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Prescription à l’officine : l’antibio-évidence

Publié le 9 septembre 2023
Par Magali Clausener
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Le 31 août 2023, la Première ministre Elisabeth Borne a annoncé que les pharmaciens pourront prescrire des antibiotiques pour les angines et cystites. Une (r)évolution attendue par la profession, laquelle devra toutefois faire preuve de patience : la mesure ne sera pas applicable avant 2024. Et elle nécessitera sûrement des ajustements pour les officinaux.

 

C’est à l’occasion d’un déplacement à Rouen (Seine-Maritime) le dernier jour du mois d’août qu’Elisabeth Borne, Première ministre, a annoncé que, pour les angines et les cystites, « il sera proposé d’ouvrir la possibilité d’aller voir directement un pharmacien, qui, après un test rapide de diagnostic, pourra donner le traitement antibiotique si celui-ci est nécessaire ». Cette mesure vise à améliorer l’accès aux soins et s’inscrit dans le prolongement « des vingt actes médicaux déjà simplifiés », comme le renouvellement de prescription de lunettes chez l’opticien ou la vaccination chez le pharmacien.

Trop d’antibiotiques consommés

 

Elle intervient aussi dans un contexte où la consommation d’antibiotiques est pointée du doigt, notamment par la mission interministérielle sur le financement et la régulation des produits de santé. Dans son rapport remis au gouvernement le 29 août, la mission « Borne » explique que sur les 6 millions de prescriptions d’antibiotiques dues aux angines, seules 2 millions seraient justifiées selon l’Assurance maladie. Elle tacle les médecins en estimant que les tests rapides d’orientation diagnostique (Trod) angine sont « sous-utilisés », avec seulement 1,2 million de Trod commandés par les médecins généralistes pour 9 millions d’angines traitées. « Ce qui est très insuffisant », observe-t-elle, ajoutant que cela entraîne une consommation d’antibiotiques « trop élevée et inadaptée ». Les pharmacies sont également critiquées : « En avril 2023, seulement 6 000 officines proposaient ces tests, même si ce nombre est depuis quelques mois en forte augmentation à la suite de l’accompagnement mis en œuvre par l’Assurance maladie à l’automne (2 000 officines en 2022) ». Il est vrai que la réalisation des Trod ne suscite pas un énorme engouement de la part des pharmaciens. Il faut aussi dire que la pandémie de Covid-19 a retardé son lancement, puisque les pharmaciens n’avaient plus le droit de réaliser ces tests. « Les officinaux formés avant le Covid-19 ne se sentent peut-être plus très sûrs aujourd’hui pour en réaliser. Il y a aussi une espèce de réticence à aller “trifouiller” dans la gorge des patients », expliquait en juin Renaud Nadjahi, président de l’union régionale des professionnels de santé (URPS) pharmaciens Ile-de-France*. En outre, la rémunération de 6 € paraît faible à bon nombre d’officinaux, ainsi qu’aux syndicats, pour se lancer à fond dans cette nouvelle mission.

 

Quant aux Trod cystite, leur réalisation n’est pas possible à l’officine en dehors du protocole national de coopération « Prise en charge de la pollakiurie et de la brûlure mictionnelle chez la femme de 16 à 65 ans par l’infirmier diplômé d’Etat et le pharmacien d’officine dans le cadre d’une structure pluriprofessionnelle ». C’est-à-dire en dehors d’un exercice coordonné au sein d’une maison de santé pluriprofessionnelle (MSP) ou d’une communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS). Aucun texte d’application n’a effectivement paru pour que le pharmacien puisse proposer un Trod cystite à sa seule initiative comme le Trod angine. Et sur ce sujet, la mission « Borne » propose, à l’instar de la Caisse nationale de l’assurance maladie (Cnam) dans son dernier rapport « Charges et produits », « d’étendre les missions des pharmaciens pour les autoriser à prescrire et délivrer certains médicaments permettant de traiter la cystite aiguë simple après un test (confirmée par une bandelette urinaire positive) ». Et de compléter en recommandant aussi envisager « la possibilité, pour les pharmaciens d’officine, de prescrire des antibiotiques contre les angines bactériennes en cas de Trod positif » (page 74 du rapport).

La coordination interpro, c’est fini

 

Un mouvement de fond incite à une prescription par d’autres professionnels de santé que les médecins. Voire sans les médecins. Car le gouvernement a bel et bien la volonté d’instaurer la prescription pharmaceutique hors protocole de coopération et de coordination interprofessionnelle. En clair, pas besoin d’une entente au préalable avec les médecins généralistes d’une MSP ou d’une CPTS. Une bonne nouvelle pour les syndicats de pharmaciens. « Cette prescription d’antibiotiques par les pharmaciens est une avancée pour les patients », affirme ainsi Pierre-Olivier Variot, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), satisfait également qu’elle soit hors coordination interprofessionnelle : « La coordination interprofessionnelle est importante pour un patient chronique mais elle est un frein pour des pathologies comme une angine ou une cystite. Là, il y aura juste besoin d’alerter le médecin traitant du patient et c’est tout ». « La coordination interprofessionnelle, ce n’est pas une délégation d’acte. Un protocole, c’est une délégation d’acte, car le pharmacien a l’ordonnancier du médecin. Là, je vais prescrire en mon nom et je vais informer le médecin traitant et non pas le médecin déléguant comme dans le cadre d’un protocole », souligne de son côté Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF).

