Entretiens et bilans Réservé aux abonnés

COMMENT LEVER LES BLOCAGES

Publié le 15 décembre 2012
Par Stéphanie Bérard
Mettre en favori

Avant qu’il ne mette en place concrètement les entretiens pharmaceutiques, le titulaire risque de se heurter aux résistances de son équipe, des patients et même des médecins. Une seule solution : anticiper et cerner les différents profils de « résistants ». Conseils de spécialistes.

Dès 2013, les entretiens pharmaceutiques avec les patients sous AVK devraient démarrer dans les officines. Plus qu’un changement de cap, ce nouveau service constitue une vraie révolution. « Le pharmacien est perçu comme un commerçant. Or, avec les entretiens pharmaceutiques, il entre dans l’ère du service et de la coordination des soins », estime Jean-Christophe Lauzeral, pharmacien et consultant. Si le principe des entretiens a été acté par la nouvelle convention pharmaceutique, les modalités doivent encore être définies. Faut-il pour autant attendre ? « Non, répond Christine Meyer, responsable de la formation pour les pharmaciens à l’OCP. Le titulaire doit s’y préparer, même s’il reste des inconnues, afin de désamorcer des blocages potentiels. »

Identifier le profil des réfractaires

En parallèle de sa réflexion sur l’organisation de la pharmacie pour mener ces premiers entretiens pharmaceutiques ou même avant, le titulaire doit mener ce qui s’apparente à une conduite du changement. D’abord, en identifiant le profil des patients et des collaborateurs réfractaires. Jean-Christophe Lauzeral a repéré trois profils à surveiller.

Ceux qui sont inertes

Ces personnes (que ce soit un patient ou un collaborateur) ont une nette tendance à la procrastination. « Ils sont réticents à chaque changement et ont l’habitude de tout remettre au lendemain », explique Jean-Christophe Lauzeral. Par exemple, un titulaire explique chaque jour à son préparateur qu’il faut penser à interroger le patient au comptoir. Celui-ci acquiesce, mais ne le fait pas… « Il faudra convoquer le salarié à un entretien individuel pour lui demander clairement les raisons de cette opposition. Il devra comprendre où se situe le blocage et bien lui expliquer qu’il est normal que le changement soit déstabilisant », poursuit Jean-Christophe Lauzeral. Si la résistance persiste, le titulaire pourra toujours faire jouer son pouvoir de direction pour imposer ces changements nécessaires à l’officine.

Face à un patient réticent à l’entretien pharmaceutique qui lui est proposé, le titulaire n’aura pas le même pouvoir de faire changer les choses. « Quand il reviendra à l’officine pour son renouvellement d’ordonnance, il ne faudra pas hésiter à lui demander pour quelle raison il n’a pas pris rendez-vous. S’il continue à “fuir”, le pharmacien pourra lui expliquer tranquillement l’objectif de l’entretien pharmaceutique, mené en accord avec son médecin », précise Jean-Christophe Lauzeral.

Ceux qui argumentent

C’est un profil plus difficile car ces personnes ont des idées préconçues et peuvent discuter indéfiniment sans vraiment changer d’avis. « Pour l’équipe officinale, convaincre un client répondant à ce profil est chronophage. Il faut prendre garde à ne pas trop perdre de temps », met en garde Jean-Christophe Lauzeral. Car il faut parfois savoir accepter d’échouer dans sa tentative de convaincre, plutôt que de perdre un patient. Quand ce même profil est repéré au sein de l’équipe, il faut redoubler de prudence. « Il se rebellera et ira jusqu’à saboter le projet auprès des autres collaborateurs », indique le consultant. D’où la nécessité d’un entretien de recadrage afin d’imposer ses choix et son pouvoir de direction, en allant si nécessaire jusqu’à l’avertissement et au blâme. Si la pharmacie comprend plusieurs adjoints, le titulaire ne devra pas hésiter à dire : « Vous ne mènerez plus les entretiens pharmaceutiques. Je vais confier ce rôle à une autre personne. »

Publicité

Ceux qui craignent le changement

Chez la majorité des personnes, le changement déroute. « C’est un profil de patients et de salariés plutôt conservateurs, qui apprécient la routine et le confort », précise Jean-Christophe Lauzeral. Le titulaire devra alors expliquer, pas à pas, et de façon pédagogique en quoi consiste le changement.

