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Tests et vaccination : savoir doser la sous-traitance

Publié le 11 septembre 2021
Par Yves Rivoal
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Afin de soulager des équipes débordées, des prestataires proposent aux officines des offres digitales ou de sous-traitance permettant d’optimiser la gestion des tests antigéniques et de la vaccination contre le Covid-19. Comment fonctionnent ces solutions ? Respectent-elles le cadre réglementaire ? Quels sont les éventuels risques encourus par les pharmaciens qui les utilisent ? Eléments de réponse.

Locaux inadaptés, logistique trop contraignante, manque d’effectifs… Pour aider les titulaires à s’emparer de la vaccination anti-Covid-19 et des tests antigéniques, les agences spécialisées dans l’accompagnement digital des officines ont conçu des solutions permettant d’automatiser une grande partie des process. « Notre outil axé sur la réalisation des tests intègre la gestion des prises de rendez-vous, ainsi que la présaisie par le patient, sur le site internet de la pharmacie, de toutes les informations à communiquer avant de se faire tester, souligne Amaury de Chalain, cofondateur de mesoigner.fr. Nous permettons également aux pharmaciens de proposer des tests sans rendez-vous, le patient n’ayant qu’à scanner un QR Code placé dans l’officine pour accéder au formulaire à remplir. » Concernant la vaccination, les solutions permettent, là encore, d’automatiser la gestion des stocks et des prises de rendez-vous pour les deux injections. « Notre plateforme est également capable de gérer la troisième dose, le patient pouvant choisir parmi les vaccins autorisés en pharmacie celui qu’il désire se voir administrer », ajoute Amaury de Chalain.

Ces outils assurent également la transmission automatique des résultats dans SI-DEP, ce qui n’est actuellement pas réalisable avec Vaccin Covid (voir encadré). « Sur Covid-Pharma, le pharmacien n’a pas besoin de se connecter avec sa carte e-CPS à chaque fois qu’il veut transmettre un résultat, ni de remplir les informations administratives du patient à la main. Tout est transféré de matière automatisée en une seule fois, assure Guillaume Gobert, cofondateur d’Ordoclic. Par conséquent, grâce aux 5 à 10 minutes gagnées pour chaque patient, le millier d’officines qui utilisent notre solution ont vu leurs volumes de tests exploser. »

De nouveaux acteurs

Le gain de productivité généré pour l’enregistrement des résultats dans SI-DEP a d’ailleurs donné naissance à une génération spontanée de nouveaux acteurs, comme EasyDeclaration et Francetest qui se sont positionnés avec des offres reposant sur une facturation à la déclaration. Ils ne semblent toutefois pas tous offrir les garanties de sécurité attendues. Mediapart a ainsi révélé le 31 août dernier que 700 000 résultats de tests antigéniques réalisés en pharmacie avaient pu être consultés sur le site internet de Francetest en saisissant un mot de passe en clair qui se trouvait dans un dossier accessible à tous… Hasard du calendrier ? La Direction générale de la santé (DGS) avait publié deux jours plus tôt un DGS-Urgent pour rappeler aux pharmaciens les règles à respecter. Dans cette note, elle indiquait que l’enregistrement des résultats pouvait se faire de manière automatisée, mais uniquement via la dizaine de logiciels compatibles avec SI-DEP : éOS, Ordoclic, PharmaCovid, FastCovid, Bimedoc, MageNet, Izymeet, Libheros, RDV by QuizCoach et Valwin Pharma.

Pour Pierre Béguerie, président du bureau du conseil central A (titulaires) de l’Ordre national des pharmaciens, « cela aura eu le mérite de clarifier les choses. Dorénavant, les pharmaciens savent que le recours à tout logiciel ne figurant pas sur cette liste doit être proscrit. » L’Ordre s’est d’ailleurs fendu le lendemain de la publication du DGS-Urgent d’un courrier transmis à toutes les officines afin de sensibiliser aux risques encourus. « Un pharmacien qui continuerait d’utiliser un logiciel non agréé serait responsable pénalement en cas de fuite de données sensibles, rappelle Pierre Béguerie. Il s’exposerait aussi à des mesures administratives de la part de l’agence régionale de santé (ARS) pouvant aller de l’interdiction à pratiquer les tests jusqu’à la fermeture de sa pharmacie. La chambre disciplinaire de l’Ordre étant de son côté susceptible d’engager des procédures disciplinaires avec des sanctions pouvant aller du simple blâme jusqu’à l’interdiction d’exercer. »

Une responsabilité engagée

Toujours pour faciliter le quotidien des équipes officinales dans la réalisation des tests antigéniques, certains prestataires commencent à proposer des services de sous-traitance. C’est le cas de Pharnum, une start-up créée en décembre dernier par Jordan Fenech. « Beaucoup de titulaires renoncent à réaliser des tests par manque de moyens humains, constate ce pharmacien fraîchement diplômé. Nous avons donc constitué un pool de 10 000 étudiants en santé, éligibles à la réalisation des tests, que nous mettons à la disposition des pharmacies. En sachant que notre prestation peut aussi intégrer la fourniture et l’installation du barnum, la gestion des tests et des matériels nécessaires pour effectuer les prélèvements, ainsi que la transmission automatique des résultats dans SI-DEP. » En contrepartie, Pharnum facture à l’officine une commission pour chaque test réalisé.

