Délivrance Réservé aux abonnés

L’insuffisance cardiaque de Mme B.

Publié le 19 janvier 2024
Par Nathalie Belin
Mettre en favori

Mme B., 85 ans, sans antécédents médicaux, a été hospitalisée il y a quelques jours pour une insuffisance cardiaque aiguë. Les examens ont révélé une fibrillation atriale. Sa fille vous présente son ordonnance de sortie.

Ce que je dois savoir

Législation

L’ordonnance ne présente pas de problème.

Contexte

C’est quoi ?

• L’insuffisance cardiaque correspond à l’incapacité du cœur à assurer un débit sanguin suffisant, donc un apport en oxygène et nutriments suffisant, pour faire fonctionner les organes correctement. À la différence de l’insuffisance cardiaque chronique qui s’installe progressivement, en plusieurs mois voire plusieurs années, une insuffisance cardiaque aiguë apparaît brutalement, en quelques jours. Les signes cliniques évocateurs sont un essoufflement inhabituel, une prise de poids rapide, des œdèmes et une fatigue selon l’acronyme EPOF. Mme B., sans antécédents hormis une ancienne opération des varices, était fatiguée et toussait depuis quelques jours, surtout la nuit. Ses jambes et chevilles gonflées la dérangeaient mais elle pensait que c’était dû à son insuffisance veineuse. La toux et la fatigue s’aggravant, son médecin a demandé une hospitalisation qui a révélé une insuffisance cardiaque à FEVG préservée (voir Dico+ page ci-contre) liée à une fibrillation atriale ou auriculaire.

• La fibrillation atriale correspond à une activité électrique anarchique et rapide des oreillettes à l’origine d’une irrégularité et d’une augmentation du rythme cardiaque.

• Le risque majeur de complication est l’accident thromboembolique, en particulier un AVC ischémique, et l’apparition d’une insuffisance cardiaque qui est parfois aussi la cause de la fibrillation atriale du fait d’une altération de remplissage du ventricule gauche.

Quelle prise en charge ?

La prise en charge de la fibrillation atriale doit permettre le contrôle et la prévention de l’insuffisance cardiaque et la prévention des complications thrombœmboliques qui découlent de ce trouble du rythme.

Objectifs

 Mme B. ne présentant pas de signes de gravité de type détresse respiratoire, seul un traitement symptomatique par diurétique a été mis en place pour gérer l’œdème pulmonaire débutant, qui expliquait la dyspnée, la toux et les œdèmes périphériques.

Publicité

• En parallèle, l’urgence est de contrôler la fréquence cardiaque. Les bêtabloquants, indiqués aussi dans l’insuffisance cardiaque, sont le traitement de référence pour le contrôle de la fréquence cardiaque en fibrillation atriale(1).

• Le risque thromboembolique est estimé par un score clinique prenant en compte des facteurs de risques (âge, sexe féminin, antécédents cardiovasculaires tels diabète, insuffisance cardiaque, AVC, infarctus) ; ce score détermine l’indication d’un traitement anticoagulant, AVK ou anticoagulant oral direct (AOD).

Le traitement de l’insuffisance cardiaque à FEVG préservée n’est pas codifié comme celui de l’IC à FEVG altérée. La prise en charge vise à contrôler les facteurs de risque cardiovasculaire et à traiter les signes congestifs (œdème).

Médicaments

Furosémide

Diurétique de l’anse, agissant au niveau de la branche ascendante de l’anse de Henlé, d’action rapide en 30 minutes per os et intense par élimination d’eau, de sodium et de potassium, d’où une diminution de la volémie et de la précharge (=remplissage du ventricule gauche).

Bisoprolol

Bêtabloquant ayant une action antagoniste sur les récepteurs adrénergiques cardiaques bêta-1 pour lesquels il a une forte affinité, ce qui diminue la fréquence cardiaque. Il présente une faible affinité pour les récepteurs bêta-2 des bronches et des vaisseaux, limitant les effets indésirables à type de bronchoconstriction et froideur des extrémités.

Apixaban

Inhibiteur oral puissant, réversible, hautement sélectif du facteur Xa, ce qui prévient la formation de thrombine et le développement du thrombus.

Potassium (Diffu-K)

Supplémentation potassique qui compense l’hypokaliémie induite par le diurétique de l’anse.

Ce que je dis au patient

J’ouvre le dialogue

« Qu’a dit le médecin ? Un suivi est-il mis en place d’ici un mois pour renouveler le traitement ? » fait le point sur la prise en charge. « Votre maman sera-t-elle autonome pour son traitement ? », « Une aide à domicile et/ou le passage d’une infirmière sont-ils prévus ? » identifient les difficultés éventuelles.

J’explique le traitement

Mécanismes d’action

• Le diurétique va diminuer les œdèmes au niveau des jambes et des poumons qui induisent une difficulté à respirer et la toux. Il facilite aussi le travail du cœur en diminuant le volume de sang.

