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En finir avec les malpolis

Publié le 28 juin 2016
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Supporter les incivilités. Pas de « bonjour », ni de « s’il vous plaît », les actes incivils se banalisent, usent et ouvrent la porte à l’agressivité. Voici quelques pistes pour éviter les dérapages.

Qu’est-ce que c’est ?

Une rupture des codes

Contrairement à l’agression, qui est une atteinte à l’intégrité d’une personne, il n’y a pas de définition juridique de l’incivilité. Pour Sebastian Roché, directeur de recherche au CNRS, spécialisé en criminologie, les comportements incivils sont « perçus comme des ruptures des codes élémentaires de la vie sociale »(1). L’incivilité renvoie à la notion de normes sociales et au décalage d’un comportement jugé anormal par le plus grand nombre.

Hautement subjective

La perception d’une incivilité est subjective puisque les normes sociales diffèrent selon l’éducation et la culture de chacun. Plus encore, notre perception varie d’une personne à l’autre selon :

• le physique : les personnes aux traits infantiles dégageraient par exemple davantage d’émotions positives ;

• nos expériences antérieures : le énième client désagréable de la journée ;

• notre état émotionnel : une baisse passagère d’estime de soi amplifie la sensation d’être agressé.

En gestes et en paroles

Les officinaux interrogés par Porphyre placent en tête du palmarès :

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• les gestes « négatifs » : soupir, poursuite d’une conversation au téléphone… ;

• l’absence de formules de politesse : « Bonjour », « Au revoir » ;

• les remarques désobligeantes : « Je voudrais parler à un pharmacien », « Avez-vous votre diplôme ? », « Dépêchez-vous ! »

Banalisée mais usante

La pyramide de Maslow, issue d’une théorie développée dans les années 1950, stipule qu’une fois les besoins liés à la survie assouvis – nourriture et sécurité –, l’homme cherche à satisfaire ceux d’appartenance à un groupe, de reconnaissance et de dépassement de soi. Les incivilités impactent négativement ces besoins et l’estime de soi. Dans le milieu professionnel, les experts de l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS) expliquent que, répétées, elles peuvent « provoquer chez les salariés de la démotivation, de la perte de confiance en soi, surtout si elles ne sont pas prises en compte par l’encadrement ».

De multiples causes

Générationnelles ou culturelles

Certaines personnes âgées exigent les médicaments comme un dû. Ce peut être des adultes égocentrés issus de la génération des « enfants rois », « Il me faut »

Circonstancielles

« À l’officine, c’est le même constat que dans l’ensemble de la société. Il y a un sentiment que l’on a droit à tout, notamment avec la carte Vitale, et en même temps un mal-être latent, exacerbé par les déremboursements, les ruptures de stock… Nous sommes en première ligne face à ce mécontentement grandissant », explique Alain Marcillac, responsable national sécurité à l’ordre des pharmaciens.

Situations stressantes

Sauriez-vous, vous-même, rester aimable après un diagnostic médical difficile ou une longue attente ? « À l’officine, une personne peut être simplement stressée à l’idée de ne pas recevoir le bon médicament, d’avoir un générique…, insiste Amélie Oudry, psychologue spécialisée dans les risques psychosociaux. Comme je l’explique aux personnes qui travaillent en milieu hospitalier, si l’on ne comprend pas que le patient est en fait stressé par rapport à la maladie ou à une situation qu’il ne saisit pas, on va forcément à l’affrontement ».

Prendre de la distance

Contrôlez-vous

Selon la « Feedback Facial Theory », issue des neurosciences cognitives, le fait de sentir les muscles de son visage se contracter et son pouls s’accélérer serait à l’origine de l’émotion que nous ressentons, et non l’inverse. Face à un comportement vécu comme agressif – une carte Vitale jetée sur le comptoir –, le premier réflexe est de contrôler son émotion.

• Faites une pause : s’il le faut, allez dans le back-office en disant « Je vous prie de m’excuser, je dois laisser une consigne à une collègue ». Cela permet de relativiser et de faire baisser votre inconfort, tout en montrant votre souci de politesse…

• Respirez amplement : pour abaisser le rythme cardiaque et retrouver son calme.

• Marquez un silence : tout en maintenant un contact visuel non agressif, cela attire l’attention de la personne sur son comportement inapproprié.

Vous êtes (rarement) visé

Prendre du recul est le deuxième réflexe. En général, vous n’êtes pas visé (voir précédemment De multiples causes).

Désamorcer

C’est l’étape essentielle pour éviter que l’incivilité ne dérape vers un conflit.

Contrez les émotions négatives

Face à la colère, nous avons tendance, par mimétisme, à contracter les muscles impliqués dans le froncement des sourcils, ce qui n’apaise pas notre interlocuteur ! Ne pas entrer en résonance avec l’émotion négative du patient évite d’amplifier son mécontentement.

• Conservez une expression neutre ou positive. Attention cependant au sourire forcé : selon la situation, il pourrait être interprété comme de l’indifférence ou du mépris.