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Pour Pierre-Olivier Variot, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), le recours à la sous-traitance a, d’une façon générale, beaucoup de mal à passer. « Qu’un pharmacien fasse appel à un prestataire externe qui n’est pas professionnel de santé pour réaliser les tests antigéniques est inadmissible, s’insurge-t-il. En signant l’acte, le pharmacien engage sa carte e-CPS, et donc sa responsabilité. » Son syndicat conseille donc plutôt à ses adhérents d’embaucher un étudiant en pharmacie ou en médecine pour une durée déterminée afin de garantir le lien de subordination entre le préleveur et le pharmacien. « Il est également possible d’utiliser les services d’une infirmière libérale qui facturera les prélèvements directement à l’Assurance maladie, l’officine se contentant de facturer le test sans le prélèvement », ajoute Pierre Olivier Variot. Pour Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), le recours à un prestataire externe peut être envisagé, mais à condition de ne pas sortir du cadre réglementaire. « Le barnum doit être déclaré à la préfecture par le pharmacien et être installé à proximité de l’officine, non à 3 km. Sauf si plusieurs diplômés exercent dans l’officine. Il est alors possible d’en avoir dans des lieux différents, rappelle le président de la FSPF. Le pharmacien étant également responsable des tests, c’est lui qui doit interpréter les résultats, les valider et, par le biais de sa carte e-CPS, les transmettre au SI-DEP. » « Le préleveur mis à disposition de la pharmacie par le prestataire doit aussi faire partie des personnels autorisés, la liste étant définie dans l’arrêté du 1er juin », ajoute Pierre Béguerie. En cas d’infraction constatée lors d’un contrôle de l’ARS, le titulaire s’expose à nouveau à des poursuites pénales, ainsi qu’à des sanctions administratives et disciplinaires. « Confier sa carte e-CPS à un prestataire pour lui permettre de valider un test et de le transmettre au SI-DEP relève de l’exercice illégal de la biologie médicale. Or, l’usage, sans droit, d’un titre attaché à une profession réglementée par l’autorité publique ou d’un diplôme officiel ou d’une qualité dont les conditions d’attribution sont fixées par l’autorité publique est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende par l’article 433-17 du Code pénal », prévient Pierre Béguerie.

Du côté de Pharnum, on assure que l’ensemble du processus respecte le cadre réglementaire. « Tous nos points de prélèvement contrôlés par les inspecteurs des ARS ont jusqu’ici été validés sans problème, note Jordan Fenech. Nos barnums sont toujours situés à moins de 20 m de la pharmacie, et nos préleveurs ne sont habilités qu’à réaliser les prélèvements et à s’assurer de la validité des informations préremplies par le patient après avoir scanné le QR Code positionné sur la tente. » Une fois le prélèvement validé, ils apportent la cassette au pharmacien pour que celui-ci contrôle et valide le résultat qui s’affiche sur son application. « La validation entraîne automatiquement la transmission au SI-DEP via notre partenaire Pharmasoft [éditeur de PharmaCovid, NdlR] qui figure parmi la liste des logiciels agréés », précise le jeune pharmacien.

Avant de choisir un prestataire, Philippe Besset invite la profession à la prudence. « Il faut s’assurer qu’entre le discours marketing et la réalité du dispositif mis en place il n’y a pas de faille susceptible d’engager la responsabilité du pharmacien, car en cas de contrôle du barnum, la moindre infraction pourra coûter très cher. Or, les ARS ont annoncé qu’elles avaient constitué un pool d’inspecteurs afin d’intensifier les contrôles. Les pharmaciens sont donc prévenus… », conclut le président de la FSPF.

CHIFFRE CLÉ

700 000 tests ont été enregistrés dans SI-DEP en août via la plateforme Covid-Pharma d’Ordoclic. En juin, avant l’instauration du pass sanitaire, 30 000 résultats avaient été transmis.

Déclaration automatique : aux LGO de s’adapter

Si la transmission automatique des résultats des tests antigéniques dans SI-DEP est aujourd’hui possible, ce n’est pas le cas sur Vaccin Covid, l’Assurance maladie ayant opté pour une plateforme ne permettant pas d’interopérabilité avec l’extérieur par le biais des interfaces de programmation d’application (API). Au grand dam des syndicats. « Cela fait maintenant plusieurs mois que nous demandons la possibilité d’automatiser les transmissions des données de vaccination depuis nos logiciels de gestion officinaux (LGO), comme c’est déjà le cas pour SI-DEP sur les logiciels métiers des biologistes. Pour l’instant, sans succès », regrette Pierre-Olivier Variot, président de l’USPO. Pour Philipe Besset, cette situation n’est pas acceptable. « Les pharmaciens ne supportent plus le fait d’avoir à saisir les données des tests et de la vaccination sur SI-DEP et Vaccin Covid, qu’ils doivent ressaisir une seconde fois dans leur LGO, note le président de la FSPF. Or sur ce point, force est de constater que les start-up se montrent plus innovantes et réactives que les éditeurs de LGO. » L’appel des syndicats semble avoir été entendu. Pharmaland vient d’annoncer qu’il était le premier LGO à intégrer la connexion automatiquement au SI-DEP en facturation client.

À RETENIR

– Pour répondre aux demandes de pass sanitaire et soulager les équipes officinales débordées, des prestataires se proposent de sous-traiter la réalisation des tests antigéniques Covid-19 et les déclarations de résultats ou d’organiser les prises de rendez-vous pour la vaccination anti-Covid-19.

– L’enregistrement des résultats de tests antigéniques dans SI-DEP peut se faire de manière automatisée à condition d’utiliser un logiciel compatible, dont la liste est mise à jour par la DGS. La déclaration automatique de vaccination dans Vaccin Covid n’est pas encore possible.

– La sous-traitance des tests doit respecter la réglementation en vigueur et s’arrête à l’interprétation du résultat. Seul le pharmacien peut valider les tests.

– L’utilisation de la carte e-CPS doit rester personnelle.