Etre pédagogue et ne rien imposer

Il est essentiel de se donner du temps – d’où la nécessité d’anticiper – car le titulaire ne réussira pas à convaincre toute son équipe à la première réunion. « Il doit expliquer là où il veut aller, dans le calme, chaque jour, puis encourager son équipe. Il doit pour cela envoyer des signaux positifs », poursuit Jean-Christophe Lauzeral. Avec les patients, la conduit est assez similaire : attention à ne rien imposer ! « Il faut leur expliquer la démarche de l’entretien pharmaceutique dès qu’ils viennent à la pharmacie. En cas de résistance, il ne faut pas aller plus loin et accepter un taux d’échecs de 20 à 25 %. »

Pour communiquer sur cette nouvelle offre, l’équipe doit être prête. « Elle doit se mettre dans une posture éducative vis-à-vis des patients afin qu’ils ne croient pas que l’on essaie de leur vendre quelque chose », poursuit Jean-Christophe Lauzeral. Pour Christine Meyer, ce changement sera naturel et logique dans les officines où le conseil a toujours prévalu. Moins évident dans les autres : « Dans les pharmacies de passage où la clientèle pressée n’attend pas de conseil, le patient pourra s’interroger sur la pertinence de la démarche et être plus difficile à convaincre. Il devient d’autant plus essentiel pour le titulaire de faire monter son équipe, y compris les préparateurs, en compétences sur les anticoagulants oraux. »

L’équipe devra également apprendre à maîtriser l’art du questionnement, en posant des questions ouvertes et en pratiquant la technique de la reformulation des réponses du patient pour aller plus loin dans la connaissance des besoins et attentes de la personne. La mise en place des premiers entretiens ne pourra pas se faire sans les médecins. Le pharmacien devra faire des efforts de communication envers les prescripteurs des patients sous AVK. Un coup de fil et un courrier expliquant la démarche de l’officine sont un minimum. « C’est en communiquant que le pharmacien pourra lever les réticences du médecin. Celui-ci pourra également recruter des patients, en les incitant à aller à l’officine pour un entretien pharmaceutique », conseille Jean-Christophe Lauzeral.

Dans son discours, le pharmacien doit montrer qu’il ne compte pas marcher sur ses plates-bandes. « Il doit insister sur le respect de l’adaptation posologique qui reste de la responsabilité du médecin, mettant en avant la formation de l’équipe sur les anticoagulants. Il devra aussi faire un retour au médecin à chaque entretien pharmaceutique », recommande Christine Meyer. L’idéal ? « Faire une réunion trimestrielle avec l’infirmière, le médecin et le biologiste afin de parler de leurs patients. »

TÉMOIGNAGE

STÉPHANE BOUR, TITULAIRE À MEAUX

L’entretien pharmaceutique des patients sous AVK n’a (presque) plus de secret pour lui. Stéphane Bour, pharmacien à Meaux (Seine-et-Marne), a déjà commencé à mettre en place cette première étape clé.

Le titulaire, aidé de ses trois préparatrices et de ses deux associés, s’est reposé sur le livret édité par son groupement Pharmactiv expliquant comment mener ces entretiens. Dans cette officine de quartier, point de réticences du côté des patients. « J’ai sélectionné tous ceux qui avaient des prescriptions de Préviscan et avec qui j’avais un bon contact. Quand ils sont passés à la pharmacie pour renouveler leur traitement, je leur ai expliqué le principe des entretiens. Comme je les avais bien ciblés dès le départ, tous ont répondu favorablement. » Une fois les premiers entretiens menés – par lui-même –, Stéphane Bour veut passer à la vitesse supérieure. « Je vais bientôt organiser une formation sur les antivitamines K pour les préparatrices. C’est essentiel afin qu’elles posent les bonnes questions au comptoir et qu’elles repèrent la clientèle cible. » Etape suivante ? L’organisation de l’officine. « Nous allons rédiger un protocole écrit pour les entretiens et indiquer sur un agenda les plages horaires où il est possible de donner rendez-vous aux patients. »