• Le potassium compense la perte induite par le diurétique.

• Le bisoprolol ralentit le cœur et contrôle la fréquence cardiaque.

• L’apixaban prévient le risque d’accident embolique élevé en cas de fibrillation atriale associé à des facteurs de risque.

Effets indésirables

• Furosémide : perturbations hydroélectrolytiques nécessitant de surveiller kaliémie et natrémie, hypotension orthostatique et risque de déshydratation.

• Potassium : hyperkaliémie avec risque de mort subite en cas d’utilisation inadéquate prévenue par une surveillance de la kaliémie.

• Bisoprolol : bradycardie générant une fatigue en début de traitement, hypotension orthostatique, sensation de froid ou d’engourdissement des extrémités ; troubles gastro-intestinaux.

• Apixaban : risque hémorragique incluant contusions, hématomes, épistaxis, saignements gastro-intestinaux, majoré par l’âge (> 75 ans), un faible poids corporel (≤ 60 kg) et l’insuffisance rénale.

Mode d’administration

• Furosémide : le matin pour limiter le risque de mictions nocturnes.

• Potassium : par exemple avec le diurétique.

• Bisoprolol : une seule prise le matin.

• Apixaban : matin et soir. Si besoin, écraser les comprimés et les prendre avec un peu d’eau, de jus de pomme ou une compote.

J’accompagne

Le traitement

• Se lever en deux temps pour éviter une hypotension orthostatique. Alerter le médecin en cas de vertiges, de fatigue ne cédant pas ou apparaissant en quelques jours, de saignements inhabituels : épistaxis, hémorragie conjonctivale, sang dans les selles ou les urines…

• Avoir sur soi et montrer systématiquement aux professionnels de santé la carte de surveillance de l’anticoagulant incluse dans les boîtes.

L’hygiène de vie

• Encourager les recommandations diététiques visant à stabiliser l’insuffisance cardiaque, comme ne pas resaler les plats, limiter la charcuterie…

• Une activité physique régulière comme la marche, sans se fatiguer, entretient le capital musculaire, dont le muscle cardiaque.

• Sensibiliser aux signes d’un accident vasculaire cérébral : bouche ou sourire asymétrique, difficultés d’élocution et à bouger un membre.

Vente associée

Un pilulier semainier (Pilbox, Anabox, Dolcimo, Medidose…).

(1) Guide parcours de soin, Fibrillation atriale, HAS, 2014.

Prescription

Centre hospitalier P. Dr N., cardiologue Mme Danielle B.

85 ans, 1,66 m, 61 kg

Le 10 janvier 2024

Ordonnance

• Furosémide (Lasilix) 40 mg cp sécable

1 cp le matin.

• Bisoprolol fumarate (Cardensiel)

2,5 mg cp sécable

3,75 mg le matin.

• Apixaban (Eliquis) 5 mg cp

1 cp le matin et le soir.

• Potassium chlorure (Diffu-K) 600 mg gélule

2 gélules par jour.

QSP 30 jours.

Info +

→ L’ajout de l’empagliflozine est recommandé par la Haute autorité de santé dans l’insuffisance cardiaque à FEGV préservée ; ce traitement n’a pas été prescrit à Mme B., peut-être compte tenu de son âge et du traitement déjà lourd prévu pour cette patiente âgée qui ne prenait pas de médicaments jusqu’à présent.

Dico +

→ Fraction d’éjection ventriculaire gauche (FEVG) : pourcentage de sang contenu dans le ventricule gauche et expulsé à chaque systole. Une FEVG ≥ 50 % est dite préservée (voir Patho Porphyre n° 597, avril 2023…).

→ L’insuffisance cardiaque (IC) à FEVG préservée concerne le plus souvent des patients âgés avec comorbidités cardiovasculaires. Sexe féminin et fibrillation auriculaire sont très souvent associés à ce type d’IC.

La fille de Mme B. me demande

« Ma mère voudrait une boîte d’Aspegic pour ses rhumatismes. » Elle ne doit plus prendre d’aspirine contre les douleurs ou la fièvre, ni d’anti-inflammatoire en raison d’un risque augmenté d’hémorragie, en particulier digestive, liée à Eliquis. Le paracétamol est le seul traitement contre la douleur et la fièvre auquel recourir sans avis médical. Votre maman doit signaler la prise d’Eliquis à tout professionnel de santé car des interactions sont possibles(2) avec des médicaments et le pamplemousse. Mieux vaut éviter d’en consommer en même temps(3).

(2) Apixaban est un substrat du CYP 3A4 dont l’association à des inhibiteurs ou inducteurs puissants du CYP 3A4 est déconseillée.

(3) Interaction signalée sur sante.fr, rubrique Nos réponses/ Médicaments, vaccins & traitements.