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Les SEL et leurs interdits

Publié le 17 juillet 2010
Par Francois Pouzaud
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Un arrêt du Conseil d’Etat rappelle que les SEL peuvent être poursuivies et sanctionnées. Toutefois, il annule une décision ordinale d’interdiction temporaire d’exercer à l’encontre d’une SEL car rien n’a été prévu par le Code de la santé publique sur les modalités de remplacement. Mise au point.

Etant inscrite au tableau de l’Ordre, une société d’exercice libéral (SEL) peut faire l’objet de poursuites disciplinaires. Mais, dans cette hypothèse, les associés professionnels sont également poursuivis. « Ces poursuites dirigées contre les SEL et les pharmaciens exploitants peuvent se cumuler ou se confondre », précise Assunta Sapone, avocate à la cour de Paris (cabinet SCP Sapone-Blaesi). Dès lors, quand une personne, qu’elle soit physique ou morale, est sanctionnée d’une interdiction temporaire d’exercice, l’impossibilité pour la SEL de se faire remplacer (en l’absence de dispositions prévues dans le Code de la santé publique) entraîne-t-elle obligatoirement la fermeture temporaire de l’officine ? C’est sur ce cas que s’est penché récemment le Conseil d’Etat.

L’exercice professionnel en porte à faux avec la SEL

Le cas

En raison d’une publicité, en vitrine, considérée comme indigne de la profession, une SEL a été condamnée par le Conseil régional de l’ordre des pharmaciens à une peine d’interdiction d’exercer la pharmacie pendant une durée d’un mois, dont trois semaines étaient assorties d’un sursis. La chambre de discipline du Conseil national de l’ordre des pharmaciens, saisi en appel, a confirmé cette sanction. Faute de dispositions précisant les modalités d’exécution d’une telle sanction, et plus particulièrement la possibilité de remplacement d’une SEL, la pharmacie en cause a été contrainte de fermer une semaine.

La réponse du Conseil d’Etat

L’arrêt du Conseil d’Etat affirme que « si aucune disposition du Code de la santé publique n’aménage la possibilité, pour une société d’exercice libéral de pharmaciens d’officine, de se faire remplacer lorsqu’elle fait l’objet d’une sanction d’interdiction temporaire d’exercer, il ne résulte ni des articles précités ni d’aucune autre disposition que l’interdiction temporaire d’exercer prononcée à l’encontre d’une société d’exercice libéral de pharmaciens d’officine implique la cessation d’activité de la société et la fermeture de l’officine pendant la durée de l’exécution de la sanction et qu’une pharmacie exploitée par une société d’exercice libéral ne puisse, pendant cette durée, être exploitée par un pharmacien habilité à exercer sa profession ».

Ce contentieux met en lumière l’hiatus entre l’exercice professionnel et l’exploitation d’une officine par une SEL. Car la SEL, si elle est propriétaire du fonds, n’exerce pas forcément la pharmacie. Certes, elle réalise des actes de gestion et décide de la politique commerciale et marketing de l’entreprise. Mais l’idée que la SEL puisse être responsable d’actes dispensés au comptoir par son représentant légal est très discutable, selon l’analyse d’Assunta Sapone.

L’analyse juridique

On peut donc s’interroger sur les infractions pouvant justifier des poursuites disciplinaires à l’égard d’une SEL. « Les textes actuellement en vigueur ne distinguent aucune infraction. Il est donc possible d’affirmer qu’une SEL pourrait être poursuivie devant une chambre de discipline pour l’ensemble des infractions au Code de la santé publique, arguë Assunta Sapone. Le bon sens devrait tout de même restreindre le nombre des infractions pouvant être reprochées à une SEL à celles relevant de la responsabilité de la communauté des actionnaires, et non d’un seul d’entre eux. Ainsi, il apparaît cohérent de reprocher à une SEL l’indignité d’une campagne publicitaire ou une activité de grossiste alors qu’une erreur de délivrance ne devrait entraîner de poursuite qu’à l’encontre de l’officinal responsable de cette erreur. »

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Conséquences sur l’interdiction d’exercer en SEL

La question des sanctions se pose donc, particulièrement, à l’aune de la récente décision du Conseil d’Etat. Faute de dispositions particulières, ce sont bien l’ensemble des sanctions prévues pour les personnes physiques qui peuvent être prononcées contre une SEL. Celle-ci peut donc se voir condamnée à :

• un avertissement ;

• un blâme avec inscription au dossier ;

• une interdiction temporaire ou définitive de servir une ou la totalité des fournitures faites à quelque titre que ce soit aux établissements publics ou reconnus d’utilité publique ;

• une interdiction définitive d’exercer la pharmacie.

