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LA CONCILIATION MÉDICAMENTEUSE A L’ŒUVRE

Publié le 7 juin 2014
Par Myriem Lahidely
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C’est un dispositif unique en France par son ampleur, qui a nécessité plusieurs années de mise au point. Le CHU de Nîmes dispose d’une équipe de 17 pharmaciens cliniciens.

Leur objectif: prévenir les risques d’erreurs médicamenteuses pour garantir la sécurité des patients, tout en générant des économies pour l’hôpital.

Au centre hospitalo-universitaire de Nîmes (Gard), ils sont 17 pharmaciens cliniciens à se rendre chaque matin dans les unités de soins, leur ordinateur portable dans un sac à dos. Leur mission : réaliser des « conciliations médicamenteuses », pour 70 % de leur temps. Dans le planning informatisé des services, répartis entre eux, ils disposent de la liste des patients ayant reçu une prescription depuis leur admission à l’hôpital. « Nous les rencontrons pour un bilan médicamenteux optimisé [ou BMO] qui nous permet de déterminer ce qu’ils prenaient avant leur arrivée, explique Jean-Marie Kinowski, le pharmacien chef de service qui a monté le projet. La prise en charge d’un patient hospitalisé nécessite des informations fiables et complètes. »

Cette investigation se fait donc en étroite collaboration avec l’équipe soignante. Elle approfondit l’interrogatoire réalisé à l’admission du patient. Les allergies connues et les traitements en cours, entre autres, sont recensés. L’objectif est d’établir une liste exhaustive des médicaments réellement administrés au domicile, sur prescription ou en automédication. « Nous confrontons ensuite ce bilan à la prescription hospitalière dont nous faisons une analyse pharmaceutique. Il s’agit d’identifier d’éventuelles divergences, intentionnelles ou pas, susceptibles d’entraîner des risques pour le patient, et les éliminer. Le cas échéant, nous modifions la prescription en procédant à des adaptations posologiques en coordination avec le médecin hospitalier », indique le chef de service. L’objectif de la conciliation médicamenteuse est de parvenir à intercepter et à corriger 75 % des événements indésirables liés notamment à des doublons ou des interactions.

Le niveau d’observance des patients amélioré de 30 %

Pour réaliser le bilan médicamenteux optimisé, chaque pharmacien intervient directement dans la chambre du patient qui vient d’être admis à l’hôpital. L’entretien dure environ une demi-heure. Sont passées au crible l’ordonnance ou les boîtes de médicaments emportées avec soi. Le patient est aussi interrogé sur un usage éventuel de plantes, de vitamines, de compléments alimentaires ou de produits de médication familiale. Le médecin traitant et l’officine habituelle sont identifiés afin d’obtenir, si besoin, des éléments concernant le dossier pharmaceutique. L’entourage familial peut être sollicité, par exemple en cas d’inconscience ou de somnolence du patient. Ces bilans, réalisés à l’admission, le sont aussi lors d’un changement de service. « Les erreurs médicamenteuses surviennent le plus souvent aux étapes de transition du parcours de soin », rappelle Jean-Marie Kinowski.

Lorsque le patient sort de l’hôpital, le pharmacien procède à un dernier entretien d’un quart d’heure. « L’objectif est l‘observance du traitement, explique Clarisse Roux, pharmacienne assistante (photo ci-dessus). Nous en profitons pour sensibiliser les patients sur les méfaits de l’automédication, qui peut parfois être à l’origine de l’hospitalisation. » En 2011, le CHU de Nîmes avait monté une étude sur 6 mois et sur près de 400 patients pour mesurer la conciliation à l’entrée et à la sortie de l’hôpital. Il était apparu que la moitié des patients quittant l’hôpital avec une prescription ne la présentait pas en pharmacie de ville. « En nous focalisant sur ces patients pour l’entretien de sortie, nous avions amélioré de 30 % le niveau d’observance », se rappelle Clarisse Roux. L’étude pilote avait aussi confirmé « le rôle essentiel du pharmacien clinicien dans la mise en œuvre de la conciliation et la promotion de l’observance primaire », indique-t-elle.

