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C’est pour la vie ?

Publié le 1 mai 2005
Par François Cusset
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Contrairement à leurs anciens, la plupart des pharmaciens adjoints le resteront toute leur vie professionnelle. Qui sont-ils, à quoi aspirent-ils, comment voient-ils leur avenir ? Réponses.

Je m’installerai peut-être un jour mais, pour avoir vécu une installation avec Sylvain et Laurence, mes titulaires, je sais le travail et les sacrifices que ça représente. On verra plus tard… Pour l’instant je me sens bien dans ma peau d’adjointe et j’ai envie de profiter de ma vie de famille. » Jeanne Élie, 27 ans, est pharmacienne adjointe depuis deux ans à la Pharmacie du Maupas à Verneuil-sur-Seine, dans les Yvelines. Une officine reprise en août 2002 par Sylvain et Laurence Lavergne, tous deux alors âgés de 27 ans. Jeanne a connu trois autres pharmacies auparavant. « Mais là je suis vraiment très bien tombée, avec des titulaires géniaux qui voient le métier de la même façon que moi, toute une équipe très dynamique, un salaire correct et 35 heures de travail par semaine qui me laissent du temps pour autre chose », confie Jeanne.

À la Pharmacie du Maupas, pas ou très peu de pesanteur hiérarchique entre les trois pharmaciennes adjointes, les quatre préparateurs – dont un seul homme – et le couple de titulaires. Celui-ci s’appuie sur deux piliers : une adjointe, Jeanne Élie, responsable de l’activité médicament, et une préparatrice, Olivia Cantel, responsable de l’activité parapharmaceutique. Le tandem épaule véritablement les titulaires en termes de management. « Nos critères de recrutement sont plus basés sur la compétence que sur la nature du diplôme, tient à souligner Sylvain Lavergne. Si nous ne raisonnions qu’en termes de chiffre d’affaires, nous n’aurions besoin que de deux pharmaciens adjoints pour le moment. Mais avec 65 heures d’ouverture par semaine et étant donné l’obligation de présence d’un pharmacien à tout moment dans l’officine, avoir plusieurs adjoints à nos côtés nous permet de mieux gérer le planning et surtout de nous permettre à ma femme et moi de prendre des jours de repos. »

Valérie Mayer y trouve elle aussi son compte. Avant de suivre son mari en région parisienne et de signer pour un temps partiel (80 %) à la Pharmacie du Maupas en février 2004, cette pharmacienne adjointe de 34 ans a déjà neuf années d’expérience dans une officine grenobloise. « Je suis contente d’avoir changé pour voir autre chose : une pharmacie dirigée par des patrons très jeunes qui essaient d’impliquer tous les membres de l’équipe et où tout est centré sur la satisfaction du client, explique-t-elle. J’ai toujours en tête de m’installer un jour, si possible à Grenoble. Mais si je reste adjointe toute ma vie dans une officine comme celle-là, je n’en ferais pas une dépression. L’essentiel est de travailler dans une pharmacie où l’on se sent bien, avec possibilité de s’investir dans d’autres tâches que celles du comptoir et de progresser au niveau du salaire. »

D’assistant à adjoint.

Les adjoints des années 2000 n’ont plus les mêmes facilités que les assistants des années 60, 70 et même 80, qui pouvaient raisonnablement envisager de devenir titulaires. Et pour cause : en 25 ans, leur nombre a plus que doublé, passant d’à peine plus de 10 000 en 1980 à près de 25 000 au 1er janvier 2005. Encore plus que les autres catégories de pharmaciens, celle des adjoints s’est par ailleurs phénoménalement féminisée en un quart de siècle : plus de quatre adjoints d’officine sur cinq sont aujourd’hui des adjointes, beaucoup moins candidates à l’installation que les hommes.

