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Billet d’humeur d’une pharmacienne épuisée

Publié le 14 novembre 2020
Par La rédaction
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« Consciente de la situation tendue du moment, je tenais à exprimer* toute ma bienveillance, dont je pense n’avoir jamais défailli malgré plusieurs mois de gestion de crise, à mes patients.

Sachez que je suis la première à être profondément désolée de ne pas pouvoir vous fournir ces vaccins grippe tant espérés.

Je me réjouis malgré tout que l’ensemble de mes patients, ainsi qu’une très grande majorité des Français aient pris conscience de l’importance de la vaccination ! En effet, la vaccination est un moyen de prévention efficace pour lutter contre de nombreuses maladies infectieuses. Se vacciner, c’est se protéger. Se vacciner, c’est aussi protéger les autres et en particulier les plus fragiles. Je vous promets de songer à toutes ces personnes qui me demandent quotidiennement cette piqûre si convoitée lors de la commande, en janvier 2021, pour la campagne de vaccination contre la grippe saisonnière 2021-2022 (car oui, c’est en janvier que l’on doit commander nos vaccins alors que l’épidémie n’est parfois même pas encore arrivée…) Qui en janvier 2020 se passionnait pour les vaccins grippe ? C’était dans la vie d’avant la crise du Covid-19 !

Parce que oui, c’est aussi important de savoir comment se fabrique un vaccin… Pour le vaccin contre la grippe, c’est une vraie course contre la montre et tout doit aller très vite, puisque les souches présentes dans le vaccin changent chaque année et nous n’avons que quelques mois à peine entre l’identification des souches virales circulantes par l’Organisation mondiale de la santé (en février) et la mise à disposition du vaccin dans les pharmacies (fin septembre). Processus qui, dans le meilleur des cas, prend donc entre 5 et 6 mois. Ce qui me permet donc de répondre à cette question quotidienne : « Mais pourquoi les labos n’en fabriquent plus ? » Parce que si on relance la fabrication des vaccins maintenant, j’aurai mon vaccin en avril, CQFD.

Je vous remercie, à mon tour également, de toutes vos pistes de réflexion sur la question de la « priorité ».

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– Vous m’avez parlé de priorité d’âge : que les centenaires se manifestent au plus vite car on commence par eux apparemment… Tant pis pour les nouveaux retraités…

– Vous m’avez parlé de priorité de pathologies : je dirais que si vous avez un bon de prise en charge, c’est qu’effectivement vous êtes considéré comme vulnérable, mais qui suis-je pour savoir si votre maladie chronique est plus chronique que celle des autres ?

– Vous m’avez parlé d’ancienneté dans mon officine : j’avoue avoir été vexée que certains puissent penser cela. Je suis professionnelle de la santé, à votre service depuis 20 ans et 11 ans derrière mon comptoir à Bouillargues. Un patient vulnérable est un patient vulnérable… J’y mets tout mon cœur et tout mon temps et n’allez pas imaginer que je puisse privilégier quelqu’un plus qu’un autre.

– Je ne parle pas des idées plus farfelues comme l’ordre alphabétique (M. A prioritaire par rapport à Mme T… Je plains profondément M. Z !), la femme enceinte prioritaire parce qu’ils sont deux…

Enfin, dans ce contexte tendu, sachez que mes collaboratrices et moi-même essayons de faire le maximum et je vous assure que je vais vous répéter la même chose qu’elles (donc il est inutile de me faire appeler pour ça…).

Je pourrais vous parler de gel hydroalcoolique, de masques chirurgicaux, de masques en tissu, de masques pour les enfants aussi depuis la semaine dernière ou encore de tests antigéniques, mais j’ai peur de vous perdre… Merci à vous d’avoir pris le temps de me lire… Juste un peu de respect, de gratitude et de bienveillance en retour me reboosteraient pour gérer au mieux cette crise. Prenez soin de vous, restez prudents. »

* Marjolaine Lafitte, installée à Bouillargues (Gard), a affiché ce texte le 5 novembre sur les comptoirs et la vitrine de sa pharmacie. Elle nous a dit que, depuis, elle se sentait soulagée, que ses patients en sourient également et que la pilule passe « étonnamment » plus facilement.