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À vos marques, prêts, postez !

Publié le 23 novembre 2022
Par Annabelle Alix
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Prendre sa place sur les réseaux sociaux demande de la stratégie, du temps et de l’énergie. Quelques conseils pour vous aider à vous lancer sans vous éparpiller, pour le compte de la pharmacie… ou à titre personnel !

« Je n’influence pas, j’informe ». Dans sa bio – la description de son compte Instagram -, Maëva annonce la couleur. Cette préparatrice au tempérament affirmé, diplômée en 2014 et maman de deux enfants, a lancé en 2017 sa page Instagram, baptisée Pharmaconseils. Elle y partage son savoir et ses expériences de préparatrice avec humour et sérieux, en se gardant bien d’inciter à la consommation. Et n’hésite pas à pointer du doigt ceux qui n’en font pas autant et qui « bafouent les règles » ! Mais quelles règles, au juste ?

En attendant la publication, par l’Ordre des pharmaciens, du nouveau code de déontologie, qui régira notamment la communication sur les réseaux sociaux, ces règles doivent être piochées ailleurs. Les pharmacies qui ont déjà investi les réseaux sociaux surfent sur les vides juridiques, adoptant parfois les codes et les standards de la publication Instagram ou Facebook de façon un peu périlleuse. Pourtant, des créneaux spécifiques s’offrent à elles, et les patients sont demandeurs. Alors, certains officinaux s’en emparent, hors les murs de la pharmacie, tirant leur épingle du jeu en gérant leur page et leur image à la façon d’un entrepreneur. Et vous, vous lancerez-vous ?

Quelle est la place actuelle des pharmacies sur les réseaux sociaux ?

En France, 20 % seulement des pharmacies sont présentes sur au moins un réseau social. Les titulaires pensent que les patients ne sont pas demandeurs. Ces derniers sont pourtant 40 % à suivre une officine sur un réseau, un tiers d’entre eux souhaitent pouvoir échanger avec elles via cet intermédiaire, et 82 % pensent que la présence de leur pharmacie sur les réseaux la rapprocherait d’eux(1).

Pour franchir le pas efficacement, encore faudrait-il que les officines sachent précisément quoi communiquer. En balayant leurs comptes Instagram, force est de constater qu’elles partagent surtout leur actualité : vie de l’équipe, du village ou de la ville, horaires, services, produits et promotions sur la parapharmacie…Des publications qui ne séduisent pas vraiment les patients. 70 % d’entre eux jugent cette communication mauvaise. La cohérence du feed – ensemble des contenus de la page – n’est pas toujours au rendez-vous. Il est vrai que la réflexion stratégique et la réalisation de publications à échéances régulières requièrent un temps et une organisation pas toujours faciles à faire entrer dans le quotidien tumultueux d’une officine au personnel à flux tendu.

Olivier, préparateur, qui a lancé son compte Instagram Prepouz en 2020, environ 1 500 abonnés depuis, en témoigne : « Je passe une heure et demie à deux heures sur mes publications. Peut-être pas tous les soirs, mais on va dire un soir sur deux. Nous avons créé un compte pour l’officine, mais pour l’instant nous manquons de temps pour l’alimenter en journée ».

Quelles sont les règles à respecter ?

C’est un vide juridique ! « Le code de déontologie est actuellement en cours de réécriture afin de tenir compte de l’évolution des modes de communication et des supports », indique l’Ordre des pharmaciens. En attendant, « il faut se référer aux règles encadrant la communication autorisée en vitrine », pointe Marie Turchi, responsable marketing et social media chez Itekpharma, développeur de solutions digitales pour les pharmacies. L’officine ne met pas de médicaments en vitrine. Elle n’en mettra pas sur son compte Instagram ou sa page Facebook. Seules les activités dont l’exercice en pharmacie est licite peuvent être affichées sur les réseaux sociaux. Les pages des officines ne peuvent pas être utilisées pour solliciter la clientèle par des procédés et moyens contraires à la dignité de la profession. Et c’est là que le bât blesse. « Les incitations à s’abonner à la page, à commenter les posts ou les jeux-concours sont à proscrire, développe Marie Turchi. Même chose pour les accroches, pourtant répandues, du type : “Profitez tout le week-end du Black Friday !”, ou “- 30 % sur le maquillage !” Elles incitent à venir consommer dans la pharmacie. »

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85 % des patients déclarent qu’ils s’y rendraient pour profiter d’une promotion diffusée sur un réseau social(1). Ces annonces sollicitent la clientèle, et sont probablement publiées dans ce but, mais Marie Turchi met en garde : « L’Ordre a déjà prononcé des blâmes et des rappels à l’ordre à l’encontre de pharmaciens qui avaient été dénoncés par des confrères ».

