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Nouvelles missions, un an après…

Publié le 30 juin 2014
Par Yves Rivoal
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Dans notre numéro de février 2013, nous avions consacré un dossier à des titulaires précurseurs qui s’apprêtaient à investir le champ des entretiens pharmaceutiques. Un an plus tard, où en sont-ils ?

Le lancement des entretiens pharmaceutiques pour les patients sous AVK fête sa première année. Et, au 5 mars dernier, 13 848 officines avaient réalisé 104 582 entretiens alors que la CNAM enregistrait l’adhésion de 129 101 patients. Comme tous ses confrères interrogés l’an passé dans le cadre de notre dossier « Nouvelles Missions », Marianne Le Bruchec, titulaire de la Grande Pharmacie de la Poste à Châtillon, dresse un premier bilan encourageant. « Les retours des patients sont positifs. Beaucoup de ceux qui, au départ, n’étaient pas convaincus se sont finalement laissé prendre au jeu. » Depuis juillet 2013, Marianne le Bruchec a déjà couvert 60 % de sa cible potentielle en réalisant une soixantaine d’entretiens avec 40 patients. Côté équipe, tout s’est aussi très bien passé puisque l’ensemble des collaborateurs de l’officine avaient été formés en amont aux AVK dans le cadre du programme « Nouvelles missions, je me lance » initié par le groupement de l’officine, Pharmodel. Les pharmaciens ayant, eux, été préparés aux techniques d’entretien dans le cadre du DPC. « Sur le plan logistique, le module mis en place au début de l’année par Winpharma dans le logiciel de gestion de la pharmacie nous a aussi facilité la tâche, assure Marianne Le Bruchec. Cet outil nous permet en effet d’identifier les patients à qui il faut proposer un entretien et de fixer les rendez-vous qui sont ensuite automatiquement enregistrés sur le site ameli.fr. »

Adapter son comportement

Avec une quarantaine d’entretiens à son actif, pour un potentiel de 200 patients sous Previscan, Xavier Schneider, titulaire de la pharmacie Cantonale à Truchtersheim, se félicite lui aussi des premiers retours d’expérience, « même si nous aurions pu mieux faire en termes de volume puisque nous n’avons traité que 50 % de notre ­population cible. Les patients ont en effet une grande confiance en leur pharmacien, mais ils nous considèrent parfois plus comme des distributeurs de boîtes que comme de véritables professionnels de santé. Nous avons donc dû adopter un comportement proactif pour les inciter à adhérer au principe de l’entretien. » En matière d’organisation, Xavier Schneider a désigné un adjoint responsable du suivi des AVK, l’ensemble des pharmaciens étant chargé de la réalisation des entretiens. Lui aussi estime avoir été bien soutenu par son groupement, IFMO-Pharmelia. « Nous disposons désormais d’une borne tactile sur laquelle les patients peuvent obtenir des informations sur les entretiens pharmaceutiques et prendre rendez-vous. Ils disposent également sur cette borne d’un espace personnel où ils peuvent consulter des informations sur différentes thématiques de santé et poser des questions à l’équipe. »

Convaincre les médecins

Cotitulaire de la pharmacie de la Marne à Meaux, Stéphane Bour a déjà assuré une quinzaine d’entretiens sur un potentiel de 35 patients. « Au départ, le fait de ne plus être dans la délivrance mais en face-à-face, comme dans une consultation, peut paraître perturbant. Mais, avec le temps, on s’aperçoit que ce type d’échange rappelle les dialogues que l’on peut avoir au comptoir avec les patients. Il n’y a que la forme et la finalité qui changent. Je m’appuie aussi beaucoup sur le livret distribué par Pharmactiv, qui rappelle les grands principes de la pathologie et la manière de conduire un entretien à travers sept grands items : je comprends ma maladie, je connais mon médicament, je connais les risques principaux du traitement, je sais ce qu’est un INR… »

Du côté des médecins, l’accueil n’a pas toujours été très favorable… Cotitulaire avec son mari de la pharmacie du Bien-Etre à Pouilly-sur-Loire dans la Nièvre, Maud Mingeau a enregistré une réelle résistance de la part d’un des trois généralistes du village, et peu d’enthousiasme chez un autre… « Nous ne nous sommes donc pas mis une pression énorme pour exploiter l’ensemble de notre panel de clients sous AVK, car, si l’on veut que le discours soit cohérent vis-à-vis du patient, il faut instaurer un réel partenariat avec les médecins. »

Préparer l’avenir

Malgré tous ces freins et les difficultés rencontrées en matière de rémunération (voir encadré), les pharmaciens interrogés restent optimistes et attendent le lancement des entretiens sur l’asthme. « Sur cette pathologie, j’ai l’impression que nous allons pouvoir travailler plus en amont, explique Maud Mingeau. Par exemple, lors de la semaine de dépistage de l’asthme organisée à l’officine, une patiente est arrivée en nous expliquant qu’elle toussait depuis trois jours. En la questionnant et en lui faisant un test avec un peak flow, nous nous sommes aperçus qu’elle était en grosse insuffisance respiratoire. Nous avons immédiatement appelé son médecin, qui lui a prescrit un aérosol. » Marianne le Bruchec se montre, elle, plus circonspecte. « J’attends avec impatience le mode d’emploi car si, sur les AVK, on ne rencontre pas de problème majeur en matière d’observance et de mauvais usage, la situation risque d’être beaucoup plus complexe avec l’asthme, la plupart de nos patients asthmatiques se contentant de voir un médecin qui leur prescrit de la Ventoline, sans être contrôlé derrière par un pneumologue. Pour que notre intervention fonctionne, il faudra donc que l’on puisse travailler avec les généralistes et les spécialistes » Stéphane Bour voit lui encore plus loin en espérant la mise en place d’entretiens sur le diabète et l’hypertension. « Sur ces deux pathologies, nous toucherons une population beaucoup plus importante, avec des perspectives plus intéressantes pour l’économie de l’officine, même si elles demanderont aussi beaucoup plus de formations et de ressources humaines. »

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Cet optimisme incite Maud Mingeau à envi­sager la création d’un troisième espace de confidentialité dédié à l’observance et au suivi de traitement pour les pathologies lourdes de type cancer ou sclérose en plaques. Xavier Schneider a, de son côté, déjà aménagé un espace d’accompagnement thérapeutique qui n’est pas complètement fermé afin de rester connecté à l’espace traditionnel de l’officine. « Nous construirons aussi cet été, à côté de la pharmacie, un espace dédié à l’organisation d’ateliers de santé avec les patients ainsi qu’un bureau pour recevoir les patients et les professionnels de santé désireux d’organiser des séances d’ETP. »

Rémunération

Pas une question d’argent, mais…

40 € pour 40 minutes d’entretien, ce n’est pas ça qui va compléter l’économie de l’officine », reconnaît Stéphane Bour, cotitulaire de la pharmacie de la Marne à Meaux. Marianne le Bruchec (Grande Pharmacie de la Poste à Châtillon), elle, ne parvient pas à dissimuler son inquiétude, voire sa colère, dès que l’on aborde la question de la rémunération des entretiens pharmaceutiques. « Alors que j’ai investi, et commencé à réaliser mes premiers entretiens en juillet 2013, j’attends toujours les premiers règlements. On ne peut donc pas dire que ma motivation soit l’argent. Néanmoins, j’estime que cette rémunération est une question de respect vis-à-vis des pharmaciens et entre en jeu dans la pérennité de ces nouvelles missions. » Pour information, les versements de la CNAM devraient intervenir en août prochain…