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Comportements agressifs
Produit refusé, générique, déremboursement ou longue attente, les motifs de comportements agressifs de la part des clients sont légion à l’officine. Rester calme est un art… Et une règle d’or pour tout professionnel de santé.
Audrey pique un fard. Tétanisée par la réaction inhabituelle de sa cliente. « Vous pourriez me demander comment je vais, avant de me réclamer la carte vitale », vocifère Mme Dupont sous les yeux ahuris des autres clients et de ses deux bambins. À son habitude, Audrey, préparatrice de 32 ans, avait accueilli avec un bonjour affable la mère de famille, dès son entrée dans cette officine de village. Mais cette agression verbale saugrenue la déstabilise. Elle marmonne un : « Je m’excuse », à peine audible, avant de se s’enfuir chercher les produits prescrits sur l’ordonnance. Fin de la scène. On peut imaginer sans peine combien fut pénible la délivrance dans le mutisme partagé des deux protagonistes frustrés. L’une repartant avec sa colère, l’autre ruminant une culpabilité inadaptée. Dans cette histoire, rien de bien original. L’officine est un théâtre où se joue la vaste gamme des émotions. Les comportements agressifs y ont leur place. Et les occasions ne manquent pas pour qu’ils s’expriment.
Des comportements agressifs identifiés. « Plus on est confronté au public, plus les risques sont grands d’avoir des comportements agressifs en face de soi », explique Agnès Rettel, psychothérapeute et formatrice. Selon l’enquête Sumer 2003 (1), près de trois salariés sur quatre travaillent en contact avec le public. Parmi eux, 22 % déclarent avoir subi une agression verbale et 2 % une agression physique dans les douze derniers mois. Parmi les métiers les plus touchés, figurent les postiers, les employés de banque, les agents de sécurité et… les professions de santé. D’après le sondage Porphyre réalisé sur (voir encadré page suivante), vous êtes près de 75 % à reconnaître avoir vécu des situations agressives à l’officine de la part des clients. Vous avez tous affronté un jour ou l’autre un client tempêtant : « Quoi, mon ordonnance n’est plus valable ? Mais j’en ai besoin de mon médicament ! » Produit manquant, substitution imposée des princeps par les génériques, déremboursement de spécialités, sont quelques-unes des situations engendrant des comportements agressifs au comptoir, la palme revenant au refus d’un produit pour près de 60 % des sondés. « Les clients râlent aussi quand le temps d’attente pour les servir est jugé trop long », témoigne Géraldine, préparatrice en pharmacie de 29 ans. Ils ont parfois du mal à comprendre pourquoi telle personne continue de ranger les commandes alors que la pharmacie est noire de monde. »
Humaine est l’agressivité. Il suffit d’évoquer le mot « agressivité », pour que les exemples fusent. Avant même de définir le terme. « On ne se pose pas la question, parce que chacun croit que sa représentation est la bonne », répond Agnès Rettel. Du latin agressio, l’agression est une tendance à attaquer. « On confond souvent agressivité et comportement agressif. L’agressivité est quelque chose que l’on a en soi et qui sert à nous défendre contre ce qui nous menace, contre un danger réel ou imaginaire », poursuit la psychothérapeute. Pour Yves-Pierre Coris, consultant et formateur chez Coméos Compétences : « L’agressivité est une énergie disponible. » Les psychanalystes et les éthologues (2) la qualifient de pulsion, au même titre que la faim ou la sexualité. « Dans ce cas, elle sert à structurer la hiérarchie dans un groupe ou à faire valoir nos besoins, poursuit Agnès Rettel. Pour les comportementalistes, l’agressivité est acquise par l’expérience, l’éducation ou l’observation de modèles. » En elle-même, elle ne serait donc pas nuisible, « c’est la façon dont on s’en sert qui peut l’être », explique la psychothérapeute. On peut l’utiliser pour combattre une maladie ou se défendre, mais on peut aussi y recourir pour détruire l’autre, voire nous-même lorsqu’on la retourne contre soi. Valorisée dans certaines cultures comme celle des « gangs » ou rejetée par d’autres, comme la culture bouddhiste, l’agressivité ou plutôt les comportements agressifs dans notre société regroupent plusieurs niveaux :
– les incivilités,
– les menaces, les insultes, l’ironie ou la causticité,
– l’agressivité physique ou passage à l’acte avec bousculade,
– et enfin, la véritable attaque.
