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Dépistage du cancer du poumon : un nouveau souffle attendu

Publié le 5 juillet 2024
Par Romain Loury
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En France, le dépistage organisé du cancer du poumon pourrait permettre d’éviter jusqu’à 7 500 décès par an. Malgré les preuves de son efficacité, l’Etat avance à petit pas, au grand dam des pneumologues. Un essai clinique au niveau national devrait être bientôt lancé.

 

Après le cancer du sein, le cancer colorectal et celui du col de l’utérus, la France disposera-t-elle bientôt d’un programme de dépistage organisé du cancer du poumon ? Prônée de longue date par la Société de pneumologie de langue française (SPLF), cette mesure constitue l’un des engagements du président Emmanuel Macron, pris, en février 2021, lors de la présentation de la stratégie décennale de lutte contre les cancers 2021-2030.

 

Enjeu principal de ce dépistage : détecter les cancers à un stade plus précoce. Selon l’étude KBP-2020, 57,6 % des cas français de cancer du poumon sont identifiés au stade métastatique (stade 4). Conséquence de ce diagnostic tardif, seuls 20 % des patients sont encore en vie à cinq ans. D’où l’idée d’un examen par scanner faible dose, de manière annuelle ou bisannuelle, ciblant une population à risque élevé : personnes âgées de 50 à 75 ans, ayant consommé plus de 20 paquets-années (un paquet par jour pendant 20 ans, deux paquets par jour pendant 10 ans, etc.), encore fumeuses ou sevrées depuis moins de 15 ans.

Une stratégie efficace

 

En 2011, l’étude américaine NLST a confirmé l’efficacité de cette stratégie : au terme d’un suivi médian de 6,5 ans, la mortalité liée au cancer du poumon avait diminué de 20 % ; celle toutes causes confondues, de 6,7 %. Idem en 2020 avec l’étude belgo-néerlandaise Nelson, où, à dix ans, la baisse de mortalité cancéreuse était de 24 % chez les hommes fumeurs. En France, 2 millions de personnes pourraient être concernées par un tel dépistage, pour 7 500 vies sauvées par an en cas d’adhésion à 100 %.

 

Plusieurs pays proposent déjà ce dépistage en routine, dont la Chine et les Etats-Unis. En Europe, la Croatie, la Pologne et le Royaume-Uni leur ont emboîté le pas. Avec succès : lancé en juin 2023, le programme britannique a permis de dépister plus de 3 000 cas de cancer du poumon au cours des six premiers mois, dont les trois quarts aux stades 1 et 2, sur 1 million de personnes invitées. D’autres pays devraient suivre prochainement, dont l’Allemagne et l’Australie.

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Malgré l’évidence scientifique et les annonces présidentielles, la France peine à se lancer. Selon le président de la SPLF, le Pr Jésus Gonzalez, « c’est avant tout un choix politique, pas scientifique ». De l’avis des experts interrogés, cette « frilosité » de l’Etat s’expliquerait en partie par une crainte de l’échec, alors que d’autres dépistages organisés rencontrent peu de succès. Pour celui du cancer du sein, le taux de participation n’était que de 46,5 % sur la période 2022-2023 ; pour le cancer colorectal, de seulement 34,2 %.

 

Selon le Dr Olivier Leleu, chef du service de pneumologie du centre hospitalier d’Abbeville (Somme), « la participation est la pierre angulaire de la réussite d’un programme de dépistage. Si elle est faible, ce programme aura beau être le plus efficace du monde, il ne rendra pas service ». Le médecin en a fait l’expérience, lors de l’étude DEP KP80, menée dans la Somme sur 1 307 participants : parmi les cancers diagnostiqués, trois quarts l’étaient au stade 1, soit une inversion des stades au diagnostic par rapport à la situation courante. Mais faute de courrier de relance – l’invitation à revenir l’année suivante était formulée de manière orale –, le taux de participation a chuté dès la deuxième année, passant de 73,1 % à 35,3 %.

