- Accueil ›
- Nouvelles missions ›
- Vaccination ›
- Dans les coulisses du lobbying officinal
Dans les coulisses du lobbying officinal
Vaccination, dépistage, entretiens pharmaceutiques, évolution du mode de rémunération… La plupart des avancées obtenues ces dernières années par les pharmaciens d’officine ont été remportées en partie grâce au lobbying exercé par les instances représentatives de la profession auprès des pouvoirs publics. A l’approche des législatives, plongée dans les coulisses des négociations qui ont redessiné les contours du métier de pharmacien.
Depuis quelques années, les pharmaciens d’officine ont mis en place un lobbying très efficace en direction des pouvoirs publics. En s’appuyant sur un partenariat étroit entre l’Ordre et les syndicats professionnels libéraux, la profession a réussi à obtenir une extension significative de son périmètre de compétences. Après en avoir discuté avec l’Ordre des médecins et des confrères d’autres syndicats, nous sommes tombés d’accord pour reconnaître que nous devrions nous inspirer de cet exemple. » Cette confidence de Jacques Battistoni, président du syndicat de médecins MG France, illustre l’importance du lobbying lorsqu’il s’agit de peser sur les décisions des pouvoirs publics. Toutes les grandes avancées enregistrées par les pharmaciens d’officine ces dernières années sont le fruit d’un jeu d’influence mené par les instances de la profession. « La loi dite “Ségur de la santé” et la loi de financement de la Sécurité sociale 2022 ont, par exemple, consacré des évolutions structurantes pour les pharmaciens, dont une bonne partie est issue de propositions de l’Ordre, rappelle Carine Wolf-Thal, présidente du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens (CNOP). Auparavant, c’était pour la vaccination par les pharmaciens ou encore la possibilité pour les officinaux de délivrer des médicaments de prescription médicale obligatoire sans disposer d’une ordonnance dans le cadre de protocoles. »
Les champs d’intervention ne manquent pas lorsqu’il s’agit de défendre ou de promouvoir les intérêts de la profession en faveur de la santé publique, comme le reconnaît Carine Wolf-Thal. « Le Conseil national est systématiquement saisi par les autorités de tout projet de réforme de l’organisation et du fonctionnement de la profession ou, plus généralement, de tout texte concernant l’exercice professionnel, confirme la présidente du CNOP. L’Ordre assure d’autre part un travail de veille sur tous les textes en discussion au Parlement impactant la pharmacie et les pharmaciens. Il est par ailleurs régulièrement auditionné par les autorités et est à cette occasion force de proposition. Il fait enfin part d’éléments de réflexion aux pouvoirs publics et promeut des évolutions sur des sujets en lien avec les missions du pharmacien, toujours au service de la santé publique. » Omniprésents eux aussi sur le champ législatif et réglementaire, les deux syndicats représentatifs de la profession, la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) et l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), sont également à la manœuvre lors des négociations conventionnelles avec la Caisse nationale de l’Assurance maladie (Cnam). « Avant de rédiger sa lettre de cadrage, Olivier Véran, le ministre de la Santé de l’époque, nous avait reçus pour évoquer les propositions que nous lui avions transmises en amont, note Pierre-Olivier Variot, président de l’USPO. Or, nous avons eu la satisfaction de constater qu’il avait repris toutes nos idées dans son texte. »
Jeux d’influence
Pour exercer ces jeux d’influence, mieux vaut posséder un solide réseau et un répertoire téléphonique fourni. « Dans mon smartphone, j’ai les “06” des membres des commissions des affaires sociales de l’Assemblée nationale et du Sénat, celui du responsable de la division produits et santé à la Cnam, et ceux de ses supérieurs hiérarchiques jusqu’au directeur général, Thomas Fatôme, dévoile Philippe Besset. J’ai aussi les numéros du directeur de cabinet du ministre de la Santé, des directeurs et des responsables de projet à la Direction générale de la santé (DGS), à la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) et à la Direction de la Sécurité sociale (DSS). » Le président de la FSPF a également enregistré dans son répertoire le portable d’Olivier Véran avec qui il avait eu l’occasion d’échanger lorsque celui-ci était député et membre de la commission des Affaires sociales. « Mais je n’ai jamais eu à l’utiliser car la plupart du temps, c’est nous qui sommes sollicités », confie Philippe Besset.