D’assistant à adjoint, le changement d’intitulé catégoriel intervenu en 2002 avait pour objectif de prendre acte de ces changements et de valoriser la fonction. « Il s’agissait de créer un électrochoc pour faire comprendre que le métier avait changé et était encore appelé à évoluer, explique Jérôme Paresys-Barbier, pharmacien adjoint, président de la section D de l’ordre des pharmaciens. Mais aussi que les assistants devaient devenir de véritables piliers sur lesquels les titulaires doivent s’appuyer. Dans leur grande majorité, je crois que les adjoints ne souhaitent pas devenir titulaires ou cotitulaires immédiatement, compte tenu des conditions d’installation qui sont proposées. Ils veulent surtout exercer leur métier de pharmacien en ayant cependant des responsabilités au sein de l’officine. Par exemple en tenant un rôle de courroie de transmission entre titulaires et préparateurs. »

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Les adjoints sont bien conscients de cette évolution et de la perspective, pour beaucoup, de rester adjoints durant toute leur vie professionnelle. « L’assistanat va devenir un métier à part entière, alors qu’avant c’était pour apprendre le métier et s’installer ensuite, estime Pascale Congy, 47 ans, l’une des douze adjointes de la Pharmacie des Arceaux à Montpellier. Être adjoint à vie, pourquoi pas ? Mais à condition qu’il y ait une évolution de carrière possible. » Adjointe dans cette même officine depuis trois ans, Fabienne Moullin a 28 ans et déjà deux autres expériences derrière elle. S’installer un jour, elle n’écarte pas l’hypothèse : « Quitte à travailler, autant travailler pour soi, soutient-elle. Mais je me sens encore un peu trop jeune pour ça. Et puis, dans quelques années, avec les départs en retraite de titulaires de la génération du baby-boom, il y aura sans doute plus d’opportunités. »

Effectivement, le président de l’ordre des pharmaciens le confirmait encore le mois dernier en se félicitant de l’augmentation du numerus clausus, passé de 2 600 étudiants en 2004 à 2 790 en 2005 : « Les départs en retraite ne concernent pas encore les générations nombreuses des diplômés des années 70, rappelait Jean Parrot. Dans six ou sept ans […], nous y serons et les départs se multiplieront. »

D’adjoint à titulaire.

Bien que jeunes, malgré une diminution constante du nombre de cessions et le niveau élevé des transactions, certains ont choisi de ne pas attendre ces jours meilleurs annoncés. Après seulement deux années d’assistanat dans une officine de Miramas, c’est le cas de Christine Brisson, 31 ans, installée depuis fin 2001 à Saint-Chamas, toujours dans les Bouches-du-Rhône. D’abord en association avec l’ancienne titulaire – aujourd’hui retraitée –, elle maintenant seule aux commandes d’une équipe de sept salariés : une assistante, trois préparatrices, une vendeuse, une déconditionneuse et une femme de ménage. « Je voulais m’installer, mais plutôt une dizaine d’années plus tard. Grâce à un montage en SNC (1) qui a permis de limiter notre apport à 10 % à deux alors que le niveau moyen était de 15 à 20 %, l’opportunité était trop belle, assure Christine. Je ne regrette vraiment pas, même s’il y a un fossé entre le quotidien d’adjoint et celui de titulaire : beaucoup plus de pression, des responsabilités vis-à-vis des salariés, des tâches administratives et de gestion auxquelles je n’avais pas du tout été préparée en fac avec quatre heures de comptabilité en six ans d’études ! Je suis passée de 35 heures par semaine à 14-15 heures par jour, je n’ai pas pris de vacances depuis trois ans et je ne m’autorise qu’un SMIC pour encore au moins un an, mais je suis plus sûre de moi et beaucoup plus épanouie qu’avant. »

Après deux années d’assistanat, pour moitié dans une très grande pharmacie, celle des Arceaux à Montpellier, pour l’autre dans une officine rurale de Lozère, Carine Charron, 28 ans, est depuis un an cotitulaire de l’une des six pharmacies d’Aubenas (Ardèche), sa ville natale. Christine a bénéficié d’une aide financière de ses parents et a pu prendre des parts dans la SNC qui emploie sept personnes dont un adjoint et trois préparateurs. « Mes deux années d’assistanat m’ont été utiles pour devenir cotitulaire, estime-t-elle, même si je n’avais pas vraiment goûté à la gestion et à l’administration. Aux Arceaux, j’ai pu voir tout ce qui se passe dans une pharmacie à la puissance 20, avec beaucoup de stock, une fréquentation énorme, des clients très différents. C’est la meilleure école. En Lozère, où j’étais la seule adjointe, avec deux cotitulaires et deux préparatrices, j’ai pris davantage conscience de la façon dont fonctionne une entreprise officinale. Si j’ai un conseil à donner à des adjoints souhaitant s’installer, c’est de ne pas hésiter à se lancer, mais en travaillant d’abord dans plusieurs officines de profils différents. »

