Addictions : le rôle clé du pharmacien

© Getty Images - Medical professionals and pharmacists provide medication at the pharmacy.

Addictions : le rôle clé du pharmacien

Publié le 24 octobre 2024
Par Frédéric Pitetti
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Outre son rôle dans la dispensation des traitements de substitution, le pharmacien est un acteur dans la prévention et la détection des addictions, et dans la réduction des risques et des dommages liés à l’usage de certains produits.

La prise en charge des addictions avec substance (tabac, alcool, opiacés, drogues illicites, etc.) ou sans (jeux d’argent, par exemple) doit se faire de façon transversale, avec un décloisonnement des approches préventives et thérapeutiques, en les considérant de manière globale. Même si la pharmacie ne peut pas être le lieu de détection de toutes les addictions, elle peut toutefois orienter efficacement vers une prise en charge médicalisée à la demande de personnes inquiètes ou préoccupées par leur santé ou celle d’un proche. Le pharmacien s’impliquant dans la lutte contre l’addiction doit aussi connaître les partenaires associatifs, sanitaires et sociaux proposant une approche pluridisciplinaire de la prise en charge des conduites addictives, en particulier les plus lourdes.

En première ligne contre le tabac

L’engagement du pharmacien dans la lutte contre le tabac peut tout d’abord passer par un agencement adapté (vitrine, brochures d’information en accès libre, linéaire de substitutifs à la nicotine avec un affichage clair des prix, etc.) pour susciter ou stimuler l’intérêt des fumeurs souhaitant arrêter. Par ailleurs, le pharmacien et son équipe sont aussi à même d’amorcer le dialogue sur le sujet dès qu’ils repèrent une situation (désir de grossesse), une pathologie aiguë (bronchite, toux, etc.) ou chronique pour laquelle le tabac est un facteur de risque. En adoptant un discours adapté, il leur est ainsi possible d’expliquer les mécanismes de la dépendance tabagique, et d’interroger le patient sur sa motivation à arrêter et les raisons qui l’en empêchent. Tout en le rassurant face aux idées fausses (« j’ai peur de grossir », « il y a tellement longtemps que je fume, cela ne sert à rien que j’arrête », etc.), ils peuvent proposer une évaluation de la dépendance avec le test de Fagerström. Outre la proposition d’aide à l’arrêt passant par un entretien pharmaceutique, des substituts nicotiniques et une hygiène de vie adaptée, le pharmacien ne doit pas hésiter à orienter la personne vers une structure plus appropriée si besoin : un centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie, le service tabacologie d’un centre hospitalier, etc.

Savoir repérer l’acoolodépendance 

On estime que 15 % de la population adulte présente une consommation d’alcool excessive, soit nocive, soit à risque. Alors qu’il est facile de parler de l’addiction au tabac ou d’installer des affiches et des brochures sur les risques de l’alcool, discuter avec le patient de sa dépendance à l’alcool est plus délicat. Hormis à l’occasion de certaines dispensations comportant un risque d’interactions médicamenteuses avec l’alcool, trop peu de pharmaciens sont à l’aise pour en parler. Il existe pourtant une méthode favorisant cet échange, l’intervention brève, conçue dans l’esprit d’un entretien motivationnel. Elle repose en premier lieu sur une auto-évaluation du risque, avec le questionnaire AUDIT (Alcohol Use DIsorders Test) par exemple, suivie d’une restitution du résultat en abordant la notion de risque et de verre standard, et éventuellement en faisant le lien entre la consommation et les difficultés ou les constats cliniques. Pour les patients à risque selon le test, il est important de proposer un échange structuré de 5 à 10 minutes débuté par une question ouverte comme « À votre avis, quels bénéfiques pourriez-vous retirer d’une réduction de votre consommation d’alcool ? ». Si le patient est prêt à s’engager pour réduire sa consommation, proposez-lui alors des objectifs. Dans tous les cas, réaffirmez votre disponibilité pour en parler.

Dispenser et suivre les traitements de substitutions aux opiacés

La dispensation à l’officine de la méthadone et de la buprénorphine à fortes doses a facilité l’accès aux traitements substitutifs aux opiacés, mais a également permis de rendre cet accès moins stigmatisant et potentiellement resocialisant. Toutefois, cette dispensation n’en reste pas moins complexe et difficile, requérant à la fois du doigté et de la fermeté pour faire respecter des règles, au bénéfice du patient. La formation initiale et continue sur la prise en charge des addictions est essentielle. Elle a pour vocation de faciliter le travail du soignant en le préparant à faire face aux difficultés de cet accompagnement. Après avoir joué leur rôle en toute sincérité, avec beaucoup d’altruisme, on voit souvent des pharmaciens exprimer une attitude de méfiance vis-à-vis de la prise en charge des addictions aux opiacés. Ne pas se former au volet psychologique des addictions, c’est prendre le risque de vivre chaque reprise de consommation de son patient comme une désillusion.

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Comprendre l’importance de la politique de RdRD 

La pharmacie occupe une place centrale dans la politique de réduction des risques et des dommages (RdRD), avec, en particulier, la possibilité d’y obtenir des traitements de substitut à la nicotine ou encore du matériel d’injection sécurisé (stéribox, programme d’échange de seringues, etc.). Sans nier le caractère illicite de certains comportements, la politique de RdRD en direction des usagers de drogues, souvent fragiles et longtemps stigmatisés, vise à prévenir la transmission des infections (VIH, hépatite C, etc.), la mortalité par surdose par injection intraveineuse de drogue et les dommages sociaux et psychologiques liés à la toxicomanie. La politique de RdRD reconnaît aussi que l’arrêt de la consommation n’est pas possible pour certaines personnes, à certains moments de leur trajectoire, et qu’il faut alors mobiliser des leviers pragmatiques et adaptés pour améliorer leur qualité de vie.