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Faut-il vacciner tout le monde contre la grippe ?

Publié le 3 octobre 2020
Par Magali Clausener
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Depuis plusieurs semaines, médecins et politiques réclament une vaccination contre la grippe pour toute la population, et même l’obligation vaccinale pour les soignants. Le moment est-il bien choisi pour changer de stratégie vaccinale ? La France se montre-t-elle à la hauteur de ses ambitions ? Malgré des stocks de vaccins revus à la hausse, rien n’est moins sûr.

Pour une vaccination massive et solidaire contre la grippe » : c’est le titre de la tribune signée par 75 députés de la majorité et publiée dans le Journal du Dimanche le 19 septembre. Une phrase qui résume les propos de nombreux médecins, scientifiques, politiques et associations de patients depuis plusieurs semaines. Alors que les hôpitaux craignent une « deuxième vague » de Covid-19, une épidémie de grippe importante « entraînerait un engorgement des services de réanimation et un nouveau pic de surmortalité, en particulier dans les Ehpad », alertait déjà l’Académie nationale de médecine dans une communication du 13 mai 2020. Celle-ci préconise notamment de rendre obligatoire la vaccination antigrippale pour tous les soignants et les personnels sociaux en contact avec les personnes vulnérables, et « d’inscrire l’obligation pour les médecins de proposer la vaccination antigrippale à toutes les personnes consultantes ».

Pas de vaccination généralisée

L’Académie a renouvelé, le 19 septembre, son appel à l’obligation vaccinale des soignants. Pour autant, le 20 mai, la Haute Autorité de santé (HAS) saisie par la Direction générale de la santé (DGS) n’envisage aucun changement. « La stratégie de vaccination antigrippale est définie depuis longtemps ; elle a été réaffirmée en mai, explique aujourd’hui le Pr Elisabeth Bouvet, présidente de la Commission technique des vaccinations à la HAS. Cette stratégie repose sur la protection des personnes qui sont à risque de développer une forme grave de la grippe. Ces personnes sont les mêmes que celles qui sont à risque de faire une forme grave du Covid-19. A ces populations cibles, il faut ajouter les soignants qui risquent d’être infectés et de ne pas pouvoir assurer leur mission. C’est important : il faut faire en sorte que ni les personnes à risque ni le système de santé n’aient à supporter le fardeau de la grippe qui se rajouterait à l’épidémie de Covid-19. »

Il n’est donc pas question d’un élargissement de la vaccination à l’ensemble des Français pour la campagne 2020-2021. Outre les raisons données par la HAS, il s’avère que le nombre de doses de vaccins ne peut pas couvrir toute la population. Un élément que nombre de médecins et responsables politiques ne prennent pas en compte. « Les industriels préparent une quantité de doses adaptée à la population en question, sachant que 6 mois à un an sont nécessaires pour fabriquer un vaccin. Nous ne pouvons pas, au mois de septembre, modifier notre stratégie, car nous avons à notre disposition un nombre de doses adapté aux populations cibles. Cela n’était pas non plus envisageable au mois de juin, compte tenu des délais de fabrication », commente Elisabeth Bouvet. De fait, les populations cibles représentent environ 20 millions de personnes. Or, au départ, seulement 13 millions de doses ont été précommandées par les officines et les collectivités. « La France a acheté le maximum de doses disponibles. Les autorités sanitaires ont fait importer des vaccins qui protègent mieux les personnes âgées. La capacité française a été significativement augmentée », souligne Elisabeth Bouvet. La DGS confirme : pour la première fois, l’Etat a procédé à la commande de 2,5 millions de doses supplémentaires dans le cadre d’un stock d’Etat. Au total, le nombre de doses de vaccins s’élèvera à 15,6 millions de doses, soit + 30 % par rapport à 2019 (11 millions de doses). Et « le sourcing auprès des laboratoires sera maintenu au cours de la campagne », affirme la DGS.

Prioriser les personnes à risque

En raison de possibles tensions d’approvisionnement, la DGS recommande de prioriser les doses de vaccin et de les réserver aux populations cibles et aux personnels soignants, au moins jusqu’au 30 novembre. « Les pharmaciens ne doivent pas inciter tous les adultes à se faire vacciner. Nous avons un nombre défini de doses et elles doivent servir aux personnes qui en ont réellement besoin », insiste Elisabeth Bouvet. La Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) abonde dans ce sens et est favorable à la délivrance de vaccins et à la vaccination uniquement des personnes présentant un bon de prise en charge de l’Assurance maladie et des personnels soignants. L’Union des syndicats des pharmaciens d’officine (USPO) préconise de vacciner le plus rapidement possible, dès le 13 octobre, les populations à risques afin de voir s’il y a un risque ou non de pénurie, et, sinon, de pouvoir vacciner les adultes non prioritaires. Mais pour le Pr Yves Buisson, qui préside le groupe Covid de l’Académie de médecine, il paraît « difficile en pratique de prioriser les doses de vaccin. Il est important qu’un maximum de personnes se fasse vacciner. » Une chose est sûre : la DGS a prévu des réunions pour suivre attentivement le déroulement des premières semaines de la campagne.