Enquête flash

Mais il ne faut pas s’y tromper : les installations sont moins nombreuses que par le passé et n’expliquent pas la pénurie d’adjoints constatée depuis plusieurs années. Certes, la tendance récente est à l’amélioration, mais il manquerait encore un millier d’adjoints à travers la France, davantage dans la moitié nord que sud, en zone rurale que dans les villes. Nombre de titulaires feignent de l’ignorer, mais cette pénurie d’adjoints – comme celle de préparateurs – s’explique surtout par des niveaux moyens de salaire estimés trop bas et l’absence de plan de carrière.

Comme les préparateurs (voir Porphyre n° 410) et la plupart des Français aujourd’hui, les adjoints sont peu syndiqués : moins de 8 %, selon un sondage réalisé l’an dernier par Le Moniteur des pharmacies. « Quand ils ont un problème, ils appellent souvent l’Ordre en premier lieu, car beaucoup ignorent l’existence même de notre syndicat, pointe Franz Hauser, pharmacien adjoint d’officine et secrétaire national de la section des pharmaciens adjoints du Syncass-CFDT, représentée dans toutes les instances officielles de la pharmacie d’officine. Nous avons malgré tout plusieurs centaines d’adhérents – surtout en région parisienne, en Alsace, en PACA – et nous nous battons sans relâche pour faire entendre leurs voix, poursuit Franz Hauser. Depuis des années, nous revendiquons un salaire minimum correspondant au plafond de la Sécurité sociale (2) pour une véritable reconnaissance du statut de cadre des adjoints. L’instauration d’un plan de carrière et la reprise de l’ancienneté en cas de changement d’officine sont aussi parmi nos principales revendications. Car pour nous, la pénurie d’adjoints s’explique surtout par l’absence de plan de carrière. »

Les titulaires s’efforcent d’apporter des réponses au mal-être de bon nombre de leurs salariés. « Il faut être cohérent, on ne peut pas demander beaucoup à des collaborateurs sans les récompenser, estime Sylvain Lavergne. L’intérêt d’une microentreprise, c’est de fidéliser son personnel en lui donnant la possibilité de prendre des responsabilités. Par leur formation, les compétences initiales ne sont pas les mêmes. Mais il n’est pas normal qu’il y ait parfois une telle différence de rémunération entre préparateurs et adjoints, pour presque le même travail. »

Payer au dessus de la grille.

Cette revalorisation salariale est aussi le parti pris de Guy Toscano, titulaire à Miramas (Bouches-du-Rhône), installé depuis 1973, à la tête d’une équipe de douze salariés, dont trois pharmaciens et cinq préparatrices : « J’ai toujours payé au-dessus de la grille et je plaide pour la suppression du statut d’adjoint au profit de celui d’associé, afin que les pharmaciens salariés puissent entrer dans le capital de l’officine. Les adjoints et les préparateurs ont toute leur place dans l’officine de demain, soutient Guy Toscano. Mais il leur faut acquérir des compétences complémentaires. Il y aura de la place pour des “superpréparateurs”, des pharmaciens adjoints de qualité et des titulaires qui délèguent. Comme les préparateurs ne sont pas faits pour réceptionner les commandes, mettre en rayon et faire la poussière, mais pour être au contact du patient et donner du conseil complémentaire, les adjoints ne doivent pas être cantonnés au seul comptoir. »

À la Pharmacie des Arceaux, Daniel Sincholle, l’un des deux cotitulaires, entend faire évoluer l’organisation de son équipe : « Nous allons certainement mettre en place une équipe de direction composée de deux ou trois adjointes chevronnées et, peut-être, d’un ancien titulaire que nous recruterions en externe, dévoile-t-il. Et créer ainsi un échelon intermédiaire entre les deux cotitulaires et les adjoints. »

(1) Société en nom collectif.

