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Je suis débordé mais je me soigne

Publié le 20 janvier 2023
Par Christine Julien
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Gérer la surcharge de travail. Entre épidémies, pénuries et ruptures, bien faire et bien vivre son travail sont parfois difficiles. Parler, proposer des solutions et les évaluer sont des actions à mener en équipe.

La charge de travail

Une question d’équilibre

La charge de travail est un équilibre entre des attentes, des prescriptions et des moyens dont disposent les salariés pour y parvenir. Elle « résulte de la gestion des contraintes de l’entreprise par rapport aux moyens humains et opérationnels dont elle dispose »(1). Dès qu’un titulaire assigne un travail à un salarié, ce dernier a-t-il les moyens de le faire, comprend-il ce qu’il a à accomplir et cela a-t-il du sens pour lui ?

→ Les moyens sont les conditions de travail autour de soi dans lesquelles on pioche pour effectuer les tâches : la consigne, le contenu du travail, les outils à disposition, les règles, l’environnement, les compétences, le soutien de la hiérarchie, la latitude pour modifier sa façon de faire…

→ Le sens est l’intérêt porté à ce travail, le fait d’œuvrer pour quelque chose que vous jugez bénéfique, de se sentir utile, de construction de votre identité sociale.

Selon trois dimensions

La charge de travail se décline en trois composantes.

→ La charge prescrite est ce que le titulaire vous demande de faire, de manière formelle ou informelle. Là-dedans se trouvent les attentes, les objectifs fixés (ranger la commande…), les consignes à respecter sur les procédures (scanner les ordonnances, marquer sur les boîtes…).

→ La charge réelle est ce que vous faites réellement. Elle met en jeu votre adaptation à exécuter en tenant compte des imprévus (ruptures, pannes…) et des régulations (aider un collègue, réaliser d’autres tâches pour pallier une absence…), mais aussi de vos contraintes personnelles (maladie…).

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→ La charge vécue est la charge ressentie, le sens que vous donnez à votre travail et les émotions éprouvées.

Le déséquilibre arrive

En quantité et qualité

On parle de surcharge de travail dès l’instant où une personne n’arrive pas à effectuer le travail prescrit, parce qu’elle n’a pas les moyens de l’exécuter, qu’elle n’en perçoit pas l’utilité et qu’elle n’a pas la satisfaction du travail réalisé.

À la recherche d’indicateurs

La surcharge est à évoquer dès l’instant où des dommages sur la santé des individus, sur la santé du collectif et sur la qualité du travail sont constatés.

→ Individuellement. Une collègue rayonnante devient terne (voir Entretien), un collègue placide s’emporte plus vite…

→ Collectivement. S’il commence à y avoir des tensions, des clivages, des coopérations moindres entre collègues, c’est que quelque chose se joue dans le travail.

→ Qualitativement. Est-ce qu’il y a une baisse de la qualité de la prestation ? Un désengagement au travail ? Des réclamations de clients ? Des retours de produits ? Une perte d’efficacité dans le conseil ? Tous ces signes doivent alerter.

Agir en surcharge aiguë

Pénuries, absences, etc., quand la surcharge s’invite brutalement et que l’équipe est en difficulté, l’urgence est de repérer les tâches et les situations qui présentent un risque pour sa santé, de les mettre sur le tapis pour trouver des solutions.

Agir collectivement

→ Se mettre tous autour d’une table recrée de la coopération. Recueillir les points de vue et discuter de ce qui va être essayé permettent de trouver une solution qui conviendra au plus grand nombre.

→ Un dirigeant a besoin de comprendre ce qui se passe. Il a un point de vue, mais lui aussi est dans le jus. Il sait ce qu’il prescrit, ce qu’il attend de son équipe, mais il faut lui expliquer comment ça se passe « en vrai ». Il a besoin de ce retour.

Réagir précocement

→ Ne pas s’isoler. Il faut exprimer ses difficultés, et les mettre en discussion au sein du groupe. C’est à travers le collectif que vous arriverez à déterminer comment réguler la charge de travail de chacun.

→ Se réunir en amont. Proposer à vos collègues de vous voir un quart d’heure : « J’aimerais que nous parlions de la surcharge de travail et de nos ressentis pour savoir si nous pourrions envisager d’en discuter ensemble avec le titulaire ».

Interpeller le titulaire

→ Solliciter un créneau : « Nous en avons discuté avec les collègues. Nous aimerions vous voir pour parler du travail ».

