Délivrance Réservé aux abonnés

“Je voudrais un antiseptique”

Publié le 6 mai 2013
Par Nathalie Belin
Mettre en favori

1 Je questionne

Précisez la demande

« Pour quel usage : désinfecter la peau saine avant une injection ? Du matériel de soins ? Faire l’antisepsie d’une plaie ? », « Est-ce pour appliquer sur une muqueuse (bouche, oreille, sexe…) ? » « À qui est-il destiné ? »

Estimez la gravité de la demande

Selon le cas, « Est-ce une plaie chronique ? » ou « Est-elle profonde ? » et « Par quoi a-t-elle été provoquée ? (couteau, clou…) », « Cause-t-elle un saignement important ? », « Est-elle située au niveau du visage ? De la main ? », « Comment se sent la personne blessée (malaise, pâleur, vertiges…) ? »

2 J’évalue

Seule est prise en charge en automédication l’antisepsie des plaies cutanées superficielles, de type éraflure ou écorchure, voire brûlure de premier degré. Un avis médical est indispensable en cas de : plaies chroniques, escarres, ulcères… pour lesquels une prise en charge adaptée est nécessaire car les antiseptiques entravent la cicatrisation ; plaies infectées (œdème local, rougeur et douleur) ; lésion profonde ou étendue ou saignement abondant ; plaie du visage ou de la main (peau très fine et complexité des articulations, tendons, nerfs).

Toute plaie est l’occasion de vérifier que le patient est à jour de la vaccination antitétanique et de l’inciter à la faire si besoin est.

3 Je passe en revue

Les antiseptiques sont classés selon leur activité et leur composition chimique.

Les antiseptiques majeurs

Ils sont dits « majeurs » car actifs sur les bactéries Gram+ et Gram– , les champignons, les spores et les virus. Ils détruisent ou dénaturent les protéines membranaires, inhibent la synthèse des acides nucléiques, ou entraînent une fuite de constituants cellulaires.

Publicité

– La chlorhexidine (bisdiguanides). Les solutions aqueuses à 0,05 % ont une faible activité bactéricide ; celles inférieure à 0,2 % peuvent se contaminer rapidement. Son association à l’alcool ou à un ammonium quaternaire (dans Biseptine…) élargit le spectre antimicrobien. Avantages : incolore, bien toléré. Précautions : ne pas appliquer sur des muqueuses (hormis solutions moussantes à rincer), ni dans le conduit auditif (neurotoxicité) ; usage extemporané des produits dosés à 0,05 %.

– Les dérivés chlorés. Il s’agit de l’hypochlorite de sodium titrant à 0,5 % de chlore actif dans Dakin Cooper Stabilisé et à 0,06 % dans Amukine. S’utilise pur en lavages, bains locaux ou pansements humides à l’aide d’une compresse stérile ou d’un coton-tige (plaie buccale…). Avantages : incolore, très bien toléré, y compris sur les muqueuses (même oculaire pour Amukine). Précautions : irritations (rares), notamment sous pansements occlusifs.

– Les dérivés iodés. La povidone iodée est généralement bien tolérée sur la peau et les muqueuses. En cas d’utilisation chez l’enfant de moins de 30 mois, faire suivre d’un rinçage à l’eau stérile. Précautions : colore la peau en brun orangé au risque de masquer l’évolution de la plaie, irritations possibles, allergies de contact – urticaire – voire réactions anaphylactiques (non croisées avec les allergies aux produits de contraste iodés ou aux fruits de mer), retentissement possible sur la fonction thyroïdienne dû au passage systémique de l’iode en cas d’emploi intensif et/ou itératif. Contre-indications : nouveau-né de moins de 1 mois, deuxième et troisième trimestres de grossesse, allaitement en usage prolongé, utilisation concomitante avec les mercuriels (risque de phlyctènes, nécroses, etc.).

– L’alcool. L’alcool éthylique est dénaturé – rendu impropre à la consommation – par l’adjonction de colorants (tartrazine), de camphre ou d’autres alcools. L’alcool à 60° ou à 70° est employé pour l’antisepsie de la peau saine. Son action bactéricide est supérieure à celle de l’alcool à 90° (meilleure pénétration de la paroi bactérienne) et il convient pour la désinfection du petit matériel (ciseaux…). Il n’est pas utilisé sur les plaies, entre autres car il « pique ». Il est souvent associé à d’autres antiseptiques majeurs dont il potentialise l’effet. Avantages : évaporation rapide donc séchage rapide, intéressant pour la préparation de la peau avant une injection. Précautions : ne pas utiliser avant l’âge de 30 mois (risque d’intoxication alcoolique), sur une peau lésée, les muqueuses (toxicité sur les tissus), avant une glycémie capillaire (peut fausser les résultats) et en cas d’antécédents de convulsions s’il contient du camphre.

