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Quand les mots se dérobent

Publié le 22 février 2018
Par Thierry Pennable
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Communiquer avec un patient Alzheimer. Montrer les objets, être concis et calme, s’adapter et rassurer sont utiles quand la mémoire fait défaut et que le terme juste est difficile à trouver.

Tabler sur les capacités

Un interlocuteur à part entière

Malgré des symptomatologies variées, les troubles de la mémoire et de l’attention sont souvent les premiers signes de la maladie d’Alzheimer. Si la compréhension peut être altérée à des stades sévères, elle est préservée bien plus longtemps que l’aptitude à communiquer. Ainsi, un mode d’expression appauvri ne doit pas faire préjuger des capacités de discernement. Il s’agit alors de considérer a priori que la personne comprend et qu’elle demeure un interlocuteur à part entière.

Entendre les difficultés

Dans les premiers stades de la maladie, les patients sont tout à fait conscients de leurs troubles. Certains auront plus de facilité à le reconnaître. D’autres sont dans le déni et trouveront toujours une cause extérieure à leurs difficultés naissantes.

La connaissance de ses troubles est une source de stress et d’angoisse pour la personne affectée. Un état de nervosité et d’agitation montre qu’elle a conscience de perdre un peu le contrôle de sa vie. L’interlocuteur doit chercher à faire diminuer le niveau de stress. Par exemple, en évoquant les difficultés de façon plus ou moins directe : « Cela semble être un peu compliqué pour vous, mais ne vous inquiétez pas, on va faire en sorte de comprendre ce dont vous avez besoin. »

Accompagner la demande

L’objectif de l’interlocuteur est de cibler correctement la demande du patient, d’y répondre et de lui laisser une impression agréable et valorisante. Dans le cas d’un patient Alzheimer, le sentiment d’autonomie et la revalorisation de l’estime de soi qui découlent d’un échange réussi sont autant d’encouragements pour de futures démarches.

Créer un climat favorable

Du calme

La maladie provoque fréquemment et précocement des troubles de l’attention, qu’il faut contenir.

→ Privilégiez un contexte calme, à l’écart du brouhaha, et une discussion en tête à tête qui faciliteront la concentration.

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→ Laissez du temps pour les réponses, d’autant que la maladie se développe le plus souvent à un âge avancé.

Rester zen

La mémoire émotionnelle est conservée malgré la maladie. C’est celle des souvenirs liés à des émotions fortes : joie, tristesse, colère…

→ Un sourire et un ton aimable sollicitent cette mémoire et installent la personne dans une situation agréable et rassurante.

→ Votre état de relaxation apaise également la personne en difficulté. Par l’effet des « neurones miroirs », si l’un des interlocuteurs est détendu, l’autre adopte aussi un tempérament relativement détendu. À l’inverse, le stress engendre du stress.

→ Des gestes calmes et souples sollicitent également la mémoire émotionnelle et procurent une sensation agréable dans la relation.

Montrer sa disponibilité

Signifiez l’attention que vous accordez à la personne en la regardant en face. Une expression souriante montre votre envie de communiquer et de comprendre, même si le message passe difficilement. De plus, par un phénomène de mimétisme, ou échomimie, la réponse à une question posée agréablement sera donnée sur le même ton. Maintenir ce mode de communication émotionnelle diminue considérablement les difficultés à dialoguer. À éviter : les regards peu ou pas attentifs, qui seront perçus de façon négative.

Garder le contact

Maintenez une relation continue pour que la personne ne perde pas de vue le déroulement de l’échange. Appuyez-vous sur les trois piliers de la communication que sont la parole, le regard et le toucher et essayer d’en conserver toujours au moins deux, comme parler et toucher ou parler et regarder.

→ Expliquer les gestes que vous faites, lors d’une prise de tension ou pour des mesures pour une chevillère, maintient la communication verbale. Dites « Je votre chevillère » tout en le faisant.

→ Conservez un contact physique avec la personne, en gardant par exemple une main sur son épaule, en continuant à parler si vous sortez de son champ visuel.