 

Au-delà de l’expérience samarienne, d’autres projets sont en cours en France, notamment en Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca) et en Corse. Dans la foulée de deux appels à projets, l’agence régionale de santé (ARS) de Paca s’apprête à labelliser, en 2025, six établissements régionaux en « filières remarquables dans la prise en charge du cancer du poumon », avec un accent marqué sur le diagnostic rapide. Conduite dans huit villes françaises, l’étude Cascade cible, quant à elle, les femmes fumeuses. Déjà impliqués dans un programme de dépistage pour leur personnel dans le cadre de l’étude Ilyad, les Hospices civils de Lyon (Rhône) prévoient de lancer l’an prochain un service de dépistage mobile. Celui-ci sera assuré par un semi-remorque équipé qui parcourra la région, proposant également des évaluations des calcifications coronaires par scanner, des tests spirométriques et un soutien au sevrage tabagique.

Essai clinique en vue

 

Plutôt que de s’engager d’emblée dans un dépistage organisé, l’Etat a opté pour un essai de recherche clinique, afin d’évaluer son intérêt et sa faisabilité dans le contexte français. Selon Olivier Leleu, « il est un peu dommage que l’on cherche à reproduire en France des études déjà menées à l’étranger. Pour un programme de recherche, il faut compter cinq ans de recrutement, puis cinq ans d’exploitation des résultats. Et si l’on veut évaluer l’effet sur la survie, il faut encore dix ans après le résultat des examens par scanner. Nous sommes le seul pays qui repart sur de nouvelles recherches ». « Ce sera l’un des plus gros essais cliniques jamais menés en France. Si c’est la seule manière de faire enfin avancer le dossier, nous sommes prêts à nous engager », soupire le Pr Sébastien Couraud, chef du service de pneumologie aiguë spécialisée et cancérologie thoracique des Hospices civils de Lyon.

 

Un appel d’offres devrait être prochainement lancé en vue de cette étude, en même temps que sera publié un référentiel de l’Institut national du cancer (INCa) fixant les modalités du dépistage (population cible, périodicité des examens, mode d’invitation, etc.). Principale crainte des experts : la lourdeur administrative de l’expérimentation, qui pourrait décourager médecins et patients. Selon Sébastien Couraud, « cela va être bien plus complexe : on risque d’intéresser surtout les centres hospitaliers universitaires, les grands centres hospitaliers généraux, les “gros libéraux”. Ce sera trop lourd pour le petit privé du fin fond de l’Ardèche, alors que c’est lui qu’il faudrait avant tout impliquer ! De plus, le cadre de la recherche impose la signature d’un consentement éclairé. Cela peut effrayer les patients, déjà méfiants depuis la crise du Covid-19 ». Au risque d’affaiblir la participation, et donc de conduire l’Etat à juger que le jeu n’en vaut pas la chandelle.

 

Alors que le cancer du poumon tue plus de 30 000 personnes par an en France, comment expliquer cette réticence de l’Etat ? Les craintes sont non seulement financières (en cas de faible adhésion), mais aussi organisationnelles. En particulier du fait d’un accès inégal au scanner sur le territoire, mais aussi de la difficulté d’identifier les fumeurs (actuels ou sevrés), alors que l’Assurance maladie ne dispose pas de données individuelles sur le tabagisme.

 

Autant de réserves que balaie Olivier Leleu : « Il faut, bien sûr, qu’il y ait une équité d’accès au dépistage, mais il est possible d’étaler les examens, et les participants pourront parcourir quelques kilomètres pour se rendre dans les centres labellisés. La difficulté sera surtout de toucher cette population à risque, celle des fumeurs, souvent plus précaires, qui seront peut-être réfractaires à s’engager dans un programme de recherche ». Quant à l’enjeu de dénicher les fumeurs : « Les médecins généralistes sont prêts à participer de manière active, et la prévention constitue l’une de leurs missions. Ils connaissent leur patientèle, et savent que ce cancer est de pronostic sombre lorsqu’il est pris en charge tardivement, ce qui se produit dans la majorité des cas », selon Olivier Leleu.

 

Par ailleurs, l’Etat a « très peur qu’un patient ne se retourne contre lui en cas de cancer radio-induit », constate Sébastien Couraud. « Evidemment, le poumon est l’une des premières localisations à risque. Or, non seulement nous utilisons un scanner très faiblement dosé, mais nous sommes face à une population de personnes âgées de 50 à 75 ans déjà à risque élevé de cancer du poumon et il faut 20 ou 30 ans pour développer un cancer radio-induit. A l’inverse, un fumeur pourrait très bien se retourner contre l’Etat, et dire : “Vous aviez les moyens de me dépister, vous n’avez rien fait.” D’autant qu’une grande proportion de nos malades ont commencé à fumer à l’armée ! ».