L’inattendue vie des invendus

Publié le 1 mai 2024
Par Annabelle Alix
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Alors que les ruptures d’approvisionnement se multiplient, des plateformes de déstockage pour médicaments et produits de santé invendus se développent. L’enjeu n’est pas qu’économique, il a aussi des vertus écologiques et sociales.

Il y a comme une incohérence. D’un côté, des ruptures d’approvisionnement qui créent des manques mettant en difficulté les patients. De l’autre, des stocks difficiles à écouler qui génèrent un gaspillage de l’ordre de « 10 000 à 15 000 euros par an et par pharmacie, soit 300 millions d’euros environ sur la France », calcule Ivan Mittler, cofondateur du Comptoir des pharmacies, une plateforme en ligne de revente de médicaments et produits de santé entre officinaux créée en 2016. Quelque 11 000 pharmacies y sont inscrites. « La problématique des achats et de la gestion des stocks en pharmacie est complexe, reprend Ivan Mittler. Sur une surface de vente de 100, 200, 300 m2 en épicerie, on trouve 1 000 à 1 500 références tout au plus, alors qu’en pharmacie, on en rencontre plus de 6 000 ! La gestion des stocks est donc un sujet central à l’officine, alors que là n’est pas le cœur de métier. » À cela s’ajoute « un rapport de force totalement déséquilibré dans les négociations avec les fournisseurs » – qui incite à l’achat de gros volumes et à un panel de références conséquent pour pouvoir accéder à des remises avantageuses ; on comprend pourquoi les invendus sont nombreux.

Plusieurs marketplaces se sont donc développées au fil des ans pour les écouler. Elles profitent également de l’air du temps, quand la lutte contre le gaspillage a valeur d’engagement. Voici pourquoi et comment suivre le mouvement, en 5 questions.

1. Quels médicaments se revendent le mieux ?

Sur la marketplace Trimed’s, créée en 2014 (environ 350 pharmaciens inscrits), « les plus gros paniers concernent les médicaments chers : anticancéreux, trithérapie…, pour des montants moyens qui se montent à 400 ou 500 euros », rapporte le fondateur, Jean-Nicolas Vincenti. Même son de cloche chez les concurrents. « Les produits froids, chers, comme les traitements anticancéreux à 10 000 euros commandés mais au bout du compte non délivrés impactent énormément l’économie, explique Ivan Mittler. Lorsqu’un médicament est en rupture et disponible dans une autre pharmacie, nous avons les moyens de le faire venir en 24 heures depuis l’autre bout de la France. Notre service permet ainsi de remobiliser des principes actifs en tension, ou des références qui soignent des pathologies rares. » En 2023, 1 200 000 boîtes de médicaments ont été ainsi écoulées via Le comptoir des pharmacies. De son côté, la marketplace Medi-Destock, créée en 2011 (9 000 pharmacies inscrites), a déployé un système de recherche des manquants. Ce module utilise la base de données sur la disponibilité des produits de santé de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). « Quand une officine lance une recherche sur un manquant – anticancéreux, trithérapie, amoxicilline… -, tous les adhérents reçoivent une alerte », détaille David Jaunet, fondateur de Medi-Destock. Les marketplaces pallient avec une certaine agilité les impondérables : patient décédé, changement de dosage, clientèle volatile… « Il y a 10 ou 13 ans, le maillage territorial était meilleur, la clientèle était plus régulière. Mais avec la concentration des officines en milieu urbain, les mouvements des clients impactent la gestion des stocks, analyse David jaunet. Côté OTC, les marketplaces pallient aussi l’impact des changements de comportements des clients découlant de l’actualité, elles ont ainsi permis d’écouler les stocks d’ibuprofène à la suite de la pandémie liée au Covid-19. »