→ Soigner les arguments. « Vous nous donnez un chèque chaque mois pour effectuer cette tâche-là (bien dispenser par exemple). Nous n’arrivons pas à la faire avec les moyens que vous nous donnez. Il faut qu’ensemble nous trouvions une façon d’y parvenir ». Évoquez les conséquences pour la pharmacie : « Les dossiers rejetés s’accumulent, c’est de l’argent qui ne rentre pas », « Nous n’avons plus le temps de conseiller. Nos patients le ressentent et les ventes se font moins bien ». Éviter : « On n’y arrive plus », « on manque de temps »…

→ Être constructif : « Nous vous proposons d’étudier des solutions avec l’équipe… »

→ Si le titulaire évoque une pénurie, dites : « La pénurie de personnel n’est pas une tâche de travail. Elle est peut-être une explication mais nous, nous avons besoin de revenir sur le travail ». Soyez concret : « En attendant que les conditions d’emploi s’améliorent, faisons en sorte de gérer les personnes qui sont au comptoir ».

Solutions, mode d’emploi

Évaluer la charge à l’instant T

Demandez-vous : « Dans toutes les tâches que j’ai, quelle est celle qui me pose le plus de problèmes pour bien faire et bien vivre mon travail ? » Exemples : « Je n’ai plus le temps de discuter avec mes patients », « Quand je prépare la maison de retraite, je suis interrompue pour venir au comptoir et j’ai peur de faire des erreurs »…

Analyser autour d’une table

Chacun expose sa principale difficulté. Le titulaire prescrit le travail, mais il doit entendre comment est fait le travail réel !

→ Le titulaire énonce les priorités, les tâches à maintenir à tout prix (le service client, le traitement des rejets…) et celles que l’on peut faire passer au second plan.

→ Le travail bien fait. Vous n’avez plus le temps de discuter avec madame Martin et avez l’impression de faire du mauvais travail ? C’est l’occasion de se remettre d’accord sur ce qu’est un travail bien fait. Parfois, on attend de nous beaucoup moins que ce que nous croyons…

→ Sortez des ajustements individuels pour revenir à des actions collectives. Quand Léa prépare la maison de retraite, Philippe reste au comptoir.

Suivre

Se réunir une fois par semaine de 10 à 30 minutes permet de suivre l’efficacité des mesures. « Est-ce que je m’en suis mieux sorti ? », « Est-ce que j’ai mieux fait et mieux vécu mon travail ? » Si oui, le dire afin que cette nouvelle façon reste un standard de travail. Puis, passer à une autre tâche à améliorer en priorité.

Soigner les relations

Garder la bonne attitude

L’entraide est indispensable en équipe. Chacun est une ressource pour les autres.

→ Rester courtois : « Peux-tu me passer l’appareil à carte bancaire, s’il te plaît ? », « Merci », « Bonjour »…

→ Se soutenir et se remotiver les uns les autres en cas d’erreur.

Pas de psychologisation

Ne pas psychologiser la charge de travail. « Léa se noie avec deux consignes à la suite car elle a souvent des migraines ». Restez sur l’identité professionnelle. Léa est préparatrice et a des tâches à effectuer. Si elle a des difficultés, elle le dira.

Avec l’aimable participation de Nathalie Gauvrit, de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact), de Philippe Zawieja, et de Joffrey Blondel, directeur financement et gestion chez Astera.

(1) Comprendre la charge de travail, fiche 2, Anact.

entretien

Être attentif aux signes

Philippe Zawieja, psychosociologue, directeur expert au sein du cabinet AlterNego et chercheur en santé et mieux-être au travail.

Quelles sont les conséquences d’une surcharge de travail ?

Elles sont majoritairement liées à des phénomènes de fatigue, puis de stress. Vous allez travailler plus vite, moins bien. L’augmentation de l’intensité et la perception d’une baisse de sa propre efficacité accroissent le stress, et donc le cortisol, qui rend plus agressif. Cela peut rapidement susciter des tensions.

Y a-t-il des signes avant-coureurs ?

Oui, il existe des signes plus ou moins faibles, comme des modifications de comportement – quelqu’un de placide devient plus sanguin et inversement –, d’intensité et de fréquence des altercations. Il y a aussi des signaux d’alerte internes auxquels on doit être attentif : brûlures d’estomac, troubles du transit, réactivation d’eczéma, palpitations, insomnies, migraines. Il faut rapidement le mettre sur la table. Le non-dit est autant délétère que les causes. Le risque est de retourner cette agressivité contre soi, et d’engendrer de la culpabilité.

Tout le monde ne réagit pas de la même façon ?

Les stress ne sont que des perceptions subjectives conditionnées et alimentées par la personnalité, le passé, l’environnement social… Le stress n’est qu’un état de perception entre l’effort que vous êtes en train de fournir et la récompense retirée. Rien n’est objectif là-dedans.

Qu’est-ce que le burn-out ?

Ce syndrome associe un épuisement émotionnel et physique – l’impression de ne plus y arriver et d’en souffrir –, une attitude de mise à distance avec les autres – sorte de cynisme –, avec un mécanisme de défense qui nous fait remplacer l’humain par sa pathologie – « la diabétique » – et une baisse du sentiment d’efficacité personnelle. Le burn-out est une forme de stress néfaste.