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Vaccin d’AstraZeneca : en avant… doute !

Publié le 3 avril 2021
Par Yves Rivoal
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Fallait-il interrompre la campagne de vaccination anti-Covid-19 avec les doses d’AstraZeneca ? Le 15 mars, l’annonce, par le président de la République, de la suspension du vaccin britannique au nom du principe de précaution a agité le landerneau de la communauté médicale.

Pour Brigitte Autran, professeure émérite d’immunologie à Sorbonne Université à Paris et membre du conseil d’orientation de la stratégie vaccinale, pas de place au doute : la décision française de suspendre le vaccin anti-Covid-19 d’AstraZeneca le 15 mars dernier était parfaitement justifiée en matière de pharmacovigilance. « La survenue d’une trentaine d’accidents thromboemboliques sur 5 millions de doses ne nous avait pas paru inquiétante dans un premier temps, explique-t-elle. Le conseil avait donc estimé qu’il ne serait pas raisonnable de suspendre la vaccination, car nous n’avions pas d’information laissant à penser que nous étions au-dessus du signal de fréquence au sein de la population générale. » Selon elle, la « bascule » est intervenue le 15 mars. « Ce jour-là, l’Allemagne a annoncé sept cas supplémentaires, avec trois décès, aux quelques cas de thromboses veineuses cérébrales associées à une coagulation intravasculaire disséminée (CIVD), une pathologie grave qui peut être fatale. L’ensemble survenant chez des sujets relativement jeunes, entre 20 et 50 ans. Par conséquent, en comparant la fréquence des CIVD postvaccinales sur cette tranche d’âge apparaissait un léger surrisque par rapport à la population du même âge non vaccinée. C’est sur la base de ce signal faible que le président de la République a pris la décision de suspendre la vaccination. » Enseignant-chercheur en épidémiologie et biostatistiques à l’Ecole des hautes études en santé publique (EHESP), Pascal Crépey n’adhère pas à cette grille de lecture. « Le signal envoyé par la pharmacovigilance indiquant un possible lien entre un effet secondaire grave et la vaccination était réel, mais l’association non avérée et le risque relativement faible. Il aurait donc été préférable d’investiguer avant de se prononcer. » Pour lui, la décision prise est avant tout politique. « Elle visait d’abord à rassurer l’opinion publique. En France, peut-être plus qu’ailleurs, il y a une vraie hypersensibilité de la population vis-à-vis d’éventuels dangers associés à la vaccination. C’est ce risque de perte de confiance, alimenté par le jeu de dominos avec les autres pays européens, qui a conduit à une suspension non justifiée sur le plan sanitaire. »