2. Et côté para ?

« Plus de la moitié des ventes sur Le comptoir des pharmacies concernent la parapharmacie, les compléments alimentaires et les dispositifs médicaux », rapporte Ivan Mittler. Chez KéaBot, marketplace créée en 2020, concentrée exclusivement sur la parapharmacie, « les dates courtes repré sentent 60 % des ventes, le surstock, 30 % et les produits et boîtes abîmés, 3 à 5 % », rapporte le fondateur, Arnaud Mallinger. Les surstocks sont plus conséquents sur la para, parce que les laboratoires incitent souvent à commander beaucoup d’unités, mais aussi parce que « dans un contexte inflationniste, des consommateurs passent à l’ère de la sobriété », observe David Jaunet. Quant aux dates de péremption, elles peuvent être plus difficiles à surveiller que celles des médicaments, sérialisés, parfois scannés par les robots ou sur lesquels « les logiciels de gestion d’officine (LGO) peuvent faire des remontées », rappelle Arnaud Mallinger. Ce dernier relève surtout, sur KéaBot, « des produits issus de jeunes marques – qui ne proposent pas de reprises -, mais aussi beaucoup de produits solides : shampooings, déos secs en stick, etc. Lesquels nécessitent un effort plus important de conseil, démarche dans laquelle le pharmacien n’a pas toujours le temps d’entrer. » Une clientèle peu coutumière, un marché concurrencé par les magasins bio, tous les ingrédients d’un périmé sont là encore réunis. « Ces produits ne sont pas non plus toujours mis en avant dans l’espace de vente, face à ceux des grands laboratoires qui négocient l’emplacement sur des zones à forte visibilité », souligne Arnaud Mallinger.

3. Comment faire, en pratique ?

Pour rejoindre une marketplace, rien de plus simple ! « Le titulaire doit s’inscrire sur le site internet, renseigner son numéro Siret, puis on contrôle et on valide », explique David Jaunet. Ensuite, le pharmacien – ou préparateur en charge de la gestion des invendus – entre le nom du produit et le prix. Même chose sur Le comptoir des pharmacies, où « la validation du pharmacien est nécessaire lors de l’inscription. Ensuite, l’utilisateur régulier qui gère les reventes de produits et médicaments peut tout à fait être un préparateur », assure Ivan Mittler. Sur ce site, l’algorithme conseille un prix en fonction du produit. Il faut compter en moyenne, 20 à 50 % de remise, parfois 60 % sur la parapharmacie. Sur le médicament, la remise sera plutôt de l’ordre de 10 à 30 %. « Même si les médicaments chers sont souvent revendus à un prix plus bas que celui auquel ils ont été achetés, c’est toujours mieux de perdre 15 % plutôt que 100 % de leur valeur, et la revente évite aussi le gaspillage », pointe David Jaunet. L’article 442-5 du Code de commerce tolère la vente à perte sur les produits périssables à partir du moment où ils sont menacés d’altération rapide.

4. Quel est le coût du service ?

Au cours de la transaction, la marketplace prélève une commission sur la vente. Selon les plateformes, le pourcentage varie entre 5 et 10 % du prix de vente, en fonction de la formule choisie – sans abonnement, avec abonnement payant, avec abonnement gratuit…, et un pourcentage est parfois également prélevé sur l’achat (3 à 10 %). « Le prix dépend aussi de si l’on est en direct avec la pharmacie ou si l’on passe par des groupements, qui nous apportent du volume », explique Arnaud Mallinger, qui compte actuellement 7 groupements parmi ses clients. Les frais d’envoi varient eux aussi. Côté livraison, le transport est effectué par Chrono Medical, une filiale de Chronopost spécialisée dans le transport de produits de santé, y compris thermosensibles. « Nous nous occupons de la facturation des produits et du paiement, et nous gérons le trajet, les problématiques éventuellement rencontrées, le service après-vente… », détaille Ivan Mittler, dont l’objectif est de soulager les officinaux des tâches annexes à leur métier. « L’envoi, calculé au poids, est à la charge de l’acheteur, mais devient gratuit à partir de 250 euros d’achat, sauf pour l’envoi de produits froids, systématiquement facturés 35 euros. » Chez Medi-Destock, un montant minimum est nécessaire pour rentabiliser le transport. « Nous proposons l’envoi au tarif négocié avec le transporteur, et si les pharmacies l’acceptent, on leur facture, développe David Jaunet. Il y a simplement une étiquette à coller sur le carton, puis le livreur passe le récupérer. » De son côté, la marketplace KéaBot – centrée sur la parapharmacie – ne propose pas de service de livraison. Dans une optique de responsabilité sociale des entreprises (RSE), elle incite les officinaux à se fournir au plus près de chez eux.