 

Concrètement, les pharmaciens pourront donc prescrire directement des antibiotiques lorsque le résultat d’un test rapide d’orientation diagnostique (Trod) angine ou cystite sera positif. Il reste cependant de nombreux points en suspens.

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Des obligations pour les pharmaciens

 

Quand les pharmaciens pourront-ils réaliser ces nouveaux actes ? Pas dans l’immédiat ! La mesure va en effet figurer dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2024. Le PLFSS est généralement présenté par le gouvernement vers mi-septembre. Il est ensuite examiné par le Parlement. La disposition peut alors être amendée par les députés et les sénateurs. Ou ne pas être adoptée. Ce qui paraît peu probable, la mesure étant portée par le gouvernement. Mais sait-on jamais, les médecins étant plutôt remontés contre l’éventualité d’une prescription par les pharmaciens (voir encadré). Quoi qu’il en soit, le PLFSS doit être voté en novembre pour une promulgation fin décembre 2023. En clair, rien ne démarrera avant début 2024. D’autant qu’il faudra un texte d’application. Ce qui peut prendre du temps… Et ce texte pourrait comporter des obligations, par exemple de formation sur la prescription – un point évoqué par le conseiller santé de la Première ministre – ou la réalisation des Trod.

 

Si le Trod angine a peu de secrets pour les pharmaciens (voir Repères), le Trod cystite interroge plus. Car l’urine du patient doit être recueillie afin d’être testée. Le patient pourra-t-il le faire à son domicile ou à son bureau, ou seulement à l’officine ? Des Trod sont déjà sur le marché. Par exemple, Cysti’Test, conçu par AAZ, comporte un flacon permettant de recueillir un échantillon d’urine et d’y plonger directement une bandelette qui indiquera le résultat au bout de deux minutes. Mais le protocole de coopération (arrêté du 6 mars 2020) précise que la pharmacie doit disposer d’un espace de confidentialité « avec un accès aux toilettes obligatoire ». Ce qui laisse supposer que le recueil de l’échantillon est effectué à l’officine. Une telle obligation nécessiterait des travaux d’aménagement dans de nombreuses officines, en particulier celles situées en ville. Une autre obligation pourrait là encore concerner le suivi d’une formation aux arbres décisionnels et à la prescription.

 

Enfin, la prescription représente une responsabilité médicale et même une « énorme responsabilité », comme le déclare Luc Duquesnel, président du syndicat médical Les Généralistes Confédération des syndicats médicaux français (CSMF). Qu’en est-il exactement ? « En cas de contestation d’un patient sur le bien-fondé d’une prescription effectuée par un officinal, le pharmacien sera seul responsable », explique Nicolas Gombault, directeur général délégué chez groupe MACSF. Le pharmacien devra donc être assuré contre ce risque. « Dès lors que cette nouvelle pratique sera exercée dans le cadre de la loi, notre garantie d’assurance sera ipso facto accordée aux pharmaciens sans surprime, le risque étant mutualisé sur l’ensemble de la population. Je ne pense d’ailleurs pas qu’il y aura une avalanche de réclamations », souligne Nicolas Gombault.

 

Dernier point : la rémunération de ces nouveaux actes. Les syndicats comptent bien en discuter lors de la négociation conventionnelle avec l’Assurance maladie de l’avenant sur l’économie de l’officine, qui pourrait débuter après la mi-septembre.

           
 
 
 

Les médecins contre les prescriptions pharmaceutiques

« Ce sont des mesures cache-misère », a réagi jeudi 31 août sur Franceinfo la Dre Agnès Giannotti, présidente de MG France. Elle reconnaît que la coopération des pharmaciens là où les généralistes sont « en difficulté, c’est parfait, quand cela se fait dans le cadre d’un exercice coordonné », et cela « peut être utile dans certains territoires et pas dans d’autres ». Si elle n’est pas opposée à la mesure, elle craint les effets secondaires notamment pour « quelqu’un qui ferait des cystites à répétition, des angines à répétition ou des allergies à un médicament. Il faut tout simplement qu’on ait un retour d’information ». Luc Duquesnel, président des Généralistes CSMF, regrette que la prescription d’antibiotiques ne s’inscrive pas dans le cadre de protocoles, d’autant qu’il estime qu’on ne connaît pas le nombre de cystites en France. Il redoute aussi des erreurs de prescription : « La médecine n’est pas binaire. C’est plus complexe que cela et il faut parfois prescrire des antibiotiques car le patient est à risque, par exemple s’il porte des valves cardiaques », explique-t-il. Une chose est sûre : « Cela va dégrader les relations entre médecins et pharmaciens. »

À retenir

Le 31 août, la Première ministre a annoncé que les pharmaciens pourraient prescrire des antibiotiques pour les angines et cystites en cas de résultat positif aux Trod.

La prescription sera réalisée hors protocole et hors coordination interprofessionnelle.

La mesure doit figurer dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2024 et un texte d’application sera nécessaire.

Des points sur les modalités de réalisation des Trod, notamment cystite sont à définir.

+ PUBLIÉ DANS LE N° 3477 DU 2 SEPTEMBRE 2023

Cahier Formation Ordonnance : « Les infections urinaires de l’adulte »

  • * Voir le numéro spécial « Les services à l’officine » du Moniteur des pharmacies n° 3471 du 24/06/2023.