, maintenant visible de mes patients », se félicite le pharmacien. « Cet espace me donne la possibilité d’ouvrir plus facilement la discussion avec les patients. Ils repèrent mes deux descentes ornées d’un ruban blanc. C’est moins brutal que des mots comme “oncologie’” ou “cancérologie” ». Petit à petit, l’ETP influence la pratique au comptoir.

infos clés

1 Une fois impliqués dans des programmes d’éducation thérapeutique du patient (ETP), les pharmaciens adoptent une nouvelle posture et s’adressent différemment aux patients. Le besoin de confi dentialité se renforce, l’écoute change, les mots utilisés dans les conversations aussi.

2 Au-delà des programmes interprofessionnels agréés, les pharmaciens utilisent les leviers de l’ETP au comptoir. Les groupements, les laboratoires et d’autres prestataires mettent en place des outils pour les épauler. Et fidéliser.

7/10

c’est le nombre de fois où l’on observe une mauvaise observance chez un patient qui vient souvent prendre sa tension à l’officine.

Source : Etude Upsa/PHR.

En plus

PHR tous azimuts

Cette année, le groupement PHR a planifié avec le spécialiste du diagnostic du diabète, LifeScan, « des entretiens liés à l’usage des appareils glycémiques et à l’observance du traitement, qui seront rémunérés à hauteur de 15 € », précise-t-on chez PHR. De plus, le groupement collabore, depuis des années, avec Teva pour élaborer « des outils d’information et de formation ». Plus généralement, ses diététiciennes Team Pharma travaillent avec les compléments alimentaires Pileje et la marque de nutrition médicale Nutricia, pour accompagner les patients chroniques. Lucien Bennatan, président de PHR, espère aller encore plus loin. « Actuellement, le fait que les départements marketing de nombreux laboratoires portent ces services prouve que les industriels ne font pas des partenariats un axe de développement stratégique, mais un axe complémentaire de leur politique commerciale. Heureusement, certains d’entre eux entament déjà un changement d’attitudes. Aussi, cette activité devrait être, d’une manière forte, détachée du service marketing et intégrée à un service « relation retail », à créer. Cela évitera de voir des laboratoires proposer à tous les groupements et pharmaciens la même chose ! », écrit-il à Pharmacien Manager. « Au laboratoire de faire des choix, de dire quel est son métier, quel réseau il va accompagner pour développer quel type de service. On pourra alors parler de partenariats », poursuit-il.

Wellpharma et son « service oncologie »

Depuis octobre dernier, l’enseigne du groupement Objectif Pharma (Welcoop) propose un pack avec des formations, un protocole de suivi et un coffret (produits et livret de conseils, recettes) à remettre au patient.

Pharmactiv : un rdv onco

Le groupement a conçu un « rdv santé oncologie », valorisé l’an dernier avec Biogaran, Nutricia et Uriage. Un pack prêt-à-l’emploi, qui comprend une formation, un guide professionnel, des questionnaires types, des documents pour les patients… En 2020, une opération sera déployée avec Biogaran à l’occasion d’Octobre Rose.