La face cachée des agressions. Si l’agressivité sert à se défendre, pourquoi un simple refus de délivrance ou une longue attente transforme n’importe quel Dr Jekyll en Mister Hide revendicatif au comptoir ? Outre la peur et l’impression d’un danger imaginaire ou réel, certaines situations peuvent induire de l’agressivité : la douleur, certains dérèglements physiologiques comme les maladies neurologiques, tumorales, hormonales (thyroïde, diabète…) ou psychiatriques. Avec le déni, le marchandage ou la dépression, l’agressivité fait partie des étapes du « mourir » et des phases que traversent certains malades cancéreux notamment. De même, certaines personnalités ne savent pas s’exprimer ou s’affirmer autrement que par l’agressivité. « Dans certains milieux, l’individu agressif suscite le respect. Donc, on aura tendance à reproduire ce comportement pour être reconnu à son tour en grandissant », suggère Agnès Rettel. On peut aussi citer l’intolérance à la frustration : « L’agressivité permet d’exercer un pouvoir pour obtenir ce que l’on veut », note Yves-Pierre Coris. Autres facteurs sous-tendant l’agressivité, le poids de l’histoire personnelle ou une basse estime de soi qui repose sur trois piliers d’après Christophe André et François Lelord, psychiatres et auteurs de « L’estime de soi » (3). L’amour de soi – s’aimer malgré ses défauts – dépend en grande partie de l’amour que notre famille nous a prodigué. Deuxième pilier, la vision de soi est la conviction subjective de nos qualités et de nos défauts, en rapport avec notre environnement familial et des projets que nos parents formaient pour nous. Enfin, la confiance en soi qui s’applique à nos actes – penser que l’on est capable d’agir de manière adéquate – est le résultat de l’éducation et de l’école. « Celui qui a une estime de soi basse se sent plus vite attaqué », explique Agnès Rettel. Se considérant en danger, il peut devenir violent. Enfin, l’agressivité peut se manifester lorsque l’individu voit une de ses valeurs fondamentales bousculées. Politesse ou sens de la justice, par exemple. « Plus la valeur que l’on estime malmenée est importante dans notre hiérarchie, plus la réaction peut être vive », pointe Agnès Rettel. Si un client monte le ton lorsque son médicament n’est plus remboursé, son haut sens de la justice est peut-être mis à mal !
OEil pour oeil… Face à un mot ou une attitude jugée agressive, l’officinal ressent et réagit de différentes manières, selon son éducation et ce peut être « oeil pour oeil, dent pour dent ». « Sans un « bonjour », le client m’a tendu l’ordonnance. J’ai dit : « bonjour » en appuyant et en l’absence de réponse, j’ai délivré sans un mot », justifie Géraldine qui ne plaisante pas avec la politesse ! « L’agressé – l’officinal dans ce cas – peut estimer que l’agresseur – le client – ne l’a pas respecté ou lui a manqué de reconnaissance. Il peut se sentir désavoué ou insuffisamment pris en compte », explique Agnès Rettel. Comme les agresseurs potentiels, l’officinal est soumis aux fluctuations physiologiques. Le manque de sommeil, la dispute avec le conjoint, la faim ou la fatigue sont les gouttes d’eau prêtes à faire déborder le vase des réactions inadaptées face aux agressions en tout genre. Le stress est indéniablement un grand pourvoyeur de comportements agressifs. L’échelle Holmes-Rahe, utilisée pour calculer le niveau de stress et déterminer la probabilité que la santé soit affectée au cours de l’année qui vient, identifie les évènements les plus stressants. Décès du conjoint, divorce, séparation, maladie, mariage et réconciliation avec le conjoint sont en haut du panier. Pas étonnant que la collègue fraîchement divorcée soit plus apte à montrer les dents ! Sans compter sur l’officine elle-même, lieu décrit comme stressant pour plus de la moitié des préparateurs interrogés. « Tout changement qui induit une adaptation peut générer du stress, comme l’installation d’un nouveau logiciel », fait remarquer la psychothérapeute. De même, un management inexistant ou malhabile peut perturber le besoin de reconnaissance de certains préparateurs qui se donnent un mal fou pour bien faire leur métier. « Il n’y a aucun esprit d’équipe dans notre officine, chacun bosse comme il veut, relate Brigitte, préparatrice de 42 ans. Au moindre conflit, c’est à chacun de se débrouiller. »
