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Combien gagne un titulaire ?
Les distorsions importantes sur les évolutions de chiffres d’affaires constatées entre les officines se retrouvent assez logiquement au niveau des revenus des titulaires. Là aussi, l’effet « prime à la taille » se ressent. Zoom sur une profession habituée au grand écart.
Fin 2013, la sortie des chiffres annuels de la Fédération des centres de gestion agréés (FCGA) sur les revenus des pharmaciens avait fait grand bruit. Arrivant en tête des très petites entreprises (TPE), les revenus moyens des officinaux présentés culminaient à plus de 100 000 € par an. Dès le lendemain matin, le président de la FCGA recevait des appels des syndicats et de l’Ordre des pharmaciens réclamant des démentis.
Près de 6 ans plus tard, les chiffres rapportés sur la pharmacie par les cabinets comptables CGP, Fiducial et KPMG sont effectivement différents, les revenus annuels au-delà de 113 K€ étant réservés à 7 % des pharmaciens en 2018, selon Fiducial. Avec une rémunération moyenne nette de gérance (hors distribution de dividendes en société) affichée à 46,4 K€ chez CGP, à 56 K€ chez KPMG et à 58 K€ chez Fiducial, les pharmaciens n’ont finalement pas à rougir de leurs revenus en comparaison avec d’autres secteurs économiques. Les écarts observés entre les 3 sources statistiques s’expliquent par les différences d’échantillonnage. « Les pharmaciens exploitant une pharmacie soumise à l’impôt sur le revenu (IR) et qui sont déjà désendettés ont des revenus au-dessus de la moyenne, alors que les nouveaux installés qui ont des emprunts importants à rembourser choisissent aujourd’hui la société d’exercice libéral (SEL) à l’impôt sur les sociétés (IS) », indique Philippe Becker, directeur du département Pharmacie de Fiducial.
Une rémunération parfois indécente
Ces écarts de rémunération entre pharmaciens, liés étroitement au poids de l’endettement et à la taille de l’officine, ne sont pas nouveaux, mais la rupture s’accélère entre les petites et les grandes officines. Ne bénéficiant généralement pas de l’arrivée en ville des médicaments chers, subissant de plein fouet les baisses de prix et peinant à relever les défis des nouvelles missions, « les officines de moins de 1 M€ de chiffre d’affaires (CA) ont perdu 6 500 € d’excédent brut d’exploitation (EBE) entre 2017 et 2018, autant qui échappe au titulaire pour rembourser son emprunt, améliorer son niveau de trésorerie et se rémunérer », constate Joël Lecoeur, président du groupement CGP. Les titulaires de pharmacies de CA inférieur à 1 M€ s’octroient d’ailleurs une rémunération modeste de 20 K€ en moyenne, selon CGP.
Dans son enquête économique de 2018 (sur les résultats de 2017), la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) tirait déjà la sonnette d’alarme : près de 8 % des titulaires d’officines à l’IR travaillent à perte. Pour Gilles Bonnefond, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), « du fait de la baisse des volumes, l’honoraire à la boîte n’a fait qu’accélérer et aggraver les écarts de rémunération entre pharmaciens ». L’objectif des nouveaux honoraires de dispensation, comme celui des nouvelles missions et des nouveaux services, est d’ailleurs d’enrayer les effets de la spirale déflationniste des prix et des volumes de médicaments délivrés.
Investir pour gagner plus
Seulement voilà, les services ont pour l’instant bien du mal à décoller. « La mutation prendra du temps mais les rémunérations des services pharmaceutiques avec les rémunérations sur objectifs de santé publique (ROSP) devraient augmenter à terme avec l’offre de services pharmaceutiques complémentaires », pronostique Joël Vellozzi, responsable national du réseau Professions de santé chez KPMG. « Dans la mesure où, pour avoir une rémunération décente, il faut une pharmacie de plus de 2 M€ de CA, mais aussi du fait de la mutation de la profession, le marché s’oriente vers les plus grandes pharmacies qui ont les moyens de réaliser les nouvelles missions », nuance Philippe Becker. Car celles-ci réclament une nouvelle approche des ressources humaines.
