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Bienvenue en 2040 !

Publié le 1 octobre 2020
Par Yves Rivoal
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Des professionnels issus du monde officinal nous ont livré leur vision de la pharmacie en 2040. C’est à partir de ces témoignages que nous avons imaginé ce récit de science-fiction. A travers le quotidien de son héroïne, Aurélie, jeune quinquagénaire qui débute sa journée du 7 novembre par deux rendez-vous à l’officine de Labruguière, Bienvenue en 2040 dépeint autant un monde vers lequel on n’a pas envie d’aller, qu’un futur proche désirable, où tout ce qui dysfonctionne dans le système actuel est dépassé. Ces hypothèses s’inspirent d’évolutions déjà en marche. Certaines sont exagérées, d’autres très crédibles.

Comme tous les matins, c’est la voix d’Otis Redding fredonnant « (Sittin’ on) The Dock Of The Bay », qui me réveille en douceur. J’adore cette chanson. Elle me rappelle les deux années que j’ai passées chez Google dans la Silicon Valley, juste après avoir obtenu mon master en marketing digital à l’ESCP Paris, en 2015. Cela fait maintenant 23 ans que je vis à Labruguière, une commune de 6 000 habitants située à 8 km de Castres (81), où je travaille pour une start-up spécialisée en gestion de l’eau en agriculture. Depuis mon divorce et le départ de mes deux filles, étudiantes à La Sorbonne à Paris et à Stanford en Californie, je vis seule dans la demeure familiale avec pour seul compagnon, Elliot, un petit robot nourri à l’IA qui m’a fait vite oublier mon ex-mari. A la maison, c’est lui qui s’occupe de tout ou presque. Il actionne l’aspirateur, ouvre ou ferme les volets roulants et il prépare la liste des courses, que je n’ai plus qu’à valider sur mon smartphone pour déclencher la livraison à domicile… Comme il me connaît par cœur, il sait aussi quand je suis à prendre avec des pincettes ou comment me remonter le moral. Au petit-déjeuner, après m’avoir fait couler le café et m’avoir demandé si j’ai bien dormi, il me rappelle le programme de ma journée.

En ce mercredi 7 novembre 2040, le soleil brille et les températures sont douces. Le thermomètre affiche 20 °C, ce qui confirme le réchauffement climatique. J’enfourche mon vélo électrique pour commencer ma journée par deux rendez-vous à la pharmacie : une téléconsultation avec le professeur Thomas, neurologue au CHU de Toulouse, qui me suit depuis que je prends un traitement pour prévenir de la maladie d’Alzheimer. Et dans la foulée, l’entretien mensuel avec Amir, mon coach santé.

Autrefois située en centre-ville, la pharmacie de Labruguière est désormais implantée au sein d’un centre de santé, à côté d’un Intermarché. Marie, une amie d’enfance qui dirige l’officine avec deux autres titulaires, est à l’origine de cette nouvelle structure, qui lui a permis de tripler sa surface de vente et de fédérer à l’étage un centre médical, abritant les deux derniers médecins de la commune, cinq infirmières, un dentiste et deux kinésithérapeutes.

La pharmacie de ville a beaucoup changé ces vingt dernières années. Moins nombreuses qu’auparavant (environ 15 000 sur l’ensemble du territoire), les officines sont devenues plus grandes et se positionnent désormais comme des centres de bien-être et de santé. Il faut dire qu’en vingt ans, la concurrence s’est intensifiée. Amazon, Leclerc et consorts… ont obtenu le droit de vendre des médicaments OTC et les pharmacies en ligne se sont énormément développées. A cela s’ajoute les méga officines conçues comme de véritables supermarchés de la para et du médicament. Et face à un contexte de vieillissement de la population, de désertification médicale, de montée en puissance de la médecine ambulatoire, les officines se sont recentrées sur leur cœur de métier, pour s’imposer comme un point d’entrée sur tout ce qui touche au bien-être, à la prévention primaire, aux soins de premier recours et à l’accompagnement thérapeutique. Ces quatre univers structurent également la pharmacie de Marie et sont en phase avec le nouveau plan national de santé publique, qui vise à maintenir en bonne santé, le plus longtemps possible, une population vieillissante. Signe des temps, la rémunération des pharmaciens est d’ailleurs totalement déconnectée de la vente de médicaments, 100 % de leurs revenus provenant des honoraires.

Dans la pharmacie de Marie, un tiers des 500 m2 de la surface de vente est consacré à la para et à la dermo-cosmétique, avec une sélection de produits tous estampillés bios ou naturels et orientés vers le soin. Cela fait bien longtemps que les consommateurs ont banni les produits contenant des additifs à risque, au profit de l’herboristerie, la phytothérapie, les huiles essentielles, les probiotiques… Un préparatoire permet également à l’équipe officinale de concocter des solutions à base de plantes médicinales, d’herbes et de formules naturelles. Le reste de la surface de vente est dédié aux trois autres grands univers (prévention, soins, et accompagnement thérapeutique), qui possèdent tous une zone d’attente et de détente, une salle de confidentialité et un corner d’exposition de produits.

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L’agencement fait, lui aussi, la part belle à la naturalité. Le parquet au sol, le mobilier en bois et en verre, l’éclairage doux et diffus, l’ambiance musicale, le mur végétal ou l’omniprésence des plantes suspendues donnent une impression de légèreté et de bien-être lorsque l’on déambule entre les rayons vierges de toute publicité. Les espaces d’attente et de détente sont, eux, idéaux pour se relaxer !