Calme et fermeté. Chacun a sa recette, mais un bon entraînement peut permettre de gérer toutes ces situations agressives. « Tout d’abord, vous devez arrêter de dire : « il m’agresse » parce que dans ce cas, vous allez être obligé de vous défendre », explique Agnès Rettel, « Dîtes : « il ou elle est agressif », ainsi vous lui laissez la responsabilité de son émotion et de son comportement et vous n’êtes pas obligé de vous défendre. » Ensuite, on va réfléchir au pourquoi de tel comportement. Que s’est-il passé chez ce client ? Quelles étaient les intentions exprimées lorsqu’il a par exemple, balancé son ordonnance sur le comptoir ou n’a pas dit bonjour ? Cela permet de distinguer l’intention de l’autre dans ses actes et l’impact généré chez soi. Puis, on pose des hypothèses. « Peut-être a-t-il eu peur face à mon refus de lui délivrer le produit », soumet la psychothérapeute. Il n’est pas rare en effet que M. Durand redoute des nuits sans sommeil en l’absence de son somnifère que vous lui refusez sans son ordonnance. Mais attention à la lecture de pensée. « Évitez de penser à la place de l’autre, suggère-t-elle, cela peut agacer ». Le : « Tu dis ça parce que tu es fatigué » et la réponse classique : « Non ce n’est pas vrai ! », est un excellent exemple d’escalade ! Donc, pas de plan sur la comète, une hypothèse se vérifie toujours auprès de l’autre. Si aucune ne semble satisfaisante, on peut poser clairement la question : « Comment se fait-il que vous soyez fâché ? » C’est ce qu’aurait pu faire Audrey face à l’agressivité incongrue de Mme Dupont. Et dans ce cas, on laisse l’autre s’exprimer en l’écoutant réellement… Cette porte de secours, indispensable, permet à l’autre de sentir qu’il est reconnu. La cliente aurait pu parler de son angoisse de la maladie ou de l’attente chez le médecin dans une salle surchauffée…
Point de justification. Si l’officinal doit faire preuve de compréhension et présenter ses excuses en cas d’erreur, se justifier est à bannir. Le « Oui, mais c’est parce que » indique que l’autre a raison de vous engueuler. « Cela conduit à se poser comme la victime d’une agression et le rapport d’égalité n’est plus possible », suggère la psychothérapeute. Ainsi Audrey n’avait pas à se sentir en faute. La demande de la carte vitale après avoir salué sa cliente est une procédure classique à l’officine. « Je gère les situations agressives avec calme et fermeté. Et j’essaie toujours d’avoir une attitude amicale ou joviale, cela évite souvent que le client me « rentre » dedans », détaille Francis, préparateur de 52 ans, 30 ans d’expérience et tempérament plutôt posé. Valérie, préparatrice de 42 ans, a une technique : « Tout d’abord, je laisse mes soucis personnels à l’extérieur de l’officine. Puis, je dédramatise. Bien que susceptible, je sais que les clients ne s’en prennent pas à moi, mais à un système. Sans compter que la plupart sont malades ou ne sont pas bien dans leur vie. » Et la psychothérapeute Agnès Rettel confirme : « La personne censée être polie et garder son calme est celle qui porte une blouse blanche. Si l’officinal n’est pas capable de se dire « OK » , cette situation n’est pas grave, il doit peut-être envisager de travailler avec des personnes autres que des malades. »
(1) Enquête de la Direction des relations du travail (Inspection des relations du travail) et de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) qui dresse un état des lieux des salariés aux principaux risques professionnels en France métropolitaine.
(2) Ethologue : spécialiste de la science des comportements des espèces animales dans leur milieu naturel.