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Pas d’obligation pour les soignants pour l’instant

Pour l’Académie de médecine et l’association de patients France Assos Santé, l’obligation vaccinale des soignants et des personnels travaillant auprès des personnes âgées et/ou vulnérables devrait être instaurée dès cette saison. « Le taux de couverture est à peine acceptable pour les médecins et très insuffisant pour les autres personnels, note Yves Buisson. Il faut convaincre les soignants de protéger les autres en se protégeant. Ce caractère altruiste n’est pas perçu. » Seul un tiers des soignants (35 % dans les établissements de santé, 32 % dans les Ehpad) s’est fait vacciner contre la grippe lors de la campagne 2018-2019.

Cette obligation paraît néanmoins difficile à mettre en oeuvre rapidement, même si la réflexion est engagée. « Ce sujet ne dépend pas de la HAS mais va être discuté au ministère de la Santé et à la Direction générale de la santé, car la question se pose pour d’autres vaccins, notamment contre la rougeole et la coqueluche, détaille Elisabeth Bouvet. L’obligation vaccinale pose cependant un certain nombre de questions en termes de conséquences et d’organisation. C’est vrai que la vaccination contre la grippe était obligatoire et un décret a suspendu cette obligation, en grande partie pour des raisons de mise en oeuvre de cette mesure. Logiquement, cela signifiait qu’un soignant qui n’était pas vacciné, ne pouvait pas travailler. De plus, l’acceptabilité de la vaccination n’est pas non plus extraordinaire dans certaines professions de santé. Il faut prendre en compte tous ces éléments. »

Une stratégie peut-être modifiée

En fait, le contexte actuel incite les autorités sanitaires à s’interroger sur la politique de vaccination. « Il va falloir adapter la stratégie vaccinale comme on l’a déjà fait, en incluant les femmes enceintes et les personnes atteintes d’obésité en observant qu’elles étaient des catégories à risque », explique Yves Buisson. La vaccination des enfants contre la grippe suscite ainsi de l’intérêt. Les enfants transmettent effectivement le virus de la grippe à leurs aînés et aux plus fragiles, à l’inverse du Covid-19. « Sur le plan épidémiologique, ce n’est pas idiot de vacciner les enfants. En ex-URSS, on vaccinait les « forces vives » du pays, c’est-à-dire tous les travailleurs. Les trois stratégies, dont celle de vacciner les personnes à risque, sont différentes, mais se défendent. En fait, on arrive à une stratégie de vaccination universelle », observe Yves Buisson.

« Vacciner les enfants est une stratégie possible. Cela a été fait au Japon, qui a ensuite abandonné cette stratégie. Elle a été reprise au Royaume-Uni avec, semble-t-il, des résultats intéressants. Mais cela suppose de disposer de vaccins par voie nasale en quantités très importantes, une information de la population, une campagne de sensibilisation. C’est donc une révolution complète en termes de stratégie et d’organisation, relève Elisabeth Bouvet. La Commission technique des vaccinations va certainement étudier cette question, notamment parce que d’autres pays adoptent cette stratégie, mais la vaccination des enfants ne pourra pas être mise en oeuvre pour la campagne 2021-2022, car c’est déjà trop juste en termes de temps. »

UNE ÉPIDÉMIE MOINS IMPORTANTE QUE PRÉVU ?

Un changement de la stratégie vaccinale n’est pas possible pour cette campagne. L’objectif est donc d’augmenter la couverture vaccinale des populations à risque et des soignants dans le contexte actuel. Un élément est cependant rassurant : « Nous avons suivi attentivement la saison grippale dans l’hémisphère sud, qui commence vers mars et se termine en août-septembre, et l’activité a été pratiquement nulle, notamment en raison des gestes barrières. Il n’est pas invraisemblable que nous n’ayons pas à affronter une importante épidémie de grippe en France », estime le Pr Elisabeth Bouvet, présidente de la Commission technique des vaccinations à la Haute Autorité de santé.

À RETENIR

– Il n’y aura pas de généralisation de la vaccination contre la grippe à toute la population cette saison. La HAS reste sur sa stratégie, qui est de protéger les plus fragiles. Le nombre de doses de vaccins est par ailleurs insuffisant.

– L’obligation vaccinale pour tous les soignants, réclamée par l’Académie de médecine et les associations de patients, ne sera pas imposée cette saison. Une réflexion sur la vaccination des plus jeunes, vecteurs du virus de la grippe, est à l’étude.

– L’épidémie de grippe pourrait se montrer moins importante que prévue, en raison des gestes barrières mis en place pour lutter contre le Covid-19.