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Et la santé sexuelle, ça va ?

Publié le 4 décembre 2013
Par Anne-Gaëlle Harlaut
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Parler sexe. À la télé, sur Internet, dans la presse, partout on parle de sexe, mais face à face au comptoir, c’est une autre histoire. Recadrons le sujet, la santé sexuelle est votre mission, pas le reste. Si vous tenez ce cap, propos, attitudes et conseils se font sans intrusion.

Le sexe, c’est la santé

Est-ce mon rôle de parler sexe ?

Oui ! La santé sexuelle telle que définie par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en 2002(1) fait partie intégrante de la santé. Elle est du ressort de tous ces professionnels même si leur formation initiale lui laisse peu de place. L’officinal, comme dans tout autre domaine, a un rôle d’éducation, de conseil et d’orientation. Ces missions sont d’ailleurs clairement énoncées pour la contraception d’urgence : questionnement obligatoire, recherche du risque d’infections sexuellement transmissibles (IST), remise de brochures informatives.

Ça me gêne…

Le contraire serait anormal?! La sexualité touche à l’intimité. Elle est influencée par des facteurs psychologiques, sociaux, culturels et religieux qui renvoient patients et professionnels à leurs représentations et tabous.

→ Acceptez votre gêne et celle du patient. Hésitations et silences ne sont pas des fautes professionnelles, mais une marque d’intérêt (J’ai pris en compte votre besoin et je respecte votre difficulté à en parler), la gêne s’estompe après quelques minutes de conversation.

→ Cultivez votre assurance. Des connaissances scientifiques solides sur la reproduction et la sexualité humaines (mécanismes de l’érection, mode d’action des médicaments, lubrification intime, cycle de reproduction) sont une bonne arme « anti-gêne ».

→ Ne bottez pas en touche. Aborder sa sexualité est une marque de confiance absolue d’un patient qu’il ne faut pas négliger. Cacher sa gêne derrière un ton humoristique (« Allons, un peu de vitamine et ça repart »…) ou une formule toute faite (« Ça va passer »…) peut paraître tentant, mais c’est un manque de considération qui sera mal perçu.

Ça me choque !

Apprendre que Monsieur P. poursuit une vie sexuelle à 80 ans ou que Mademoiselle L. a plusieurs partenaires à 16 ans vous choque ? C’est une histoire entre vous et vous. Le patient est en droit d’attendre une écoute, voire une solution, mais en aucun cas un jugement.

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→ Ne niez pas. Les Français ont une vie sexuelle en moyenne à partir de 17 ans (parfois beaucoup plus tôt) et la poursuivent après 50 ans dans 90 % des cas ; le nombre de partenaires augmente, l’homosexualité aussi…

→ Ne transférez pas. À l’officine, laissez de côté votre morale et focalisez-vous sur les besoins du patient. Si vraiment c’est impossible (résonance trop forte avec votre situation personnelle), passez la main avec tact : « Si vous le permettez, je pense que mon collègue sera mieux qualifié pour vous aider… »

→ Chassez les attitudes punitives. Conscients ou non, une moue de désapprobation, un haussement de sourcils, des jugements indirects – « Si c’était ma fille… », « Moi ce que j’en dis… » – sont hors de propos et contre-productifs.

Un climat propice

La qualité du dialogue dépend pour beaucoup du climat d’ouverture d’esprit de l’officine.

Montrez les produits

Exposer les gammes liées à la santé sexuelle (préservatifs, lubrifiants, compléments alimentaires…) dans l’espace de vente invite inconsciemment au dialogue.

Saisissez les occasions

La porte d’entrée peut avoir diverses formes.

→ Médicale, classiquement. Lors de la délivrance d’un médicament prescrit (troubles érectiles, sécheresse vaginale…) ou d’une demande de conseil (accident de contraception, lubrifiant, demande d’un « fortifiant » sexuel, contraception d’urgence…).

→ Cachée. Attention aux demandes détournées qu’il faut savoir décrypter : « Je suis en baisse de forme en ce moment… », « Dans ces moments, ça me fait mal en bas… » Faites préciser la demande par une ou deux questions, soit par une question ouverte : « Y a-t-il des questions intimes que vous souhaiteriez aborder » ou, si vous êtes convaincu de sa teneur « cachée », par des questions ciblées : « Qu’est-ce qui vous fait dire que l’âge altère la santé sexuelle ? », « Voulez-vous dire que pour vous les relations sexuelles peuvent être douloureuses ? »

→ Spontanée. Quand vous sentez une proximité adéquate avec un patient que vous connaissez (voir encadré).

Rassurez sur la discrétion

Le manque de confidentialité est l’ennemi numéro 1 des sujets intimes. Mais les blocages peuvent être limités.

→ Proposez un espace de confidentialité. Surtout, ne l’imposez pas pour éviter la dramatisation ou la stigmatisation du sujet.

→ Retournez les produits. Sur le comptoir, cachez la face où le nom des produits s’affiche, a fortiori ceux à forte connotation médiatique (Viagra, Norlevo…). Ne les nommez pas en présence d’un tiers. Pensez aux sacs opaques.

