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AU BÉNÉFICE DE QUI ?
Le 13 septembre, les sénateurs ont adopté en première lecture le projet de loi sur la consommation. Et l’amendement autorisant la vente des tests de grossesse et d’ovulation en grande surface. Au-delà de la polémique, quelle stratégie du gouvernement sous-tend cette démarche ? Et au bénéfice de qui ?
L’amendement de Patricia Schillinger, sénatrice PS du Haut-Rhin, supprimant le monopole pharmaceutique de la vente des tests de grossesse et d’ovulation, a retenti comme un coup de tonnerre dans le ciel des pharmaciens. Adopté par le Sénat en première lecture, il permet à la grande distribution de vendre ces autotests en rayon, sans intervention d’un docteur en pharmacie, à l’instar des préservatifs. L’argument de Benoît Hamon, ministre délégué chargé de l’économie sociale et solidaire et de la consommation, qui a soutenu cet amendement, est de « faire baisser considérablement les tarifs » de ces dispositifs médicaux, qui seront alors plus accessibles aux femmes. « Une avancée pour la santé publique », a même écrit sur son blog Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes.
1 % du chiffre d’affaires des officines
Des arguments qui font frémir les syndicats. « De quel droit Benoît Hamon s’occupe de santé ? Pourquoi n’a-t-on pas entendu Marisol Touraine sur le sujet ? », s’interroge Françoise Dalligault, présidente de l’UNPF. Pire encore pour Philippe Gaertner, président de la FSPF : Benoît Hamon n’a pas pris la peine de « prendre contact avec les acteurs naturels afin d’examiner le sujet ». Gilles Bonnefond, président de l’USPO, évoque également le manque de concertation : « C’est un signal politique surprenant. » Et d’ajouter : « C’est une déclaration de guerre du gouvernement. » Quant à l’argument des prix, il n’en est pas un pour les syndicats. « Le ministre est allé très loin dans ses propos en parlant de rente de situation, alors que les tests ne représentent qu’une partie infime de notre chiffre d’affaires », déclare Philippe Gaertner. Effectivement, selon IMS Health, le chiffre d’affaires des tests de grossesse s’est élevé à 37,9 millions d’euros en prix public en cumul mobile d’août 2012 à juillet 2013, pour 5,3 millions d’unités vendues sur la même période. Soit environ 1 % du CA des officines. En outre, le CA de ce marché affiche une légère décroissance (– 0,2 %). « On peut trouver des tests de grossesse à 3 euros en officine », remarque Gilles Bonnefond. Des e-pharmacies les commercialisent à des prix encore moindres : 1,95 euro voire 1,79 euro. Le marché des tests d’ovulation est encore plus réduit. L’argument de santé publique convainc encore moins les professionnels qui, tous, mettent en avant le rôle de conseil et même d’orientation, notamment pour les jeunes filles qui ne désirent pas une grossesse. Dans lemonde.fr, Marie-Pierre Martinet, secrétaire générale du planning familial, l’admet : « Cette mesure ne faisait pas partie de nos priorités. Ce n’est qu’un infime fragment de la réponse à apporter sur ces questions [de sexualité et de fécondité NdlR]. »
Des consommatrices qui soutiennent le projet
La santé publique et un accès plus facile à des tests sont-ils les véritables raisons de cet amendement soutenu par le gouvernement ? Les pharmaciens n’y croient pas une seconde. « C’est le lobbying de la grande distribution », répond sans ambages Gilles Bonnefond. Il est vrai que Michel-Edouard Leclerc se frotte les mains et annonce sur son blog qu’il est prêt à vendre ces tests. Il demande même d’aller plus loin : « Plus globalement, c’est la vente de tous les produits frontières et des dispositifs médicaux qu’il faut ouvrir à la concurrence, pour obtenir des prix de vente plus bas », écrit-il en citant notamment les patchs antitabac, qui relèvent aussi du monopole pharmaceutique.
Et les premières intéressées, qu’en pensent-elles ? N’en déplaise aux pharmaciens, des jeunes femmes seraient prêtes à acheter leur test de grossesse en grande surface en raison d’un prix qui serait plus bas qu’en officine et de la banalisation de cet acte d’achat. Selon un micro-trottoir réalisé auprès d’une dizaine d’étudiantes d’une vingtaine d’années à Paris, six iraient donc en supermarché, alors que seulement trois se rendraient dans une pharmacie pour bénéficier de conseils. Certes, l’échantillon n’est pas représentatif, mais il ressort de ces réponses spontanées que la vente des tests de grossesse et d’ovulation en GMS ne choque pas les femmes, qui se positionnent sur le sujet comme des consommatrices et non des patientes. Et estiment qu’elles seraient les premières bénéficiaires de cette disposition. Si la mesure est définitivement adoptée, il faudra néanmoins attendre pour dresser un premier bilan. La vente des préservatifs en grande surface avait également suscité la polémique. Si, aujourd’hui, l’achat de préservatifs est devenu banal, il n’en demeure pas moins qu’en termes de santé publique la transmission des IST n’a pas été stoppée.
REPÈRES
• 2 mai 2013 : dépôt du projet de loi sur la consommation à l’Assemblée nationale.
• 3 juillet : adoption en première lecture par l’Assemblée nationale.
• 4 juillet : texte transmis au Sénat.
• 10 septembre : dépôt de l’amendement de Patricia Schillinger, sénatrice, qui propose de vendre les tests de grossesse et d’ovulation hors officine, et les produits pour lentilles hors officine et opticiens. Au total, 705 amendements ont été déposés par les sénateurs.
• 11 septembre : déclaration de Benoît Hamon qui soutient l’amendement.
• Nuit du 13 au 14 septembre : adoption en première lecture par le Sénat du projet de loi sur la consommation avec l’amendement de Patricia Schillinger.
• 16 septembre : transmission de la « petite loi » à l’Assemblée nationale pour la deuxième lecture.
Un paradoxe total
Pour Claude Le Pen, économiste de la santé, « la stratégie des GMS est de dire qu’elles vont pouvoir vendre à des prix bas en réduisant leurs marges. Il s’agit pour elles d’accréditer l’idée qu’elles pourront vendre moins cher les autres produits de santé et qu’elles sont par conséquent un distributeur potentiel de médicaments sans ordonnance ». Pour autant, les prix varieront dans les deux circuits. « Il y a déjà une grande variété de prix dans les officines, mais l’idée générale en France est que les grandes surfaces sont moins chères », explique Claude Le Pen. En fait, deux problématiques s’opposent : « Les officines, confrontées à des difficultés économiques, veulent sauvegarder leurs marges, alors que la GMS cherche à les sacrifier. » Et de conclure : « Nous sommes aussi dans un paradoxe total : le gouvernement ne veut pas marchandiser la santé, mais cette mesure percute cette stratégie. On peut donc se demander ce que veut le gouvernement. »
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