Les antiseptiques moussants

Certains antiseptiques (iodés, chlorhexidine…) sont parfois associés à un détergent tensioactif et moussant. Le détergent contribue à l’action antiseptique en diminuant les interférences avec les souillures organiques. Ces moussants sont utilisés pour le lavage des plaies souillées ou infectées, des muqueuses sur recommandation médicale dans certaines situations (infections gynécologiques…), en douche préopératoire (Betadine Scrub).

Les autres antiseptiques

– Les ammoniums quaternaires (benzalkonium, miristalkonium, cétrimide) sont dits « intermédiaires » car bactéricides à spectre étroit, peu voire pas actifs sur les champignons et les virus. Le chlorure de benzalkonium s’avère légèrement détergent.

– Le triclocarban et l’héxamidine, antiseptiques mineurs, sont bactériostatiques (= inhibent la croissance des micro-organismes) à spectre étroit. Ils ont peu d’intérêt dans l’antisepsie. Précautions : en règle générale, pas d’application sur les muqueuses, sauf solution moussante à rincer, et au niveau du conduit auditif pour les ammoniums quaternaires. Ne pas recourir à l’hexamidine avant une injection ou une ponction car trop faiblement antiseptique.

Les « faux »

– Les organomercuriels tels la merbromine, bactériostatique (Solution aqueuse de mercurescéine Gifrer…), ne sont plus recommandés en raison d’effets indésirables (néphrotoxicité, neurotoxicité, hypertension).

– Colorants et eau oxygénée ne sont pas des antiseptiques car faiblement bactériostatiques. Les colorants type éosine aqueuse ou alcoolique à 2 %, soluté de milian, violet de gentiane ont une action asséchante, mais colorent la peau ; l’éosine est photosensibilisante. Préférer des solutions asséchantes incolores à base de sels de zinc et/ou de cuivre : Cytelium, Cicalfate… L’eau oxygénée est intéressante car elle est hémostatique et permet le nettoyage des plaies souillées grâce à son action effervescente qui fait « ressortir » les souillures.

4 Je choisis

En fonction de l’usage

– Antiseptiques de base. Recommander d’avoir à son domicile un petit flacon d’alcool à 60 ou 70° et de la chlorhexidine ou du Dakin pour la désinfection de la peau lésée. Éviter les iodés en automédication.

– Pour la peau saine (désinfection avant ponction…) : alcool à 60° ou à 70° ou chlorhexidine à 0,2 % au moins ou Dakin.

– Pour la désinfection du matériel (ciseaux, pince à épiler, thermomètre…) : alcool à 60° ou 70°.

– Pour l’antisepsie des muqueuses, bouche (aphte, herpès…), anus (hémorroïdes…), vagin, désinfection du méat urinaire avant prélèvement d’urine : Dakin.

– Pour la peau lésée : chlorhexidine en solution aqueuse à 0,05 % ou soluté de Dakin avec l’avantage pour ce dernier d’une utilisation possible sur les muqueuses, même si sa légère odeur peut rebuter, ou l’association chlorhexidine, ammonium quaternaire, alcool benzylique.

– Situations particulières. Plaie souillée (terre, graviers…) : antiseptique moussant à faire suivre selon le cas d’un antiseptique de la même famille, ou eau oxygénée. Plaie fermée type écharde, épine, panaris, lésion sous l’ongle : bain de Dakin ou de chlorhexidine. Saignement mineur type saignement de nez, coupure peu profonde…: eau oxygénée. Lésions suintantes type érythème fessier, vésicules de varicelle, eczéma suintant : lotions asséchantes incolores.

Selon la galénique

– Les multidoses : en général peu encombrantes, mais préférer de petits conditionnements pour éviter une conservation trop longue après ouverture.

– Forme spray : emploi possible sans compresse, donc moins traumatisant au niveau de la blessure.

– Unidoses : à jeter après usage, au plus dans les 24 heures. Pratiques, mais n’existent pas pour tous, exemple Dakin.

– Compresses imprégnées, lingettes : en dépannage car la concentration en antiseptique est aléatoire.

5 J’explique

– On ne désinfecte que ce qui est propre ! Les matières organiques, cellules, sang, pus… et les souillures diminuent l’action des antiseptiques. Une plaie se nettoie toujours avec de l’eau et du savon, voire une solution moussante antiseptique, avant d’appliquer l’antiseptique de la même famille chimique. Il ne faut jamais mélanger les antiseptiques entre eux au risque de formation de dérivés toxiques ou d’inactivation.