Adapter son discours

Faire simple

→ Préférez des phrases courtes en vous limitant à une idée par phrase. La mémoire de travail, à court terme, est très affectée par la maladie. C’est celle qui sert par exemple à retenir un numéro de téléphone pour le composer et à l’oublier ensuite. Des phrases trop longues posent des problèmes de compréhension à la personne, qui peut omettre le début de la phrase. À éviter : « Nous avons reçu une nouvelle tisane qui a un effet intéressant sur la digestion. Est-ce que vous voulez l’essayer ? » Dites plutôt : « Avezvous des problèmes de digestion ? » Puis, selon la réponse, « Je vous propose une nouvelle tisane. »

Guider la conversation

Poser des questions oriente la personne. Les questions ouvertes, du type « Qu’estce que vous désirez comme dentifrice ? », l’obligent à conceptualiser la réponse, puis à verbaliser des informations. Sachant qu’en fonction de l’atteinte cognitive, ce qui n’est pas présent à la vue n’existe pas. En cas de difficultés, les questions fermées, avec une réponse par oui ou non, sont plus faciles. Exemple : « Estce que vous voulez votre dentifrice habituel ? » De même que les questions à choix multiples : « Vous recherchez un dentifrice ou un bain de bouche ? »

Proposer un mot manquant

La personne qui ne parvient pas à trouver le mot juste connaît ce mot mais n’y a pas accès. En revanche, elle le reconnaît s’il lui est soumis.

→ Faites-lui des propositions de mots en fonction du contexte, à condition d’être sûr d’avoir bien compris son intention.

→ Assurez-vous régulièrement de ce que la personne veut vraiment dire. Par exemple, en reformulant l’idée : « Est-ce que vous souhaitez changer de savon ? »

→ Prenez garde néanmoins à l’écholalie. Si la personne répète exactement vos derniers mots, « Je veux changer de savon », cela ne signifie pas forcément qu’elle exprime un choix personnel.

Montrer les choses

Désigner les objets peut débloquer une situation, à condition d’être sûr d’avoir compris ce que désire la personne pour ne pas dévier de sa requête initiale. Faire toucher ou sentir le produit, savon par exemple, peut aider. Lorsqu’une personne a du mal à retrouver son portefeuille, aidez-la soit en suggérant verbalement « Avez-vous essayé la poche intérieure ? », soit en montrant l’emplacement de la poche intérieure sur vous-même. S’il faut annoter ou signer un document, attirez son attention vers la feuille en montrant l’endroit avec la pointe du stylo.

Utiliser la lecture

La lecture est l’une des dernières facultés préservées. Elle est souvent abandonnée parce que la personne ne comprend plus le sens de ce qu’elle lit. Les difficultés de compréhension concernent surtout les textes longs, les consignes courtes restant accessibles assez longtemps. La lecture peut donc être utilisée pour l’observance. Par exemple, si à chaque prise la personne signe sur un agenda à côté du nom du médicament, elle peut vérifier elle-même qu’elle a bien pris son traitement. Si l’opération est répétée plusieurs fois avec un aidant, la mémoire procédurale, mémoire des routines et des savoir-faire, prend le relais. Ce qui représente un gain d’autonomie rassurant et valorisant pour le patient.

Gérer les réactions

L’agressivité

→ Quand la tension tend à monter, rassurez : « Ne vous inquiétez pas, prenez votre temps. » Sans surabonder dans les conseils du type « Calmez-vous », inutiles.

→ Si la personne montre des signes d’irritabilité, temporisez : « Je vois bien que vous êtes contrarié car on n’arrive pas à se comprendre, mais je vais faire mon possible et, ne vous en faites pas, on va trouver une solution à ce qui vous contrarie.« 

→ Si elle ne refuse pas le contact, une main posée légèrement sur son bras ou sur sa main peut l’apaiser. La diversion sur un autre sujet peut être un autre recours pour sortir d’une situation d’échec qui angoisse la personne.

Les incohérences

Parfois, la personne répond « à côté ». Par exemple, à la question « Avez-vous vu votre fille hier ? », si la réponse ne vient pas, le malade peut dire « J’aime bien me promener dans le jardin. » C’est un moyen de continuer à communiquer malgré l’absence de réponse adéquate. Dans ce cas, échanger un peu sur ce « nouveau thème » rassure la personne, qui se rend compte de votre intérêt pour ce qu’elle dit : « Je vois que ces promenades vous font plaisir. » La conversation peut être ensuite ramenée sur le sujet de départ, en l’occurrence, le motif de sa visite à la pharmacie…

Avec l’aimable collaboration d’Hélène Le Roux, orthophoniste à Étables-sur-Mer (22), créatrice de Savoirs en herbe, association de prévention en orthophonie de l’ensemble des pathologies de la communication

Le rôle des aidants

• Conseillez un aidant, souvent le conjoint ou un enfant, en lui expliquant qu’au fur et à mesure de l’évolution de la maladie, c’est elle ou lui qui va prendre en charge le déroulement de la communication avec la personne atteinte. Informez-le : « L’accompagnement orthophonique vous permettra d’ajuster les stratégies de communication en fonction des stades de la maladie. Ce qui limite le processus de perte du langage et les problèmes de comportement chez la personne atteinte ». Cet assistance est remboursée à 100% sur prescription médicale. Il a un rôle thérapeutique mais aussi de prévention et d’information.

« C’est également une aide pour vous… »