(3) L’estime de soi, Christophe André et François Lelord, Éd. Odile Jacob, 1999.
Des formations sur mersure
Plusieurs organismes proposent des formations pour les équipes officinales
• L’OCP et « Professionnaliser le dialogue dans les situations difficiles ». Sur une journée, grâce aux méthodes de Marie Maquaire, vous apprendrez « les relations humaines » et comment gérer l’agressivité des clients ou analyser son ressenti face à la maladie de ses patients. Contact : 01 49 18 72 43. Prochaines dates : Nevers (12.02), Bourges (09.03), Saintes (12.03), Grenoble (09.04)…
• Coméos Compétences organisme propose une formation sur la gestion de l’agressivité au comptoir pour les officinaux. Contact :05 61 44 01 32.
• La faculté de Nancy propose de nombreuses formations, dont : « Prévenir et gérer l’agressivité et la violence verbale », avec Agnès Rettel. Contact : Marie Goupil, 03 83 68 28 64
PsychologieAdopter la zen attitude
Porphyre a demandé à Agnès Rettel, Marie Maquaire et Yves Pierre Coris, psychothérapeutes et formateurs interrogés* pour l’enquête des conseils pour prévenir et gérer l’agressivité à l’officine.
Si le ton monte
Le regarder et lui montrer qu’on l’écoute par de petits hochements de tête.
Le laisser vider son sac.
Attendre 1 à 2 secondes avant de reformuler et de proposer une solution.
Parler moins fort et moins vite.
Reculer pour laisser un espace entre lui et vous.
Ne pas lui tourner le dos.
Essayer de le faire bouger (l’émotion peut un peu tomber).
Évitez de le contredire, de l’interrompre ou de vous justifier.
Si le client est fermé et ne verbalise pas
Ne pas décortiquer ce qui ne va pas, ce n’est pas votre boulot ! Cela risque de prendre du temps, voire de dégénérer et de contaminer les autres clients.
Délivrer en demandant s’il a besoin d’autre chose.
Si on n’est pas « dans son assiette ».
Le dire à ses collègues : « aujourd’hui j’ai eu ma dose, peux-tu me remplacer au comptoir ? »
Si vous avez fait une erreur
Ne pas se justifier, mais s’excuser. Si c’est un autre membre de l’équipe qui s’est trompé, s’excuser au nom de la pharmacie.
S’isoler sous condition. Si le ton monte, on peut proposer au client d’aller dans une autre pièce, mais attention, soit il peut dire : « je n’ai rien à cacher » et s’énerver de plus belle. Soit, vous le faîtes en prenant des précautions : le dire aux collègues en demandant de venir voir au bout de quelques minutes si tout va bien et rester près de la porte. Si le client refuse, dire alors : « je suis obligée d’arrêter, il y a beaucoup de monde, je ne peux pas m’occuper de vous plus longtemps. »
En cas d’agression physique
Ne pas hésiter à appeler le Samu ou la police.
En cas de coups, portez plainte.
Prévenir les comportements agressifs
Gérer au mieux l’attente et les besoins des patients : venir en masse au comptoir en cas d’affluence, proposer des sièges aux personnes âgées…
Répondre au mieux aux demandes et proposez toujours une solution (dépannage, livraison…).
Dépanner à bon escient.
Essayer de trouver un compromis entre délivrance exceptionnelle et systématique. Si un patient exagère, préciser que c’est la dernière fois et tenir bon.
Face aux personnalités agressives
Savoir les reconnaître : c’est celui qui râle tout le temps, parle fort, engueule son conjoint, veut être le chef…Tout petit, il fallait qu’il soit fort pour se faire respecter et la seule émotion qu’il ait trouvée pour tester l’autre est la colère.
Rester ferme, il se sert de la colère pour vous tester. En lui tenant tête, il vous considère fort et si vous le respectez de cette façon, cela signifie qu’il l’est aussi !
Face à un client se plaignant perpétuellement (« psychosomatique »)
Ne pas se sentir concerné.
Ne pas chercher de solutions à sa place.
Mettre fin à la plainte en disant par exemple : « je vous prie de m’excuser, je vais devoir servir les autres clients. »
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