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5. Et si malgré tout le produit ne se vend pas ?

Chez Trimed’s, « les produits à moins d’un mois de leur date de péremption sont automatiquement supprimés de la plateforme », pose Jean-Nicolas Vincenti. Que faire alors ? Pour étendre le marché et maximiser les chances de vente, « nous avons récemment ouvert la plateforme d’achat aux particuliers sur la parapharmacie », reprend le fondateur de Trimed’s. Les particuliers peuvent également effectuer leurs achats sur la marketplace KéaBot, et plus récemment, acheter les produits revendus par cette société dans des boutiques éphémères. « Nous avons ouvert une première boutique à Toulouse pour gagner en visibilité, raconte Arnaud Mallinger. Nous avons racheté aux laboratoires des produits qui n’allaient pas se vendre, en raison d’un changement de packaging : logo, police… en les proposant à moins 50 %. » Résultat, plus de 500 produits ont été sauvés de la destruction et ont comblé 300 clients. La seconde boutique éphémère s’est ouverte le temps d’une journée, le 6 avril, à Bordeaux, et l’opération est vouée à se répliquer dans les grandes villes de France.

Autre option, le don. « Nos partenaires associatifs récupèrent les produits de parapharmacie qui ne se vendent vraiment pas, ceux qui sont à moins d’un mois de la date de péremption et ceux que les pharmaciens souhaitent simplement donner », indique Jean-Nicolas Vincenti. Chez KéaBot, « les produits qui ne se vendent pas sont récupérés par des associations partenaires, qui viennent les chercher à la pharmacie, un mois avant la date de péremption. Elles remettent un reçu fiscal au pharmacien. » Celui-ci bénéficie d’une défiscalisation à hauteur de 60 % du prix d’achat. À bon entendeur !

PHARMA Solidaires cherche donateurs et bénévoles

Six antennes locales gérées par des professionnels de santé, un pilotage national par un pharmacien, une quarantaine de bénévoles, mais surtout 6 millions de produits de santé sauvés de la destruction depuis sa création en mars 2019, tel est le bilan de l’association PHARMA Solidaires. Elle récolte des dons pour les redistribuer à plus de 200 associations caritatives partenaires. Progressivement, l’association se professionnalise. « Nous assurons une traçabilité des dons, nous avons un droit d’audit sur nos structures bénéficiaires et nous sommes habilités à établir et à remettre des formulaires Cerfa aux donateurs pour qu’ils obtiennent une réduction d’impôts », explique le fondateur, Sami Tayb-Boulahfa. Laboratoires, groupements, centrales d’achats sont aussi de la partie. Les invendus émanent finalement peu des pharmacies, « seule une petite dizaine est entrée dans le circuit », précise Sami Tayb-Boulahfa.

→ Appel aux bonnes volontés !

À Lyon, Samira Serri, préparatrice et bénévole dans l’association, court les applis et réseaux sociaux – Facebook, Instagram, Leboncoin – à l’affût d’un donateur, et se déplace ensuite pour récupérer les produits. « Matériel médical, fauteuils roulants, appareillage, matériel orthopédique, chaussures…, ma voiture est toujours pleine à craquer ! », plaisantet- elle. L’association cherche aussi des bénévoles prêts à rejoindre des antennes existantes ou à en monter de nouvelles. « La priorité serait de pouvoir assurer les permanences avec la réception et la gestion des stocks, et de démarcher les pharmacies en leur demandant de nous amener leurs invendus ou de les faire transiter via les grossistes vers des pharmacies proches de chez nous », confie Samira Serri. L’antenne lyonnaise cherche aussi un nouveau local, de préférence indépendant, gratuit, 30 m2, avec des prises pour brancher l’ordinateur et des sanitaires.

Un produit bien acheté vaut mieux que deux revendus

De la revente des invendus à la vente directe, pour les plateformes en ligne de (re) vente, il n’y a qu’un pas à franchir. Un nouveau moyen d’acheter malin pour les petites officines.