Que publier et comment ?

Selon Marie Turchi, pour publier sans stresser, il faut communiquer de façon nuancée. « Plutôt que parler de promotion, l’accroche “Quelle est la routine idéale pour un teint éclatant ?” permet d’embrayer sur le maquillage à utiliser, suggère la formatrice. La communication sur les médicaments doit être évitée ». Mais si une publication sur un conseil le requiert vraiment, « on parlera de la molécule, sans citer de marques ».

La communication sur les huiles essentielles et sur les compléments alimentaires est plus souple, mais doit rester sérieuse. Les informations doivent être véridiques, loyales, non trompeuses et formulées avec tact et mesure. Exit les fausses promesses comme « – 5 kg en un mois ! » sur les produits minceur ou « Disparition des rides en une semaine ! » sur les crèmes anti-âge, met en garde Marie Turchi. Attention aussi aux conseils généraux car « chaque complément alimentaire ne convient pas à tout le monde », rappelle Marie Mori, fondatrice de l’organisme de formation Adhocpharma. La pharmacie ignore le profil et les antécédents de ses abonnés, « notamment si un traitement est en cours ».

Y a-t-il des créneaux à privilégier ?

De façon générale, « les pharmacies devraient plutôt publier des routines sportives, communiquer sur l’hygiène du bébé, l’hygiène de vie ou renseigner sur les aliments qui contiennent des vitamines », suggère Marie Turchi. En un mot, parler prévention. « Donner des petits conseils serait bien utile pour pallier les déserts médicaux », ajoute Maëva. La prévention contre le cancer aurait toute sa place sur les pages des réseaux sociaux des pharmacies. Tout en évitant le diagnostic, qui relève de l’exercice médical, l’officine pourrait « communiquer sur les grains de beauté », suggère Maëva, ou « parler des campagnes de dépistage comme Octobre rose, propose Marie Turchi. La lutte contre le tabagisme est aussi un excellent créneau. Les pharmaciens peuvent même communiquer sur les médicaments destinés au sevrage tabagique. »

Qui doit poster ?

Confier la tâche à une seule personne permet au feed de gagner en cohérence sur le ton, l’approche, etc., car la personnalité de celui qui publie transparaît toujours un peu à travers ses publications. Une page Instagram est personnifiée. Elle est suivie tant pour son contenu que pour la personnalité que l’on devine derrière. « Nous formons souvent une personne de l’équipe, par exemple un préparateur ou un conseiller en paie, qui sera chargé de gérer la communication de la pharmacie sur les réseaux », rapporte Marie Turchi. Maëva met toutefois les salariés en garde : « Gérer un compte est vraiment un gros investissement en temps et en énergie. Il faut être payé pour cela. Il faut refuser de s’occuper des publications en dehors de son temps de travail. Au départ, surtout, quand on essaie de se faire connaître, c’est très chronophage. »

Se familiariser avec les fonctionnalités, faire les bons choix, programmer les publications, répondre aux messages et aux commentaires pour entretenir sa communauté naissante…, la démarche prend du temps, de l’énergie mentale, et peut susciter l’addiction. Quand une publication fonctionne bien sur son compte Prepouz, Olivier reconnaît rester plus longtemps connecté « pour voir les interactions. Mais, à un moment donné, il faut sortir de cela, sinon c’est sans fin ». Maëva, elle, peut passer des nuits blanches à tourner les choses dans sa tête, en particulier quand elle se lance dans des comparatifs de produits : « Il m’arrive de me relever d’un coup en pensant “Mince ! J’en ai oublié un !” Et de venir l’ajouter. Le cerveau est sur-stimulé devant les écrans. Sur les réseaux sociaux, les yeux fatiguent, surtout si l’on n’active pas le filtre lumière bleue ». Des études montrent la corrélation entre temps passé sur les réseaux sociaux et symptômes dépressifs. Ces risques psycho-sociaux doivent être pris en compte.

Par manque de temps et de personnel, des officines optent pour des solutions clés en main pas forcément optimales. Chez l’un de ses employeurs, Maëva a fait l’expérience du robot payé pour générer des publications régulières pour le compte de l’officine. « Les sources des publications n’étaient franchement pas très fiables, relate la préparatrice. Le robot se contentait de copier des informations trouvées sur des sites lambda. En plus, les publications manquaient de cohérence, passant de l’adénome maculaire à la prothèse dentaire, ou à la façon de vivre un accouchement. Des sujets qui ne concernent même pas l’officine ! »

Pourquoi ne pas créer son projet personnel ?