Une approche très « pro »

« J’ai peur d’être intrusif »

À condition de respecter la pudeur du patient et de répondre à ses attentes, vous êtes dans votre rôle. Deux règles d’or sont à retenir.

→ Abordez en douceur. Laissez s’installer une conversation et un climat de bienveillance avant d’aborder une question d’ordre sexuel. Jamais dès le début d’une conversation (risque de blocage), ni à la toute fin (ne laisse pas la place à un développement).

→ Questionnez « utile ». Chaque question doit avoir un intérêt dans la recherche de solution. Par exemple, demander à une jeune fille si elle utilise des préservatifs lors de la délivrance d’une contraception d’urgence cible la recherche d’un risque d’IST ; chercher à savoir combien de partenaires elle a n’a aucun sens.

Comment aborder le sujet ?

→ Cadrez « santé ». Le professionnel de santé s’intéresse à la santé sexuelle, non à la sexualité. Faites sentir d’emblée la nuance : « Je vais vous poser quelques questions sur votre santé sexuelle ».

→ Dédramatisez. Sans banaliser, évoquez la fréquence des troubles pour rassurer. « Ces troubles concernent la majorité des hommes après l’opération de la prostate… », « La sécheresse vaginale est un trouble fréquent pendant la grossesse »

→ Amorcez « technique ». Bon réflexe « anti-gêne », envisager la question sous un angle médical est aussi très pro : « L’efficacité de cette méthode est maximale si elle est prise dans les 72 heures après un rapport à risque » plutôt que « De quand date le rapport à risque », « L’influx sanguin provoqué par ce produit est déclenché par une stimulation » plutôt que « Sans préliminaires, ça ne marche pas ! »

→ Aidez-vous de supports. Les brochures éditées par le Cespharm ou les laboratoires sont des outils précieux pour déclencher le dialogue.

Je ne trouve pas les mots

→ Évitez les termes techniques. Coït, verge, leucorrhées… sont pratiques pour se « cacher » derrière ses connaissances, mais ils risquent de rendre le message incompréhensible.

→ Utilisez un vocabulaire populaire. Compris par tous, mais non vulgaire : vagin, pénis, érection, pénétration, sécheresse, pertes… Une astuce consiste à se caler sur le vocabulaire employé par le patient pour être sûr d’être compris.

Face au silence

Si malgré tout, la personne se ferme, laissez des portes ouvertes.

→ N’insistez pas. Adaptez l’approche aux besoins et respectez la pudeur d’un dialogue qui tourne court. « Merci, je connais », « Je sais tout ça », « Je n’ai pas le temps » sont des signes qu’il ne faut pas insister.

→ Laissez une porte ouverte. Certains patients ont besoin de temps pour laisser cheminer votre proposition d’écoute. Laissez-leur cette opportunité : « Si vous désirez plus tard des informations complémentaires, n’hésitez pas ». Remettez si possible une brochure informative et une liste des professionnels pouvant être consultés : médecins, PMI, centre de planification, réseaux de santé sexuelle…

Remerciements au Dr Gilbert Bou Jaoudé (voir encadré).

(1) « La santé sexuelle est un état de bien-être physique, émotionnel, mental et social associé à la sexualité. Elle ne consiste pas uniquement en l’absence de maladie, de dysfonction ou d’infirmité […] »

3 conseils de

Dr Gilbert Bou Jaoudé, médecin sexologue à Lille (59), enseignant universitaire diplôme sexologie, président de l’Association pour le développement de l’information et de la recherche sur la sexualité (Adirs, www.adirs.org).

1. Ne sous-estimez pas votre rôle

Aussi surprenant que cela puisse paraître, la majorité des patients estime que les troubles sexuels ne relèvent pas du médecin. Par exemple, près de la moitié des femmes qui présentent des douleurs à la pénétration n’en parlent pas à leur gynécologue ; la même proportion d’hommes n’évoque pas leurs troubles sexuels avec leur urologue. En revanche, ils iront plus facilement vers les pharmaciens. Le choix d’exposer des produits relatifs à la santé sexuelle est notamment perçu comme un indicateur que cette problématique peut être abordée dans cette officine.

2. N’hésitez pas à aborder le sujet

Gardez à l’esprit que la plupart des personnes qui souffrent de problèmes sexuels aimeraient bien en parler mais ils n’osent pas le faire. Une enquête menée auprès de patients souffrant de troubles de l’érection montre que deux hommes sur trois préfèrent qu’on leur pose la question plutôt que d’aborder eux-mêmes le sujet. Ces troubles étant très fréquents en cas de diabète, de troubles prostatiques ou d’affections cardio-vasculaires sévères, on a toutes les chances de répondre à une attente en amorçant le dilaogue au comptoir.

3. Attention à l’alibi iatrogénie

Nombre de patients relient leurs difficultés sexuelles à un traitement en cours. C’est possible, notamment avec les psychotropes et les médicaments à visée cardio-vasculaire, mais les troubles sexuels d’ordre iatrogénique sont plutôt rares, et bien plus souvent liés à la maladie elle-même. Or, on constate que 20 à 30 % des patients concernés finissent par stopper d’eux-mêmes leur médicament… C’est le rôle du pharmacien de déconseiller formellement l’arrêt du traitement, de relativiser le rôle des médicaments et d’orienter vers le médecin.