« Dans un contexte de tension salariale, de difficulté de recrutement et de recherche de qualification pour les nouveaux services, les officinaux vont devoir consentir un effort important sur les salaires de leurs équipes, au-delà du conventionnel », reconnaît Joël Vellozzi. Si la rentabilité continue à s’éroder, Joël Lecoeur a un avis encore plus tranché : les petites pharmacies ne pourront pas sauter le pas.
Une rémunération spécifique…
« Depuis le début de mon mandat, je me bats pour sauver la pharmacie de proximité », clame Philippe Besset, président de la FSPF, plaidant auprès d’Agnès Buzyn, ministre de la Santé, pour une ROSP spécifique aux officines qui rendent un service de proximité. « Il faut pour cela faire un diagnostic, définir les pharmacies essentielles à la santé publique et mettre en place cette rémunération qui doit être indépendante de la taille de l’officine », développe-t-il. Il réfléchit à d’autres pistes, telles que les majorations d’actes, d’honoraires, etc.
Afin d’assurer la rémunération du titulaire, Joël Lecoeur suggère de son côté que certaines de ces officines situées dans des déserts médicaux puissent bénéficier d’un forfait journalier. L’idée que les pharmaciens touchent des subventions publiques ne choque pas Philippe Becker. « C’est déjà le cas en Italie. Quant à la perte du statut libéral du pharmacien, n’est-ce pas déjà le cas puisque 75 % de l’activité d’une pharmacie est réglementée ? », s’interroge-t-il un brin provocateur.
Pour Gilles Bonnefond, la mise en place d’un second modèle économique destiné à procurer un niveau de revenu suffisant au pharmacien n’a en revanche pas de sens. « Il faut arrêter avec la sinistrose, les choses vont encore bouger sur la rémunération, la pharmacie tirera profit des nouvelles missions qui vont s’accélérer avec la coordination des soins et la fluidité améliorée des relations entre professionnels de santé », affirme-t-il.
En attendant, pour assurer une progression de leurs revenus, Joël Lecoeur invite les acheteurs à ne pas consacrer la totalité de leur capacité d’autofinancement à l’acquisition de l’officine, mais à en réserver une partie aux investissements nécessaires à la mise en place des nouveaux services.
DU PLUS HAUT AU PLUS BAS
La crise, oui, mais pas pour tous. Selon Fiducial, dans le top 10 des plus hauts revenus, se trouve sur le podium des rémunérations de gérance annuelles comprises entre 238 K€ et 264 K€. En numéro 1 et numéro 3, ce sont des pharmaciens exploitant seuls des pharmacies importantes de centre commercial. Et, en numéro 2, une pharmacie de centre-ville. Les 3 titulaires en question sont assujettis à l’impôt sur le revenu. Dans la suite de ce top sont représentées les autres typologies d’officine. En quatrième position se trouve une officine rurale (216 K€ de revenu pour le titulaire) et, juste derrière, une pharmacie de quartier (186 K€). Un beau pied de nez aux idées reçues ! La moyenne des 10 plus hauts revenus est de 194 K€.
A contrario, le top 10 des revenus les plus bas offre un contraste saisissant. La moyenne ressort à 13,7 K€ par an, avec une fourchette comprise entre 6 K€ et 18 K€. Evidemment, aucune pharmacie de centre commercial ne figure en queue de peloton. Concernant les revenus du capital, « les dividendes distribués dépendent du montant en capital de la société car les associés à l’impôt sur les sociétés (IS) décident la plupart du temps d’une distribution dans la limite de 10 % du capital et des comptes courants qui est la base de calcul pour être exonéré de charges sociales », précise Philippe Becker, directeur du département Pharmacie de Fiducial. La distribution de dividendes peut donc atteindre plusieurs dizaines de milliers d’euros.
À RETENIR
• Selon le cabinet comptable CGP, la rémunération annuelle moyenne des titulaires est de 46,4 K€.
• Fiducial démontre l’élasticité des revenus : de 6 K€ à 264 K€. 47 % des titulaires gagnent entre 35 et 61 K€.
• D’après KPMG, les frais de personnel s’élèvent à 186 K€ en moyenne.
• Forfait journalier, ROSP spécifique pour les officines de proximité sont des compléments de rémunération évoqués.
REPÈRES
LA RÉMUNÉRATION DES PHARMACIENS TITULAIRES EN 2018
Par François Pouzaud
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