La précaution, par principe

La décision de reprendre la vaccination fait, elle, pour le coup, l’unanimité. « Avec le variant anglais, la mortalité est 61 % plus élevée qu’avec la souche historique, rappelle Jean-Luc Cracowski, professeur de pharmacologie et responsable du groupe de travail médicaments et Covid-19 de la Société française de pharmacologie et de thérapeutique (SFPT). Or, le vaccin d’AstraZeneca affiche un taux d’efficacité de 75 % sur ce variant, avec une effectivité sur les hospitalisations de 94 %. Si l’on met en parallèle le risque de thromboembolie cérébrale ou de CIVD qui est de l’ordre de 1 cas pour 1 million, la balance bénéfice-risque reste extrêmement favorable au vaccin. » Dans ce contexte, la décision de réintroduire le vaccin d’AstraZeneca dans l’offre de vaccins autorisés, en le réorientant sur les plus de 55 ans, présente tous les avantages pour Brigitte Autran. « Elle permet de reprendre la vaccination sans risque pour les personnes âgées, les autres se voyant offrir une alternative à travers les vaccins ARN qui ne posent, eux, pas de soucis particuliers. » « Il s’agit d’une application pure de la pharmacovigilance, avec une mesure d’adaptation en temps réel de la stratégie vaccinale en fonction des données remontant du terrain, ajoute le Pr Alain Fischer, président du Conseil d’orientation de la stratégie vaccinale. Et si nous n’avions pas suspendu ce vaccin, on nous aurait reproché de ne pas tenir compte d’un risque susceptible d’entraîner des décès. Dans un cas comme dans l’autre, nous aurions été critiqués. Alors que la seule décision critiquable et insensée aurait été d’arrêter la vaccination. » A nouveau, Pascal Crépey ne partage pas ce point de vue. « L’esprit du principe de précaution, c’est de s’assurer que les décisions prises font plus de bien que de mal. Or, en empêchant la population de se faire vacciner en pleine phase épidémique, sous prétexte qu’il y avait un risque non établi et bien inférieur au nombre de décès provoqués par le Sars-CoV-2, nous nous trouvons clairement devant un excès, voire un mésusage du principe de précaution. » Cette suspension renvoie aussi une certaine image de notre société, d’après le sociologue de la santé Benjamin Derbez. « Sur le plan sociétal, cela confirme que nous vivons dans un monde qui place l’individu au-dessus de tout. Et comme la valeur d’une vie est incommensurable, nous n’acceptons plus le sacrifice individuel pour le collectif… »

Un message brouillé

Cet épisode a pu toutefois laisser une impression de cacophonie, comme le reconnaît Brigitte Autran. « Or, toutes les décisions prises sont le fruit d’une analyse rigoureuse des données apparaissant au fil du temps. Je rappelle que, si nous avons orienté au départ le vaccin d’AstraZeneca sur les moins de 65 ans, ce n’est pas parce qu’il y avait des risques au-delà de ce seuil, mais en raison du manque d’informations sur l’efficacité de ce vaccin sur les plus de 60 ans dans les essais de phase III menés par ce laboratoire. Ce n’est qu’à partir du mois de février que nous avons eu connaissance des données en vie réelle des Anglais. Comme elles ont montré une très bonne efficacité contre les formes graves du Covid-19 sur cette tranche d’âge, les autorités l’ont aussi autorisé fin février sur cette population. »

Reste à savoir quelle trace laissera cet épisode dans l’opinion publique. Dans un communiqué intitulé « Plans européens de pharmacovigilance renforcée : sécurité ou frein ? », l’Académie nationale de médecine indique : « La suspension du vaccin anti-Covid-19 d’AstraZeneca, même pour une courte durée, motivée par un signal faible de signification incertaine, compromet la dynamique d’une vaccination de masse encore balbutiante et conforte l’hésitation vaccinale. » Alain Fischer ne partage pas ce point de vue. « Contrairement à ce que dit l’Académie – je lui ai d’ailleurs écrit pour lui signifier que j’étais en total désaccord avec sa position -, cet épisode va nous permettre d’éviter un risque qui n’est pas certain, mais plausible, sans pénaliser pour autant l’accélération de la campagne de vaccination. » Médecin généraliste et président du Syndicat de l’Union française pour une médecine libre (UFML), Jérôme Marty tient le même discours… « Dans cette affaire, la rupture de confiance n’est pas imputable à la décision de suspendre la vaccination par la France. Si nous avions continué de vacciner alors que tous nos voisins européens avaient décidé de suspendre, les patients se seraient dit « On nous cache quelque chose » et n’auraient plus voulu recevoir le vaccin d’AstraZeneca. » Pour Jean-Luc Cracowski, la balle est maintenant dans le camp des professionnels de santé. « La position de la Haute Autorité de santé étant incontestable, à nous de faire comprendre au grand public que les données évoluent et que, derrière toutes ces décisions pouvant paraître compliquées, il y a une vraie logique et une volonté de transparence. »

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Le 26 mars, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a d’ailleurs confirmé un lien entre ces thromboses atypiques et le vaccin anti-Covid-19 d’AstraZeneca…