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Tout le monde a son poste… sauf l’absente

Publié le 18 février 2023
Par Anne-Charlotte Navarro
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C’est l’histoire d’une salariée qui ne se présente plus à son poste. Et qui saisit la justice au bout de plusieurs mois pour obtenir la rupture de son contrat de travail aux torts de son employeur. A-t-elle eu raison ?

LES FAITS

A compter de septembre 2015, Mme K. ne se présente plus à l’officine H. dont elle est salariée. La pharmacie suspend le versement de son salaire. Par deux courriers en date des mois d’avril et de mai 2017, Mme K. en demande le paiement. Sans succès. Estimant qu’il s’agit d’un manquement suffisamment grave pour empêcher la poursuite de son contrat de travail, elle saisit le conseil de prud’hommes afin de faire reconnaître la rupture du contrat aux torts de son employeur.

LE DÉBAT

Cette procédure, appelée « prise d’acte » (article L.1451-1 du Code du travail), est ouverte quand l’employeur a commis un manquement suffisamment grave pour empêcher la poursuite du contrat de travail. C’est, par exemple, le cas quand le salarié est victime de harcèlement ou que son salaire n’a pas été payé depuis plusieurs mois. Cette procédure laisse une marge de manœuvre aux juges qui apprécient, au regard des preuves soumises, si le ou les manquements de l’employeur justifient la rupture du contrat. Si celle-ci est sans fondement, le salarié est présumé avoir donné sa démission. En l’espèce Mme K. prouve qu’elle n’a pas perçu de salaire depuis le mois de septembre 2015. En réponse, la pharmacie H fournit des témoignages démontrant qu’elle travaillait dans une autre officine depuis le 1er septembre 2015. Dans un premier temps, le conseil de prud’hommes donne raison à Mme K. Un appel est formé. Le 22 octobre 2020, la cour d’appel de Paris infirme le jugement. Les magistrats constatent que les parties ne contestent pas le non-paiement du salaire à compter de septembre 2015. Ils considèrent que les attestations produites par la pharmacie H établissent que « Mme K. n’était plus présente et ne travaillait plus dans l’officine H mais dans l’officine G à compter du 1er septembre 2015 ». Ils retiennent « qu’en l’absence de toute preuve de travail effectif du mois de septembre 2015 au mois d’octobre 2016 au sein des locaux de la pharmacie H, la demande de paiement des salaires de Mme K. n’était pas justifiée ». Le départ de Mme K. doit donc s’analyser comme une démission. La cour d’appel la condamne à verser 3 047,46 € au titre du préavis non exécuté. Un pourvoi en cassation est formé.

LA DÉCISION

Le 8 février 2023, la Cour de cassation rejette l’argumentaire de Mme K. au motif qu’il appartient aux magistrats de cour d’appel d’apprécier les faits. La Cour de cassation ne juge que des erreurs d’interprétation du droit. Cette décision illustre les suites de l’abandon de poste. Quand le salarié ne se présente plus à l’officine, l’employeur peut ne plus lui verser son salaire à condition d’avoir de solides preuves qui démontrent qu’il n’est pour rien dans le départ du salarié. Il peut aussi le licencier pour faute après l’avoir mis en demeure de justifier son absence. La loi du 21 décembre 2022 portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein-emploi permettra de considérer le salarié comme démissionnaire dans la mesure où la procédure de mise en demeure est appliquée. Pour l’heure, cette disposition n’est pas encore en vigueur, dans l’attente d’un décret d’application.

Source : Cass. Soc, 8 février 2023, n° 20-23.288.

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À RETENIR

Le salarié peut quitter l’entreprise et saisir le juge pour lui demander de reconnaître la rupture de son contrat de travail après un ou plusieurs manquements de la part de l’employeur.

Les faits justifiant la rupture sont appréciés souverainement par la cour d’appel en dernier ressort.

En cas d’abandon de poste, la loi dite marché du travail du 21 décembre 2022 permettra de considérer le salarié comme démissionnaire après une mise en demeure.