(2) Plafond mensuel de la Sécurité sociale : 2 516 € (brut).

Interview

Élections de l’Ordre du 6 juin : les adjoints d’officine mieux représentés

A compter du mois prochain, la section D de l’ordre national des pharmaciens comptera 29 adjoints parmi ses membres, contre deux auparavant. Explications avec Jérôme Paresys-Barbier, président de la section D et pharmacien adjoint d’officine à Bordeaux.

Quel est le grand changement prévu aux prochaines élections de juin ?

La section D va être réformée. Jusqu’à présent, elle regroupait des pharmaciens salariés de tous horizons. Après les élections de juin, les pharmaciens de l’industrie et de la répartition inscrits à la section D vont rejoindre respectivement les sections B et C qui ne comptaient que les responsables de ces mêmes secteurs. Enfin, une nouvelle section, baptisée H, va regrouper les pharmaciens hospitaliers. En définitive, la section D se recentre autour des adjoints d’officine, bien qu’elle compte encore des salariés issus d’autres secteurs tels que l’humanitaire ou les gaz médicaux.

Il s’agit d’une réorganisation par secteur d’activité. Peut-on imaginer un jour titulaires et adjoints dans la même section ?

Pourquoi pas dans une dizaine d’années…

Les représentants la section D n’auront jamais été aussi nombreux…

Le nombre total d’élus titulaires va passer de 14 à 33. Mais, surtout, c’est le nombre de représentants de l’officine qui explose… Cela tient à la nouvelle restructuration. Nous allons passer de 2 à 29 titulaires afin de représenter l’ensemble des régions. La nouveauté tient à ce que chaque région élira au moins un tandem de représentants, le titulaire et son adjoint. Certaines régions plus importantes éliront deux tandems (PACA, Rhône-Alpes, Aquitaine…), voire trois (Île-de-France).

Qui seront les représentants autres que ceux de l’officine ?

Un pharmacien mutualiste, un pharmacien d’un autre secteur tel que la Sécurité sociale ou l’humanitaire, l’un et l’autre élus également en tandem, c’est-à-dire ayant un suppléant, et enfin deux représentants nommés par l’État : un professeur des universités et un pharmacien inspecteur.

Pourquoi n’y a-t-il pas eu, avant vous, d’adjoint d’officine président de la section D ?

Par concours de circonstances plus qu’autre chose… Avec 29 titulaires sur 33, la section D sera en tout cas demain à l’image de ce que les confrères voudront qu’elle soit.

À quoi sert l’Ordre pour les adjoints ?

À répondre à tous leurs questions sur la profession en dehors des questions sociales.

D’assistant à adjoint, le nom de la fonction a changé il y a trois ans. Pourquoi ?

Il s’agissait de faire comprendre que le métier avait changé, qu’un adjoint est un collaborateur qui est là pour durer, un pilier sur lequel on peut et on doit s’appuyer. Certains adjoints souhaitent devenir titulaires mais beaucoup veulent rester salariés, tout en assumant pleinement leur rôle. Avec, en perspective, la possibilité bien sûr d’entrer dans le capital de l’officine où ils travaillent.

Quel est l’avenir de l’adjoint à l’officine ?

L’avenir de ce métier appartient aux confrères qui l’exercent. Référent réseau, assurance qualité, être à l’écoute des patients, des collègues : si le pharmacien adjoint n’a pas d’avenir à l’officine, celle-ci n’en n’a pas non plus.

Les métiers de préparateur et d’adjoint ne s’entrechoquent-ils pas ?

Non, pour moi ils sont absolument complémentaires, avec une formation différente et chacun ses spécificités. D’ailleurs, la section D n’a jamais été saisie de cas de conflit entre adjoint et préparateur, en tout cas ces dernières années.