Installée confortablement sur un canapé en cuir de la zone d’attente de l’espace dédié à l’accompagnement thérapeutique, je remplis un questionnaire d’observance qui s’est affiché sur mon smartphone. Chloé, une collègue de la Zumba, vient s’asseoir à côté de moi. Depuis trois mois, elle est traitée pour un cancer du sein. Elle a rendez-vous avec le référent oncologie de l’officine, qui la suit pour les effets secondaires. Grâce aux arbres décisionnels nourris à l’IA qui ont permis d’affiner considérablement les diagnostics, et aux nouveaux protocoles qui associent immunothérapie et traitements épigénétiques, on ne meurt plus d’un cancer du sein. La plupart des cancers sont d’ailleurs devenus des maladies chroniques.

Dix minutes avant le rendez-vous avec le professeur Thomas, Marie vient me chercher et me conduit dans la salle de téléconsultation. Pendant qu’elle me prend les constantes, on se donne des nouvelles des enfants… A 9 heures pétantes, le professeur Thomas apparaît à l’écran. J’enfile les lunettes de réalité virtuelle, et comme à chaque fois, j’ai vraiment l’impression d’être physiquement présente à ses côtés dans son cabinet de consultation. Sur son tableau blanc interactif, il a affiché mon DMP (Dossier Médical Partagé), les mesures que Marie vient d’effectuer et le résultat du biomarqueur que je suis allée faire la semaine dernière au laboratoire du Centre Hospitalier Intercommunal à Castres. Bonne nouvelle, tout va bien ! Pas besoin de reprendre la thérapie cellulaire et génique qui a permis de ralentir de manière significative la contamination des neurones sains par des neurones contenant des protéines mal formées. La perspective de devoir porter un implant sous-cutané est repoussée à plus tard. Le professeur me donne rendez-vous dans six mois, pour une IRM cérébrale et une nouvelle consultation dans son service à Toulouse. Avant de nous quitter, il glisse, depuis son tableau interactif, sa feuille de soin qui apparaît instantanément sur l’écran de Marie et celui de mon smartphone, via une application gratuite d’Amazon permettant d’héberger les DMP.

C’est donc le cœur léger que je me rends dans l’espace prévention primaire où Amir, mon coach santé, m’accueille avec un large sourire. Pour ne rien vous cacher, je le trouve craquant ! S’il n’avait pas vingt ans de moins… Pendant qu’il consulte les mesures prises par Marie et les données transmises par mon bracelet et ma balance connectés, je suis relativement sereine. Depuis notre dernier entretien, mi-octobre, j’ai perdu le kg pris le mois précédent. Il faut dire que je ne ménage pas mes efforts ! En plus de deux séances de jogging par semaine, je pratique aussi, de manière hebdomadaire, de la zumba et du pilates. Ces deux activités sont payées par l’Assurance maladie et ma mutuelle, qui sont toutes les deux soucieuses de me garder en bonne santé le plus longtemps possible.

Lorsqu’Amir relève la tête, il me félicite. Ma tension est bonne et j’ai suivi à la lettre le programme d’activités qu’il m’a concocté le mois dernier. Il me demande si je suis également satisfaite du régime nutritionnel, que nous avons adapté la dernière fois pour perdre le kilo en trop. J’acquiesce car depuis que je mange plus sainement, je me sens beaucoup mieux. Avant de prendre congé, il me prescrit deux compléments alimentaires, de la spiruline pour renforcer l’endurance et de la gelée royale pour la récupération. Amir me demande si je veux emporter ces produits ou être livrée chez moi par drône. Je choisis cette seconde option, car je vais filer directement à mon travail.

A la sortie, je passe devant la Pharmabox et j’en profite pour récupérer le renouvellement de mon traitement pour l’hypertension et mes soins anti-âge qu’Elliot avait commandés via l’application de l’officine. Au moment où je suis arrivée à la pharmacie, j’ai reçu un texto m’indiquant que ma commande était prête. Je scanne l’appli carte vitale nichée dans mon smartphone et la porte de mon casier s’ouvre. Je n’ai plus qu’à monter sur mon vélo électrique et longer la piste cyclable qui va jusqu’à Castres, pour arriver au bureau…. En chemin, je reçois sur mon bracelet un appel de Kevin, mon nouveau compagnon. Nous nous sommes connus sur une application de rencontres, qui utilise l’IA pour matcher les profils de manière visiblement efficace. En effet, Kevin est plutôt pas mal, intelligent, sportif, drôle… Et comme nous partageons sensiblement les mêmes valeurs et centres d’intérêts, je trouve que l’on se complète bien. Mais attention, pas question de s’emballer ! J’ai la ferme intention de profiter à fond de ma nouvelle vie de jeune quinqua divorcée…

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des Français seront âgés de 65 ans et +, en 2040.

Pour leur collaboration à cet article, nous remercions :

– Frédéric Bizard, économiste, président de l’Institut de Santé

– David van Acker, directeur général de Mobil M

– Eric Baseilhac, directeur des Affaires Economiques et internationales du Leem

– Thierry Chapusot, président du directoire de la Coopérative Welcoop

– Monique Large, consultante en innovation chez Pollen Consulting

– Jacques Perche, directeur général de Starlink Pharma