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La réforme de l’assiette sociale des indépendants souffle le chaud et le froid

Publié le 21 octobre 2023
Par Yves Rivoal
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Passera, passera pas ? La réforme de l’assiette sociale des professionnels indépendants est en train de tourner au casse-tête. Philippe Berthelot, président de la Caisse d’assurance vieillesse des pharmaciens (CAVP), explique pourquoi.

 

A la demande du gouvernement, pour des considérations probablement budgétaires, l’article 11 du prochain projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), qui avait pour ambition de réformer l’assiette sociale des indépendants et de renforcer leurs droits à la retraite, ne figurait plus dans le projet qui a été présenté en conseil des ministres le 27 septembre dernier, explique Philippe Berthelot, président de la Caisse d’assurance vieillesse des pharmaciens (CAVP). Mais, dès le lendemain, Bruno Le Maire, le ministre de l’Economie, promettait, lors d’une intervention aux rencontres 2023 de l’U2P, l’Union des entreprises de proximité, que l’engagement pris auprès des organisations syndicales pendant la réforme des retraites serait tenu, et que cet article serait bien intégré au PLFSS. Dont acte… »

8 M€ de gain pour les pharmaciens libéraux 

Pour rappel, le gouvernement s’était engagé le 10 janvier dernier, en marge des annonces relatives à la réforme des retraites, à modifier l’assiette sociale des indépendants dans le cadre du PLFSS 2024. « L’objectif était de rétablir une égalité de traitement avec les salariés, rappelle Philippe Berthelot. En effet, les indépendants paient actuellement plus de contribution sociale généralisée (CSG) que les salariés, du fait d’une assiette calculée sur la totalité de leur revenu dit “superbrut”, alors qu’ils acquièrent moins de droits à la retraite sur une assiette correspondant au revenu net. Les organisations syndicales ont donc demandé une baisse de la CSG aux pouvoirs publics qui avaient accepté le principe d’un abattement. Abattement équivalent aux cotisations sociales prises en charge par l’employeur sur ce “superbrut” incluant l’ensemble des revenus imposables, des cotisations sociales et de la CSG déductible. » Les économies réalisées sur la CSG devaient initialement permettre une hausse des cotisations sur les retraites complémentaires afin de générer plus de droits. Or, d’après les calculs de la CAVP, cette réforme ne génèrerait qu’un gain de 8 M€ pour l’ensemble des pharmaciens libéraux à flécher vers leur retraite complémentaire, soit une moyenne de 300 € par pharmacien par an.

Une occasion manquée 

Pour Philippe Bertelot, l’occasion historique de réformer la CSG en vue d’améliorer la retraite des libéraux est donc manquée. « Il apparaît que cette mesure d’abattement sur cette contribution coûtera 1,5 milliard d’euros aux finances publiques, notamment à l’Assurance maladie qui récupère à elle seule 50 % du produit de la CSG, souligne le président de la CAVP. Pour assurer la neutralité financière du dispositif, l’Etat a donc décidé d’augmenter en parallèle les cotisations maladie des indépendants. Si cette réforme est adoptée en l’état, les pharmaciens libéraux gagnant 40 % du plafond annuel de la Sécurité sociale (Pass), soit environ 17 000 € par an, devront s’acquitter de 1,5 % de cotisation maladie alors qu’ils n’en payaient pas auparavant. A partir de 88 000 € de gain par an, soit la médiane des revenus de la profession, l’assiette des cotisations maladie augmentera de 6,5 % à 7,7 % et même jusqu’à 8,5 % pour les pharmaciens déclarant un revenu de 130 000 €, alors que les salariés resteront, eux, à 7,3 %. Cela revient à supprimer une inégalité sur la CSG pour en recréer une autre sur les cotisations maladie qui ne produiront aucun droit supplémentaire. » 

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Selon Philippe Berthelot, cette réforme a donc tout d’un coup d’épée dans l’eau. « Sur l’assiette des cotisations sociales, 75 % des pharmaciens obtiendront un gain net avant impôt de 700 € par an, explique-t-il. En revanche, plus vous vous déplacez vers le haut de la grille des rémunérations, plus la perte sera importante puisqu’elle pourra aller jusqu’à 4 000 € par an. Par ailleurs, pour les seuls confrères favorisés par la réforme, le gain correspondra à moins de 1 % d’amélioration de leur revenu. On ne peut pas donc dire que, sur ce plan-là non plus, la réforme soit très ambitieuse. »

L’objectif initial détourné 

Mais, pour le président de la CAVP, il y a plus grave. « Les pouvoirs publics ont demandé aux caisses de retraite complémentaire d’adapter leurs régimes afin d’atteindre une neutralité financière sur l’ensemble des cotisations et contributions retraite, confie Philippe Berthelot. Nous pourrions donc être amenés à baisser les barèmes des cotisations retraite de nos affiliés afin d’atteindre cet objectif de neutralité. Ma crainte est donc que cette réforme n’aboutisse finalement pour certains pharmaciens qu’à une retraite encore moins élevée, alors qu’elle était censée renforcer leurs droits. Ce qui me fait dire qu’elle manque son objectif initial. » 

Alors que l’U2P et l’Union nationale des professions libérales (Unapl) souhaitent que l’article 11 soit réintégré au PLFSS 2024, le président de la CAVP ne cache pas sa déception à l’égard à cette réforme. « Elle n’apporte quasiment rien aux pharmaciens libéraux, si ce n’est plus d’inconvénients que d’avantages. Ce que nous défendons, c’est une réforme qui mettrait un terme aux inégalités actuelles sur la CSG et qui n’entraînerait ni de hausse des cotisations maladie ni de baisse des retraites. Si l’Etat devait toutefois réintroduire l’article 11 dans sa forme actuelle, nous demanderions à pouvoir participer aux négociations de manière à préserver les intérêts de la retraite complémentaire des pharmaciens libéraux. L’idée étant d’adapter le dispositif, car nous ne pouvons pas accepter que 25 % de nos confrères soient doublement pénalisés en payant davantage de cotisations maladie non productives de droits et en voyant, dans le même temps, le barème de leurs cotisations retraite et donc de leurs futures pensions de retraite baisser », conclut le président de la CAVP.