Plutôt que de continuer à publier pour l’officine aux côtés d’un robot maladroit, peu scrupuleux de ses sources, Maëva a préféré se consacrer à son compte, comme d’autres (voir Porphyre, Décryptage n° 591, octobre 2022). Un moyen de se lancer dans un projet créatif, de partager sa passion, de gagner en reconnaissance. « En tant que préparateurs, nous avons peu de perspectives d’évolution de carrière », pointe Maëva, qui gère le contenu de sa page Pharmaconseils comme un second métier, en parallèle de son contrat de 35 heures en pharmacie. Ses créneaux ? La prévention et les soins pour bébé, les remèdes naturels et l’humour, qui ponctue souvent ses publications sans rogner le sérieux.

« Depuis deux ans, je publie des stories tous les jours et un post une fois par semaine, raconte-t-elle. Je crée mes publications dans le métro le matin car j’ai 40 minutes de trajet pour aller travailler. J’y reviens le soir quand les enfants sont couchés. » Elle utilise les codes, se perfectionne. « Avant, je ne montrais pas mon visage, mais il faut toujours mettre un visage sur une compétence, raconter un peu sa vie sans vraiment la dévoiler, par petites touches. Les abonnés aiment cela car ils s’identifient ». Grâce au logiciel Canva Pro, Maëva accède, pour 12 € par mois, à des contenus illimités et enregistre son identité visuelle pour ses prochaines publications. Son compte regroupe plus de 59 000 abonnés. Cette visibilité séduit les laboratoires, qui lui proposent des partenariats. Concrètement, « cela veut dire devoir réaliser quelques live dans l’année (vidéos en direct pour parler de produits, NDLR), ou participer à une campagne pour élire un projet relatif à la prise en charge du diabète », développe Maëva. Ces partenariats lui rapportent un petit complément de salaire, ou des avantages en nature, comme ce séjour en cure thermale qu’elle a particulièrement apprécié.

Comment gérer la course aux « likes » ?

Pour développer son audience, il faut publier régulièrement, « mais cela ne doit jamais devenir un fardeau, intervient Maëva. Si, à un moment donné, on se sent obligé, c’est qu’il faut faire une pause, pour soi mais aussi pour le bien de la page, car sinon les abonnés le ressentiront. » Sur Instagram, le rendu des publications est étroitement lié à l’énergie dégagée de la personne qui poste. « Il faut toujours le faire avec passion », résume la préparatrice. Cela permet aussi de rester centré sur son plaisir de créer, de partager, d’informer, plutôt que de se laisser distraire par les fluctuations de l’audience. « Quand j’ai commencé à poster, je n’aurais jamais imaginé que cela marcherait aussi bien, confie Maëva. C’est vrai qu’une fois qu’on arrive à 9 000 abonnés et quelque, on se dit “Oh, quand même, passer la barre des 10 000, ce serait un challenge, une étape !” J’ai franchi le cap en 2020, grâce à des partages d’influenceurs que je connaissais ». L’idée générale reste d’apprécier l’instant présent, car « si pour le moment ça marche, parce que c’est la tendance, un jour cela peut s’arrêter, il faut en être conscient. Sur Instagram, rien n’est jamais acquis, le nombre d’abonnés est en fluctuation constante. Tous les jours, je constate vingt à quarante pertes ! »

Est-ce éprouvant, émotionnellement ?

Maëva a accès aux statistiques détaillées concernant son compte, et sait précisément qui se désabonne. « Au départ, je contactais chaque abonné perdu pour comprendre, se souvient-elle. Untel estimait que nous n’avions plus les mêmes centres d’intérêt. Tel autre exprimait un désaccord avec mon choix de parler d’homéopathie. À l’époque, je prenais les choses très à cœur. Cela m’affectait. Je me remettais beaucoup en question, puis j’ai compris que les gens considéraient la relation virtuelle totalement différemment de la relation réelle ».

Certains s’abonneront à votre compte afin d’obtenir votre abonnement au leur en retour, et se désabonneront du vôtre dès cet objectif atteint. D’autres consulteront toutes vos publications, en se gardant bien de s’abonner. La course aux likes est comme un jeu. La préparatrice s’est détachée émotionnellement de ces tours de passe-passe virtuels. Elle est entrée dans le jeu, répliquant à son tour : « Si des gens que je suis se désabonnent de mon compte, je fais de même avec le leur ! »

Quid de l’agressivité sur les réseaux sociaux ?

