• Accueil
  • Une bulle d’air dans l’organisation du travail

Une bulle d’air dans l’organisation du travail

Publié le 1 mai 2024
Par Carole De Landtsheer
Mettre en favori

Le travail à domicile, entré dans les mœurs, est désormais attendu par les salariés. S’il paraît difficilement applicable à l’univers de l’officine, des ajustements sont possibles.

Selon une récente étude de l’Apec, publiée le 12 mars, près de la moitié des cadres déclarent qu’ils démissionneraient de leur entreprise si l’accès au télétravail était supprimé, un chiffre qui atteint 57 % parmi les cadres de moins de 35 ans. Les arguments avancés en faveur du travail à distance vont tous dans le sens d’une meilleure conciliation travail-vie personnelle : diminution des temps de transport (pour 51 % des interrogés), possibilité de travailler au calme pour gagner en concentration (38 %), flexibilité dans la gestion des horaires de travail (36 %) qui permet incidemment de gérer des imprévus (comme un rendez-vous chez le médecin) ou d’optimiser ses temps de pause (en pratiquant, par exemple, un sport).

Productivité accrue.

L’enseignement à retenir : les cadres adaptent leurs activités en fonction du lieu où ils travaillent. Ainsi, ils favorisent le présentiel pour les réunions et le télétravail pour les tâches plus individuelles (gestion administrative, avancement des projets, etc.). Une tendance forte, que l’on pourrait étendre à l’ensemble des salariés. En mai 2022, le Conseil national de la productivité démontrait, dans un rapport, que le télétravail, en l’absence de trajets, débouche sur un gain de temps profitable aux entreprises, qui voient leur productivité croître de 5 à 9 % sur le long terme.

Pas si simple.

Adopté massivement pendant la pandémie sur un mode obligatoire, le télétravail s’est installé dans les pratiques. « Les jeunes générations ont pris l’habitude de travailler à distance et se sentent à l’aise dans ce cadre », observe Mathieu Mouysset, cofondateur de Medijob. Ce modèle de souplesse organisationnelle est-il transposable à l’officine ? Dans le contexte actuel de pénurie du personnel en pharmacie, pourrait-il améliorer son attractivité ? « Pas si simple, pointe notre interlocuteur. D’ailleurs, cette attente n’est pas nécessairement exprimée par les postulants », ajoute-t-il. Ces derniers connaissent parfaitement les conditions de travail induites par la tenue d’un commerce physique et savent ce à quoi ils s’exposent, comme l’obligation de travailler en présentiel. « L’attrait de cette profession tient à ses missions variées, et la noblesse du métier, c’est avant tout le contact avec les patients », rappelle Marie-Hélène Gauthey, directrice de l’activité e-learning chez Atoopharm. Cela semble tomber sous le sens, l’activité officinale n’est pas a priori « télétravaillable », la délivrance au comptoir ne pouvant s’effectuer en visioconférence…

Trouver le juste équilibre.

Si cette contrainte du présentiel fait partie du jeu, l’univers de la pharmacie n’est pas pour autant étranger aux évolutions du monde du travail et aux attentes des nouvelles générations, qui souhaitent privilégier leur vie personnelle (et non leur carrière). Aussi, à défaut de télétravail, c’est l’organisation même du travail (horaires aménagés, week-end de trois jours, etc.) qui est devenue un argument d’embauche pour attirer les jeunes professionnels : « L’aménagement de l’emploi du temps sur quatre jours, voire de trois jours et demi, est perçu comme un vrai avantage », assure Mathieu Mouysset. Cet aménagement est d’ailleurs tout aussi attendu que le télétravail : selon une enquête menée en 2023 par le cabinet Walters People auprès de plus de 400 jeunes actifs, figure parmi les critères les plus motivant à rester dans une entreprise, l’équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle. 91 % d’entre eux déclarent être favorables à la mise en place de la semaine de quatre jours dans leur entreprise.

Poche de souplesse.

Reste que le débat sur le télétravail en officine n’est pas, non plus, totalement clos. Si, dans les faits, il n’est quasiment pas appliqué, des exceptions existent : du cas par cas pour fluidifier certains emplois du temps. Coach et pharmacienne, à la tête de Pragmatic RH, Pascale Hauet livre deux exemples : « Le cas d’un préparateur qui a structuré sa semaine en dédiant tous ses mardis matin à la facturation, effectuée à domicile, des locations de matériel médical ; ou celui d’une collaboratrice, en charge des promotions, qui télétravaille tous les jeudis matin de 8 h à 10 h, une plage horaire qui lui permet de mieux gérer sa vie personnelle et, notamment, le transport de ses enfants. » « Le télétravail apporte de la flexibilité dans l’organisation de la journée et, pour que ça fonctionne, il faut partir de ce que fait concrètement le collaborateur pour voir comment il peut se mettre en place et tenter l’expérience. Ça peut apporter un vrai bol d’air », commente notre interlocutrice. Quoi qu’il en soit, ces petites plages horaires de deux à trois heures volées au présentiel ne sont pas « extensibles à des journées entières, estime Marie-Hélène Gauthey, sauf à défavoriser les autres collaborateurs et à mettre en péril le travail au comptoir ».

Publicité

Tâches administratives.

En toute logique, ce sont les tâches administratives, demandant de la concentration et pouvant être exécutées à domicile, qui rentrent dans la sphère du télétravail. Soit « tout ce qui ne nécessite pas d’être au contact de la clientèle ou présent dans l’enceinte de la pharmacie, résume le pharmacien Thibault Winka, directeur associé chez Team Officine. Toutes ces tâches pourront être concentrées sur un même temps ». Tiers-payant, réassort des commandes, organisation d’animations, gestion des plannings, comptabilité ou pointage des factures, voici autant d’exemples de tâches « télétravaillables ». Seule contrainte : « prévoir du matériel informatique avec un accès personnalisé aux données et une connexion internet sécurisée », relève Marie-Hélène Gauthey. Autrement dit, si le télétravail ne constitue pas un outil pour recruter des candidats, en officine il participe d’une souplesse managériale qui sera nécessairement perçue positivement par les collaborateurs.

UNE RÉALITÉ À DEUX VITESSES

Quelques années après la crise sanitaire, le télétravail tient bon. Dans la majorité des cas, le nombre de jours autorisés (un à deux) et les modalités sont les mêmes, selon le 7e baromètre Parella sur les évolutions des modes et espaces de travail, réalisé par CSA Research (qui a sondé 800 salariés, DRH et dirigeants, tous secteurs confondus en novembre 2023). Cependant, ce mode de travail est loin d’être généralisé : il est proposé par 53 % des dirigeants et accessible à 55 % des salariés. La part des salariés pouvant télétravailler est de 69 % en Île-de-France contre 50 % en régions, 38 % dans les petites structures contre 62 % dans les plus grandes, et 61 % dans l’industrie contre 41 % dans le commerce et les transports. Si cette organisation du travail post-Covid séduit toujours autant les salariés, du côté des dirigeants, la moitié seulement (55 %) sont convaincus des bénéfices du télétravail et pour 44 % d’entre eux, il s’est imposé pour suivre l’évolution du marché du travail ou encore sous la pression des collaborateurs.