Lorsque ces mêmes sanctions disciplinaires frappent les associés, celles-ci peuvent être lourdes de conséquences :

• En cas de sanction d’interdiction définitive, l’associé faisant l’objet d’une sanction disciplinaire d’interdiction définitive d’exercer, perd ses droits d’associés.

• En cas de sanction supérieure à un an, l’associé peut être exclu et perd également ses droits d’associés.

• En cas de sanction inférieure ou égale à un an, l’associé peut légalement se faire remplacer pendant un délai maximal d’un an.

Un vide juridique pour les pharmaciens

Le législateur avait prévu que les décrets d’application puissent être pris pour permettre l’adaptation des nouvelles dispositions au cas particulier de telle profession. Ainsi, l’article 29 du décret n° 93-492 règle la situation pour les SEL d’avocats ou des SEL de professions médicales telles que les médecins et les chirurgiens-dentistes. Il permet la désignation d’un ou plusieurs administrateurs provisoires pour accomplir tous actes professionnels relevant des fonctions de la société. « Pour des raisons qui restent obscures, il n’a pas été jugé nécessaire de prendre un tel décret concernant les SEL d’officine de pharmacie, de telle sorte que les pharmaciens sont maintenus dans l’ignorance des conséquences d’une telle sanction », poursuit Assunta Sapone.

D’où une question cruciale : faudra-t-il avoir recours à la désignation d’un administrateur ad hoc sur le fondement des dispositions des Codes de commerce ou des sociétés, alors même qu’un tel administrateur ne saurait valablement exercer la profession de pharmacien ?

« En cas d’interdiction d’exercice, le pharmacien titulaire ne peut être remplacé que par un pharmacien inscrit au tableau de la section D de l’Ordre et qui n’a pas d’autre activité professionnelle pendant la durée du remplacement », indique l’avocate. Le Conseil d’Etat ne faisant pas œuvre de législateur, l’arrêt rendu est muet sur la question du remplacement de la SEL frappée d’une interdiction d’exercice, seul moyen d’éviter la fermeture de l’officine.

« On ne peut que déplorer le manque de clarté pratique de cette décision, conclut Assunta Sapone, laquelle, si elle semble indiquer qu’un remplacement dans les mêmes conditions que pour un pharmacien titulaire puisse intervenir, n’en précise nullement les modalités. »

Reste donc à attendre les prochaines décisions du Conseil de l’Ordre, que la prudence devrait amener à suspendre les procédures en cours dans l’attente d’un texte précisant les modalités de remplacement d’une SEL.

La location-gérance est-elle possible ?

La location-gérance peut s’imposer face à certaines circonstances de vie.

– La maladie : le commerçant frappé d’une longue incapacité peut ainsi louer son outil de travail en attendant son rétablissement.

– Le décès : lorsqu’il hérite d’un fonds de commerce, un mineur est amené soit à le vendre soit à le louer car le statut de commerçant lui est interdit.

Il s’agit d’un contrat par lequel le propriétaire d’un fonds de commerce en concède totalement ou partiellement la location à un gérant, qui l’exploite à ses risques et périls. Mais, en pharmacie (et donc en SEL), la location-gérance est interdite. La seule exception admise est la gérance après décès. Après le décès d’un pharmacien titulaire d’une officine, les ayants droit (conjoint survivant, héritiers légataires) sont autorisés à maintenir cette officine ouverte en la faisant gérer par un pharmacien pendant une durée maximale de deux ans. Ce délai a été fixé de façon à permettre le règlement de la succession, la fermeture brutale de l’officine étant préjudiciable à la fois aux intérêts de la santé publique et à ceux de la famille du titulaire.