L’agressivité et les attaques personnelles sur les réseaux ne sont plus à démontrer. « Les commentaires peuvent être méchants sur les posts à buzz (qui génèrent beaucoup de vues, d’audience et de commentaires, NDLR) », reconnaît Maëva. L’une de ses vidéos, qui a obtenu plus de 1,3 million de vues, mettait en scène une situation vécue à l’officine. Sur la vidéo, la préparatrice est derrière le comptoir, avec un sac qu’elle vient de remplir avec la série de médicaments prescrits sur l’ordonnance. Elle s’entend dire : « Merci, mais je ne vais prendre que le Doliprane ». Maëva prend alors, avec humour, un air hébété en mâchouillant bruyamment son chewing-gum. « On est venu m’attaquer sur le fait de mâcher du chewing-gum au comptoir, comme si je me comportais comme ça dans la vie », se souvient-elle. Ce sont les inconnus qui attaquent. Sur les publications qui ne font pas le buzz, consultées seulement par les abonnés, ou par un cercle moins large, « les attaquent sont très rares, rassure Maëva. Et on n’est jamais venu m’attaquer jusque dans ma messagerie personnelle ». Ouf !

(1) Étude Kozea Group « Community management de la pharmacie », réalisée du 1er au 24 mars 2018 auprès de 200 patients et 50 pharmaciens.

Les règles du cumul d’activités

Si la durée totale de travail est limitée par la loi en cas de cumul d’activités salariées, elle n’inclut pas les activités indépendantes. Travailler pour des laboratoires sur son compte Instagram est donc compatible avec une activité à l’officine, quel que soit votre contrat horaire.

Concernant les pharmaciens qui sont inscrits à l’un des tableaux de l’Ordre, « ils doivent, même en dehors de leurs activités professionnelles, respecter les règles professionnelles et déontologiques du code de la santé publique qui leur sont applicables : probité, dignité de la profession…, rappelle l’Ordre des pharmaciens. La méconnaissance de ces règles pourra faire l’objet de poursuites devant les chambres de discipline de l’Ordre, les juridictions pénales ou civiles, en fonction des situations. »

Se former grâce aux réseaux sociaux ?

« Avec les réseaux sociaux, je m’informe et je me forme !, raconte Karen Stioui, préparatrice à Soisy (95). Je suis les comptes de laboratoires de dermo-cosmétique et d’aromathérapie sur Instagram. Ainsi, je connais les nouveautés, leurs caractéristiques et je peux répondre aux clientes parfois plus au courant que nous ! Il m’arrive aussi de proposer de nouvelles références à ma direction pour moderniser notre offre ou toucher une autre clientèle. » C’est ainsi que la préparatrice a fait rentrer les gummies dans son officine. « Ces produits sont très populaires, que ce soit pour contrer la chute des cheveux, mincir, ou pour la beauté de la peau ». Les laboratoires organisent des webinaires ou des live visibles en différé, présentent leurs produits, ouvrent les pots pour montrer couleur et texture des crèmes. « Je les consulte quand j’en ai envie ou quand j’ai un temps mort, par exemple en salle d’attente chez les médecins. »

Des professionnels de santé connectés

Selon une enquête de 2018(1), « 87,1 % des professionnels de santé déclarent que les réseaux sociaux les aident à se former et à acquérir, à approfondir ou à maintenir à jour leurs connaissances. L’utilisation de Twitter à titre professionnel supplante même son emploi à titre personnel. Les comptes les plus souvent suivis professionnellement sont ceux de collègues ou d’autres professionnels ou étudiants de santé, et surtout ceux de sites institutionnels qui aident justement à maintenir les connaissances à jour : @Reseau_CRPV, @ANSM, @HAS… »

Et chez les officinaux ?

À peine plus d’un tiers des officinaux utilisent les réseaux sociaux pour se tenir à jour dans leur domaine d’exercice, mais plus de la moitié pensent qu’ils pourraient être un outil de formation continue, ajoute une enquête de 2019(2). « L’idée que la faculté de pharmacie de Limoges puisse mettre à disposition des pharmaciens des outils pour se former en continu via les réseaux sociaux attire les répondants (64,8 %). Ils sont surtout séduits par des cas cliniques, ou cas de comptoir (91,4 %), mais aussi par des quiz d’autoformation au contenu validé (74,1 %) et des analyses d’ordonnances (71,6 %) ».

(1-2) L’utilisation des réseaux sociaux dans la diffusion du savoir à l’officine, thèse d’Émilie Decoux. (1) Enquête sur Twitter entre le 17 septembre et le 10 novembre 2018 auprès des médecins, pharmaciens, étudiants en pharmacie, infirmiers.

(2) Enquête via Sphinx, entre le 4 avril et le 1er décembre 2019, 179 réponses (majoritairement des pharmaciens).