De son côté, Laurent Filoche, président de l’Union des groupements de pharmaciens d’officine (UDGPO), dispose de relais à l’Assemblée nationale et au sein des équipes ministérielles. « Nous procédons la plupart du temps par échanges de bons procédés, souligne le président de l’UDGPO. Pendant la pandémie [de Covid-19, NdlR], l’adjoint à la sous-directrice de la politique des produits de santé et de la qualité des pratiques et des soins de la DGS nous a, par exemple, sollicités pour fournir les Français en gel hydroalcoolique et en masques. Le responsable du département des professionnels de santé de la Cnam a fait de même pour s’assurer de notre capacité à nous approvisionner en tests antigéniques et autotests. Nous avons conservé leur numéro pour pouvoir les appeler le jour où nous pourrions avoir besoin de leur aide. »
Rapports de force
Pour faire passer leurs idées, les représentants de la profession activent tous les leviers. Pierre-Olivier Variot consacre une partie de son temps à rédiger des notes et des analyses ayant vocation à nourrir le débat parlementaire. « L’objectif étant de démontrer le bien-fondé de nos positions, en mettant toujours en avant l’intérêt des patients, note le président de l’USPO. Et lorsque nous n’obtenons pas satisfaction, nous sommes alors obligés d’instaurer un rapport de force. C’est ce qui s’est produit lors de la négociation sur la dernière convention pharmaceutique. En matière de lutte contre la fraude [sur les médicaments chers, NdlR], le texte qui nous était proposé faisait porter l’intégralité du risque sur le pharmacien. Nous avons indiqué que nous n’accepterions pas de le signer en l’état. Avec l’aide des associations de patients, qui étaient sur la même longueur d’onde que nous, nous avons réussi à obtenir que ce texte s’appliquerait lorsqu’un consensus serait trouvé avec toutes les parties prenantes. »
Pour faire monter la pression, les représentants des pharmaciens n’hésitent pas à mobiliser la presse. « Les sujets que nous défendons étant toujours d’intérêt public, il est normal de les amener devant les médias pour que le grand public comprenne les conséquences positives ou nocives de telle ou telle mesure, estime Philippe Besset. J’observe d’ailleurs que, depuis le début de la pandémie, notre profession a gagné en visibilité car je suis désormais sollicité toutes les semaines par les chaînes de télévision, les radios et les journaux nationaux. » En cas de désaccord majeur, les représentants des pharmaciens n’hésitent pas non plus à faire appel aux tribunaux ou aux plus hautes instances juridictionnelles. « Sur l’avenant 20 de la précédente convention, l’Assurance maladie s’était arrogé le droit de faire appliquer les dispositions concernant les grands conditionnements, alors que le décret n’avait toujours pas été publié au Journal officiel, se souvient le président de la FSPF. Cette décision entraînant une baisse d’honoraires pour les pharmaciens, nous avons porté l’affaire devant le conseil d’Etat qui nous a donné raison. L’Assurance maladie a dû rembourser la partie d’honoraires non payés… »
En ordre de marche
La plupart des avancées obtenues ces dernières années ont été rendues possible grâce à la bonne entente entre les différentes instances représentatives de la profession. « Globalement, même si sur certains points, nous ne partageons pas toujours les mêmes préoccupations, tout le monde tire dans le même sens lorsqu’il s’agit de défendre les intérêts de la profession, assure Pierre-Olivier Variot. Avant l’ouverture des négociations de la dernière convention pharmaceutique, les syndicats ont travaillé chacun de leur côté pour formuler leurs propositions. Mais nous nous sommes ensuite vus pour déterminer où nous voulions aller. Et avant chaque séance de négociations, on se réunissait pour accorder nos violons sur les messages à faire passer et les réponses à apporter aux questions posées par la Cnam. »
L’Ordre, les syndicats de libéraux, d’étudiants et de groupements ont aussi l’occasion de se rencontrer lors des réunions de la profession organisées deux à trois fois par an. « C’est l’occasion pour nous d’échanger sur tous les sujets d’actualité. Nous avons aussi l’occasion de nous croiser tous les mois au sein du Haut Comité à la qualité, et en période de négociations conventionnelles ou de projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), nous nous voyons tous les 15 jours ou tous les mois », précise Laurent Filoche, pour qui ce consensus est essentiel. « L’expérience a montré que c’est lorsque nous sommes tous d’accord que nous arrivons à faire bouger les lignes », conclut le président de l’UDGPO.