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Plus de deux ans pour collaborer avec les médecins

Mis en place depuis début 2014 pour 41 unités de soins de médecine et de chirurgie, soit environ 1 500 lits, le service repose sur des engagements d’économies et d’optimisation des pôles cliniques. Il mobilise 17 pharmaciens cliniciens seniors et juniors, soit trois praticiens hospitaliers et 14 assistants spécialistes et internes. L’effectif représente 13 équivalents temps plein. Surcoût pour l’hôpital: 239 000 euros sur un budget total de 168 millions d’euros. « Il a fallu deux ans et demi de travail pour faire évoluer le lien de collaboration entre médecins et pharmaciens du CHU. Une relation de confiance a fini par s’instaurer », se félicite Jean-Marie Kinowski. Pas moins de dix ans auront été nécessaires pour finaliser un projet esquissé avec la réorganisation des circuits logistiques et cliniques des produits pharmaceutiques dans le CHU. L’initiative a également nécessité l’ouverture d’une seconde structure en 2003 et l’informatisation progressive de tous les services. « Informatiser le circuit des médicaments nous a permis de sortir de nos murs et de rencontrer médecins et infirmiers. Nous sommes passés dans chaque service pour montrer que nous avions certaines compétences en matière de prescription », explique Clarisse Roux.

Quand est venu le temps de financer le projet et de le contractualiser entre la direction de l’hôpital, les pôles médicaux concernés et la pharmacie, six mois d’efforts supplémentaires ont été nécessaires pour convaincre de la pertinence de cette action. « Nous avons réussi car le soutien du corps médical était fort, et celui de la direction aussi, qui voulait toutefois être rassurée sur l’investissement », note Jean-Marie Kinowski. Son service a fait créer un logiciel sur mesure pour coder l’activité, intégrer toutes les données, les entrées, les sorties, les BMO, les ordonnances, leurs modifications, etc.

Les officinaux réagissent favorablement

Le Pr Pierre Costa, chef du service urologie, est convaincu par cette initiative : « Nous ne voulons plus revenir en arrière. Améliorer le contrôle de la prescription et de la dispensation à l’hôpital est une nécessité. Ces pharmaciens sont une aide précieuse dans le parcours du patient, à l’heure où la seule façon de travailler va être d’optimiser nos dépenses », souligne-t-il, ajoutant qu’il vaut mieux « dépenser pour accompagner un pharmacien qui va aider à éviter un accident plutôt que pour réparer cet accident ». Selon un rapport rendu au ministère de la Santé, les erreurs médicamenteuses provoquent près de 10 000 décès par an et 130 000 hospitalisations sont dues à un événement indésirable grave lié au médicament. « La moitié serait évitable », estime le médecin.

En ville, aussi, les officinaux ont généralement bien réagi. « Ils sont plutôt avides d’informations. Ils connaissent bien leurs patients et préfèrent être prévenus qu’ils ont été hospitalisés, remarque Clarisse Roux. A l’heure où l’on cherche à décloisonner le fonctionnement entre la ville et l’hôpital, les officinaux semblent en comprendre l’intérêt. » Inscrit dans deux programmes internationaux (EUNet Pas et High 5) axés sur la sécurité des patients, le centre hospitalo-universitaire de Nîmes se prépare à lancer un tel projet avec d’autres établissements en France. « Ceci pour montrer que la conciliation présente, en plus, un intérêt économique », pointe Jean-Marie Kinowski.

Jean-Marie Kinowski en 3 dates

• 1994 : diplôme de docteur en pharmacie à l’université Montpellier-I.

• 2006 : chef de service au CHU de Nîmes.

• 2014 : lancement de l’équipe mobile des pharmaciens cliniciens.

Hôpitaux de Marseille: plus simple la vie

Non loin de Nîmes, à Marseille, les pharmacies hospitalières seront bientôt raccordées au dossier pharmaceutique (DP). C’est l’objet de la convention signée le 21 mai dernier par l’Ordre des pharmaciens, la direction générale de l’offre de soins (DGOS) et l’Assistance publique-Hôpitaux de Marseille (AP-HM). Aucun centre hospitalier de cette envergure ne bénéficiait pour le moment de l’outil professionnel. Une centaine d’établissements en sont équipés, sur un total de 2 500 environ, depuis l’extension du DP aux pharmacies hospitalières en octobre 2012. « La fourniture instantanée et la fiabilité des données simplifient considérablement la conciliation médicamenteuse », indique Badr Eddine Tehhani, président de la section H de l’Ordre des pharmaciens.

L’AVIS DE L’ÉQUIPE

« En pharmacie à usage intérieur, nous avons une vision assez tronquée de la prise en charge du patient. Il n’y a pas de contact avec lui, ni avec le médecin. Cette réorganisation a permis de changer la vision que les équipes médicales avaient du pharmacien. Notre travail est devenu collaboratif avec les patients et les médecins. C’est indispensable et valorisant puisque nous faisons partie d’une équipe. Ce n’est plus le “rôle du pharmacien” mais sa contribution. Un maillon dans la chaîne de la prise en charge du patient: c’est là-dessus que nous travaillons pour devenir le plus performant possible. »