Comment rompre le cycle infernal des pressions sur l’achat qui génèrent des invendus, parfois repris contre des facilités d’achats qui entraîneront d’autres invendus… et ainsi de suite ? La revente des invendus sur les marketplaces (voir ci-dessus) soigne le symptôme d’un dysfonctionnement à l’achat qui peut être traité à la source. Certaines marketplaces, comme Le comptoir des pharmacies, permettent aux officines de mieux acheter.

→ Approvisionner les petites officines

Sur les marketplaces, les petites pharmacies « ont accès à des produits leaders en petites quantités, à prix bradés, alors qu’en pharmacie, elles devraient acheter de gros volumes dont elles n’ont pas besoin pour pouvoir accéder aux remises », pointe David Jaunet, fondateur de la plateforme de revente de médicaments et produits de santé Medi-Destock. « Certaines pharmacies ne reçoivent même plus la visite des laboratoires, » insiste-t-il, et pour cause, « une visite en pharmacie coûte aujourd’hui 250 à 300 euros au laboratoire, le retour sur investissement est trop faible », analyse Ivan Mittler, fondateur du Comptoir des pharmacies, autre marketplace, créée en 2016. Sur la plateforme Trimed’s, « la plupart des pharmacies sont de moyenne et petite tailles », corrobore le fondateur, Jean-Nicolas Vincenti. Rejoindre un groupement est, certes, une option pour ces officines. « Les pharmaciens aiment cependant conserver une certaine indépendance dans leurs achats, nuance Jean-Nicolas Vincenti. Et les groupements se retrouvent parfois, eux aussi, avec de gros volumes de stocks à écouler, qu’ils répercutent ensuite sur les conditions d’achat proposées aux pharmacies. »

→ Nouvelle logique de marché

Les plateformes de revente des produits de santé permettent à certaines officines d’effectuer une partie de leurs achats en rachetant les invendus des confrères… ou en achetant de petits volumes aux laboratoires. « Notre plateforme d’achat étant disponible, on peut y inclure n’importe quel acteur de dermocosmétique, pointe Ivan Mittler. Nous agrégeons des laboratoires, des centrales d’achats, tout type d’acteurs. Les laboratoires sont notamment intéressés par les transactions passées avec des officines qu’ils ne visitent plus. »

Ils captent ainsi un nouveau marché, à moindre coût. Quant à l’officine, « elle fait plus de marge que chez le grossiste », souligne Ivan Mittler, précisant toutefois que « le déstockage ne remplace pas le grossiste-répartiteur ! » La plateforme est un acteur complémentaire.

« Nos transactions sont éparses, se chiffrent en millions, quand les leurs se chiffrent en milliards, mais auprès de certaines pharmacies, nous sommes le deuxième acteur. » Les officines de moins de 2 millions de chiffre d’affaires affectionnent particulièrement la plateforme pour la possibilité d’acheter en flux tendus.

→ Accompagner l’officine

Toujours dans l’idée de libérer l’officinal des tâches qui se distinguent de son cœur de métier, Ivan Mittler propose aux officines un service d’analyse des stocks et des achats, alertes et conseils à la clé. « Deux formules sont possibles, développe l’entrepreneur , une à 15 euros par mois pour le branchement sur le logiciel de gestion d’officine de la pharmacie, et une seconde avec accompagnement par un expert, création d’un projet commun sur les achats et la gestion des stocks et développement d’une feuille de route. » Et d’ajouter : « Sur une pharmacie au chiffre d’affaires de 1,5 million, le gain est de 5 000 à 15 000 euros dès la première année. »

Contacts PHARMA Solidaires

→ Toulouse : Didier G., toulouse@pharmasolidaires.com

→ Nantes : Christine D., 06 09 70 00 99, nantes@pharmasolidaires.com

→ Tours : Alice C., 06 71 06 67 69, tours@pharmasolidaires.com

→ Lyon : Patricia B., 06 87 95 38 21, lyon@pharmasolidaires.com

→ Montpellier/Béziers : Pauline A., 06 09 61 48 61, beziers@pharmasolidaires.com

→ Paris : Sami T., 06 14 06 94 13, paris@pharmasolidaires.com