• Posez votre voix, parlez calmement. Le vocabulaire utilisé est primordial pour induire des émotions positives. Préférez par exemple « Vous me semblez soucieux » à « Vous avez l’air agacé ».

• Évitez les gestes brusques, les dodelinements de la tête, les regards entendus en direction des collègues.

• Déléguez si besoin. Si vous vous sentez submergé (après le quatrième client malpoli de la matinée !), n’hésitez pas à faire appel à un collègue.

Vers l’empathie

Parfois, le simple fait de montrer de la compréhension par un sourire ou un petit mot « Ça va madame ? » suffit à désamorcer la tension. « Il faut essayer d’imaginer la situation du patient et décoder son stress, rester dans le service de la personne et de ses besoins », conseille Amélie Oudry. « Est-ce que tout est clair dans l’ordonnance de votre médecin ? Est-ce que vous avez suffisamment d’informations ? » peuvent désamorcer l’agressivité latente générée par le stress. Lire les expressions corporelles d’un patient à la lumière de son ordonnance peut être utile, en particulier si celle-ci évoque une pathologie grave : « Il faut pouvoir également respecter le mutisme d’une personne qui vit difficilement sa maladie. Dans ce cas, délivrez l’information avec discrétion et soyez dans la sollicitude », préconise la psychologue.

Adapter sa réponse

« Fight » ou « flight » ?

De façon caricaturale, les comportementalistes décrivent deux réponses instinctives face à la colère d’un congénère : se battre (fight) ou s’enfuir (flight). Dès les premières minutes de l’entretien, certains tendent par leurs réponses à amplifier la situation d’agressivité latente (fight), d’autres à ignorer l’incivilité afin d’écourter l’interaction (flight). Aucune de ces attitudes n’est judicieuse dans le contexte de la relation client car la première expose au conflit et la deuxième entretient le sentiment de frustration par manque de considération. L’enjeu est de trouver le bon curseur. Pointer du doigt une incivilité permet au patient de réajuster son attitude sans pour autant le froisser. « Il est important de renforcer la politesse, d’aller vers l’interaction, mais en veillant à ne pas brusquer les mécanismes de défense de l’autre », souligne Amélie Oudry.

Au cas par cas

• Pas de « bonjour ». Lancer avec bonne humeur un franc « Bonjour Monsieur ! » Vous serez surpris de constater que le malotru peut se révéler distrait, soucieux ou… malentendant ! S’il ne répond pas, inutile toutefois d’insister.

• Il est pendu au téléphone. « L’officinal n’a pas à jouer les parents. Le but est de maintenir l’interaction dans un cadre professionnel », note Amélie Oudry. Et de proposer une formule : « J’ai des informations personnelles à vous délivrer, pourriez-vous mettre en attente votre conversation ? » Alerté par le caractère confidentiel et professionnel de la demande, le patient s’apercevra rapidement qu’il est impoli sans avoir à lui faire la leçon.

• Il « balance » sa carte Vitale sur le comptoir. Misez sur l’humour : « Ouh la la, elle a bien failli tomber cette carte Vitale ! » devrait le laisser penaud. Vous signalez ainsi la désapprobation en contournant le risque de confrontation.

• Il s’agace. S’il considère vos questions comme intrusives, une formule qui le considère devrait vous aider : « Ces questions me permettent de mieux vous conseiller ». Si c’est la situation qui l’agace, déremboursement, rupture…, jouez la double carte compréhension/éducation : « Je comprends votre étonnement mais laissez-moi vous expliquer le contexte… »

• Il s’impatiente dans la file d’attente. Attention au risque de propagation de l’agacement à l’ensemble de la file ! Agir au plus vite pour faire retomber la tension : « Il y a du monde aujourd’hui, je peux vous proposer une chaise ? »

Agir sur le long terme

En équipe et seul

• L’employeur est tenu d’apprécier les risques auxquels sont soumis ses salariés, y compris psychosociaux, dont l’exposition aux incivilités, pour veiller à leur santé physique et mentale. Les salariés peuvent le solliciter pour mettre en place des outils de prévention collective : définir les risques (fréquence d’exposition, absentéisme) et mettre en place des mesures organisationnelles (former les salariés en contact avec le public et aménager les conditions d’accueil du public).

• Des mesures individuelles sont aussi possibles : gestion de situations stressantes avec thérapies cognitivo-comportementales, entretiens psychologiques…

Soigner l’accueil

Les comportements apaisés et courtois sont également conditionnés par l’environnement. Ils peuvent être induits dès l’entrée dans la pharmacie. Les études neuroscientifiques montrent que certaines couleurs froides – bleu et ses dérivés vert et violet – ou odeurs agréables sont autant de facteurs influençant le bien-être. La présence de tickets de passage, une affiche vantant les vertus du sourire ou d’un « bonjour » ou encore le port d’une blouse blanche constituent des moyens simples et peu onéreux de prévenir les comportements impolis ou irrespectueux.

(1) Sebastian Roché, La théorie de la « vitre cassée » en France. Incivilités et désordres en public, Revue française de science politique, 2000, volume 50, n° 3, pp.387-412.