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Licenciement et montants adjoints

Publié le 4 mai 2024
Par Anne-Charlotte Navarro
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Certains titulaires redeviennent adjoints après la cession de leur officine. Ils ont donc un patron qui peut les licencier. De là à refuser de payer la clause de rupture prévue au contrat…

Les faits

 

Le 31 août 1992, Mme P. est engagée comme pharmacienne adjointe par la société en nom collectif (SNC) D, qui exploite la pharmacie C. En mars 2002, Mme P. a pris des parts dans la SNC D. En janvier 2016, l’entreprise est vendue à M. Z. pour 1 540 400 €. M. Z. change la forme sociale de la structure en société d’exercice libéral a responsabilité limitée (Selarl). Mme P. signe un contrat de travail, à effet du 1er février 2016, pour redevenir adjointe dans l’officine. Il prévoit que « dans le cas où le présent contrat prendrait fin pour quelque cause que ce soit à l’initiative de la Selarl, cette dernière s’engage irrévocablement à verser à Mme P. la somme de 150 000 € (cent cinquante mille euros) à l’occasion du paiement du solde de tout compte, dès lors que la date d’expiration du contrat de travail se situera avant que cette dernière n’ait atteint l’âge légal de départ à la retraite ». Le 15 décembre 2017, Mme P. est placée en arrêt de travail pour maladie. Elle est licenciée pour faute professionnelle le 2 février 2018. Mme P. saisit les prud’hommes pour contester son licenciement et obtenir le paiement de la clause.

Le débat

 

Le Code du travail impose que le licenciement soit justifié par une cause réelle et sérieuse. Celle-ci doit être détaillée avec précisions dans la lettre adressée au collaborateur. En l’espèce, M. Z. reprochait à Mme P. d’avoir laissé l’apprentie délivrer un médicament psychotrope, de ne pas avoir tenu correctement le registre des stupéfiants et d’avoir consenti trop de crédits aux patients. M. Z. refuse de payer les 150 000 € prévus par la clause du contrat de travail de Mme P. au motif que celle-ci, de par son montant, fait échec au droit de résiliation unilatérale du contrat de travail permis par le Code du travail.

 

Les premiers juges considèrent que cette clause doit être qualifiée de clause pénale, c’est-à-dire une stipulation du contrat par laquelle une partie s’engage à payer à son cocontractant une somme prévue de manière forfaitaire en cas d’inexécution de ses obligations. La jurisprudence estime que si le montant de cette clause est excessif, le juge peut le réduire. Les premiers juges concluent à l’application du contrat de travail. Ils condamnent M. Z. à payer cette clause. M. Z. forme un appel. Il détaille que cette disposition particulière fixe un montant forfaitaire, indépendamment de toute prise en compte de l’ancienneté de la salariée. Selon lui, cette clause, qui lui a été imposée par Mme P., a pour seul but de préserver son emploi jusqu’à sa retraite, en interdisant son renvoi.

La décision

 

Le 17 avril 2024, la cour d’appel de Bordeaux (Gironde) confirme la condamnation de M. Z. à payer 150 000 € à Mme P. et retient que les preuves apportées ne justifient pas le licenciement de Mme P. Les magistrats rappellent que les parties au contrat de travail peuvent convenir du versement d’une indemnité au salarié en cas de licenciement plus élevée que les indemnités conventionnelles. Le montant de cette clause ne doit pas, par son caractère excessif, faire échec à la faculté de licenciement de l’employeur. Ils constatent d’ailleurs que, malgré son montant, M. Z. a souhaité se séparer de Mme P., la clause ne faisant donc pas échec à cette décision. Les juges retiennent qu’au regard des pièces fournies « la somme de 150 000 € correspondait à un peu moins de la moitié des bénéfices industriels et commerciaux procurés en 2015 par la pharmacie, qui étaient partagés à parts égales avec le coassocié de Mme P et ne représentait que 10 % du prix de vente de l’officine. » La somme n’est donc pas considérée comme excessive.

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À retenir

Le contrat de travail peut prévoir une indemnité de licenciement supérieure aux dispositions de la loi et de la convention collective.

Son montant ne doit pas être excessif.

Le caractère excessif est apprécié par le juge au regard notamment des performances économiques de l’officine et/ou de son prix de vente.