L’ancienneté peut-elle justifier une différence de salaires entre des salariés ?

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L’ancienneté peut-elle justifier une différence de salaires entre des salariés ?

Publié le 17 septembre 2024
Par Annabelle Alix
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Le critère de l’ancienneté peut justifier une différence de salaires entre des salariés exerçant les mêmes fonctions, mais uniquement en l’absence de prime qui en tiendrait compte également, même très partiellement. Explications.

Les faits

Deux salariées, embauchées en 2007 en qualité d’habilleuses par la société Monval (music-halls Le Lido), saisissent la juridiction prud’hommale en décembre 2017 après la rupture de leur contrat de travail. Elles réclament notamment un rappel de salaire au titre de l’égalité de traitement et une résiliation judiciaire de leur contrat de travail en vertu du principe « à travail égal, salaire égal ». Durant leur exercice au Lido, trois autres employées avaient en effet bénéficié du statut de « première habilleuse » – non reconnu par la convention collective de l’entreprise, ni par les accords collectifs applicables – et perçu un salaire de base supérieur au leur, pour la réalisation de tâches et des responsabilités identiques. Les dénommées « premières habilleuses » avaient plus d’ancienneté dans l’entreprise, mais cela était déjà compensé par l’attribution d’une prime distincte du salaire de base.

Le débat

En vertu du principe « à travail égal, salaire égal », toute différence de salaires opérée entre des employés exerçant les mêmes fonctions doit être justifiée par des critères objectifs, pertinents, matériellement vérifiables et étrangers à toute discrimination.

En matière de discrimination portant notamment sur l’origine, le sexe, les mœurs, l’âge ou la situation de famille, l’article L. 1133-1 du Code du travail dispose que des différences de traitement peuvent exister « lorsqu’elles répondent à une exigence professionnelle essentielle et déterminante », « pour autant que l’objectif soit légitime et l’exigence proportionnée ». La jurisprudence précise, au fil des affaires traitées, les critères qui revêtent ou non ces caractéristiques.

Dans les deux affaires en présence, une différence de salaires est opérée entre des salariées qui exercent les mêmes fonctions mais ne justifient pas de la même ancienneté. Saisie, la cour d’appel affirme que le critère de l’ancienneté est bien de nature à justifier cet écart de traitement, malgré le versement d’une prime distincte du salaire à tous les collaborateurs de l’entreprise, en fonction de leur durée de présence. En étant plafonnée à dix ans d’exercice, cette prime ne tenait compte que « très partiellement de l’ancienneté des salariés », précise la cour d’appel dans ses deux arrêts rendus le 6 avril 2022.

Déboutées de leurs demandes, les plaignantes contestent la décision en formant un pourvoi en cassation.  

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La décision

Dans deux arrêts rendus le 5 juillet 2023, la cour de cassation casse et annule les deux arrêts d’appel. Elle estime que le principe d’égalité de traitement « peut justifier une différence de traitement lorsqu’elle n’est pas prise en compte par une prime d’ancienneté distincte du salaire de base ». Pour elle, le fait que la prime ne tienne pas compte de l’ancienneté dans sa totalité est inopérant, tout comme le fait qu’elle ait été remplacée, en 2017, par « un complément différentiel dont le montant est figé et ne pourra faire l’objet d’aucune augmentation ou revalorisation malgré la progression de l’ancienneté ».

À retenir

Le Code du travail interdit les différences de rémunération fondées sur des critères discriminatoires, comme l’origine, le sexe, les mœurs, l’orientation sexuelle, l’âge, la situation de famille, etc., sauf si ces disparités répondent à une exigence professionnelle essentielle et déterminante dont l’objectif est légitime et l’exigence proportionnée.

L’ancienneté est un critère recevable pour opérer une différence de salaires entre deux salariés, à moins qu’une prime distincte ne compense déjà cette ancienneté, même partiellement.