UN LOBBYING COORDONNÉ
Le temps des guerres de chapelle entre les syndicats de professionnels de santé semble révolu. « Traditionnellement, au moment de la négociation du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), chaque profession organise son lobbying pour défendre ses intérêts ou élargir son champ de compétences, rappelle Jacques Battistoni, le président de MG France. Cette méthode contribue à créer des conflits. Il faut donc la changer. Nous allons désormais privilégier une autre approche, dans laquelle les différentes professions auront vocation à contracter entre elles des accords conventionnels interprofessionnels qui détermineront les nouveaux modes d’exercice coordonnés sur le terrain. Elle fait d’ailleurs partie de nos revendications pour le PLFSS 2023 », annonce Jacques Battistoni, en reconnaissant que l’idée de ces accords conventionnels interprofessionnels lui a été soufflée par un certain… Philippe Besset.
Les étudiants en pharmacie partie prenante
L’Association nationale des étudiants en pharmacie de France (Anepf) a aussi son mot à dire lorsqu’il s’agit de défendre les droits et les intérêts de ces derniers et plus largement de la profession. « Nous participons à toutes les séances de négociation conventionnelle, à l’exception de l’axe 1, notre association n’ayant pas vocation à se prononcer sur le volet économique. Nous sommes également conviés à toutes les réunions de la profession et faisons partie du Haut Comité à la qualité », rappelle Numan Bahroun, le président de l’Anepf, qui a le sentiment que la voix des étudiants est entendue par les autres représentants de la profession. « La plupart du temps, nous sommes en phase sur l’essentiel. Mais il arrive aussi que nous soyons en désaccord, comme pour la réforme du 3e cycle des études de pharmacie. Nous avions au départ voulu une gratification de 1 200 € par mois pour le stage de fin d’études de 6e année au lieu des 550 € actuels. Comme cela n’a pas été accepté par le gouvernement en raison d’un manque de moyens, nous avons souhaité qu’une partie de l’enveloppe globale allouée à la pharmacie dans le cadre de la nouvelle convention soit redistribuée aux étudiants en pharmacie. Cette demande a été appuyée par nos partenaires syndicaux. Et le soir de la signature, le ministre de la Santé a apporté de l’eau à notre moulin en promettant, dans une lettre, de revoir le statut et la gratification des stages pour les étudiants en 6e année… »
À RETENIR
Ordre, syndicats, groupements et étudiants agissent auprès des pouvoirs publics pour défendre ou promouvoir les intérêts du pharmacien d’officine : par consultations, par échanges de bons procédés, parfois par rapports de force.
La plupart des avancées obtenues ces dernières années par le pharmacien découlent du travail commun entre ces différents acteurs. Un modèle efficace qui pourrait inspirer d’autres professionnels de santé, voire coordonner plusieurs métiers de la santé.
- Vaccination antigrippale des plus de 65 ans : Efluelda aurait-il tout changé cette année ?
- Savoir orienter les patients à risque de grippe aviaire ou porcine
- La vaccination antipneumococcique recommandée à tous les seniors
- Grippe : pourquoi l’épidémie est-elle si intense ?
- Et si les compétences vaccinales des pharmaciens étaient encore étendues ?
![Transactions d’officines : tendances et prix de vente moyens](https://www.lemoniteurdespharmacies.fr/wp-content/uploads/2024/11/transactions-680x320.jpg)
![Achats en officine : un enjeu stratégique face à l’inflation](https://www.lemoniteurdespharmacies.fr/wp-content/uploads/2024/10/6b547c1873d844dc586056072b68d-680x320.jpg)
![Prendre soin de l’e-réputation de son officine](https://www.lemoniteurdespharmacies.fr/wp-content/uploads/2024/10/079798b81a8923a813e33af1f6b77-scaled-680x320.jpg)