– Une solution moussante antiseptique n’est pas un nettoyant d’usage quotidien, car elle est irritante et finit par fragiliser la flore microbienne locale.

– L’évolution de la plaie se surveille et il faut consulter en cas de signes infectieux (rougeur, douleur…).

6 Je conseille

Optimiser

– Laver la plaie et les tissus avoisinants avec beaucoup d’eau et du savon. Rincer abondamment pour éliminer toute trace de savon susceptible d’inactiver l’antiseptique à suivre. Sécher avec une compresse stérile.

– Appliquer l’antiseptique avec une compresse stérile – ou directement –, du plus propre vers le plus sale, c’est-à-dire du centre de la plaie vers la périphérie. Ne pas repasser deux fois au même endroit avec la même compresse. Respecter le temps de contact indiqué, généralement une à trois minutes ou cinq minutes dans les cas de bains locaux. Ne pas rincer sauf exception (nouveau-né). Laisser sécher à l’air libre. Garder la plaie au propre ; si besoin la recouvrir d’un pansement sec, à changer souvent si la plaie risque d’être souillée. Attention, l’utilisation répétée d’un antiseptique peut retarder la cicatrisation. Pas d’antiseptique sous pansement occlusif, la plaie doit avoir séchée avant de poser un pansement.

Expliquer

– La solution de Dakin Cooper Stabilisé est teintée en rose par le permanganate de potassium, qui ne colore pas la peau mais permet l’identification de l’antiseptique lorsque celui-ci est déconditionné pour une utilisation en bains par exemple.

– L’alcool benzylique présent dans Biseptine, Biseptinespraid, etc. est un alcool aromatique qui potentialise l’action des autres antiseptiques. Il ne pique pas ou très peu, contrairement à l’alcool éthylique ; il est légèrement anesthésique.

– En cas d’usage d’eau oxygénée, rincer la plaie à l’eau avant d’appliquer éventuellement un antiseptique pour éviter toute incompatibilité.

– Une solution diluée ne se conserve pas (exemple : Hibitane Plus).

Conserver

Hormis l’alcool, dont la durée de conservation du flacon après ouverture est relativement longue, un flacon d’antiseptique est susceptible d’être contaminé plus ou moins vite une fois ouvert selon ses modalités de conservation et sa fréquence d’emploi.

– En cas d’utilisation fréquente (plusieurs fois par jour) : garder les solutions alcooliques et les dérivés chlorés comme le Dakin un mois après ouverture ; les solutions aqueuses,quinze jours après les avoir entamées.

– En usage domestique courant, pas de recommandations officielles, mais il est possible de conserver un antiseptique plus longtemps sous réserve de bien refermer le flacon après chaque usage et de le garder à l’abri de la lumière et de la chaleur (radiateur…). Préférer dans tous les cas les petits flaconnages qui incitent à renouveler plus souvent l’antiseptique.

– Cas particulier. Eau oxygénée : maximum huit jours après ouverture (évaporation importante).

Le contexte

Une lésion, même infime, est une effraction cutanée qui peut faciliter la pénétration de germes endogènes et/ou exogènes dans l’organisme et assurer leur multiplication (sérosité, sang…) jusqu’à l’infection pour les micro-organismes. Les germes sont naturellement présents sur et dans la peau : flore endogène permanente et physiologique, et flore exogène transitoire.

Le nettoyage puis l’antisepsie de la peau ont pour objectif de prévenir un éventuel risque infectieux local tel un abcès jusqu’au risque de septicémie.

L’antisepsie est « une opération au résultat momentané permettant, au niveau des tissus vivants, dans la limite de leur tolérance, d’éliminer ou de tuer les micro-organismes et/ou d’inactiver les virus en fonction des objectifs fixés. Le résultat de cette opération est limité aux micro-organismes et/ou aux virus présents au moment de l’opération » (normes Afnor).

Les antiseptiques sont destinés à être appliqués sur une peau lésée ou sur les muqueuses ; ils ont le statut de médicaments. Le terme « désinfectants » est réservé aux produits appelés à être apposés sur des milieux inertes (matériels…) ou sur la peau saine avant injection par exemple. Les antiseptiques ont le statut de médicament, de biocide ou de produit d’hygiène corporelle.

Souvent, le terme d’« antisepsie » est réservé à l’opération consistant à traiter une infection constituée, celui de « désinfection », à celle visant à prévenir une infection. On parle alors de désinfection de la peau saine, des mains, mais d’antisepsie d’une plaie.