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La cause des autres
Titulaire à Gap dans les Hautes-Alpes, Erland Watrin entame son troisième mandat de conseiller prud’homal, à la tête de la section « encadrement ». Une mission pour laquelle il s’impose respect et écoute de l’autre. Tout comme dans son officine.
Erland Watrin a la passion du conseil, du consensus et de l’harmonie dans les relations humaines et sociales. A force de travail, ce fils d’un instituteur lorrain arrivé dans les Hautes-Alpes en 1981 s’est forgé une des plus grosses officines de Gap : 13 salariés et 3,4 millions d’euros de chiffre d’affaires. Pas de quoi donner la grosse tête au titulaire : il sait que sa place se situe derrière le comptoir, encore et toujours. « Mon coeur de métier, c’est la santé. Et mon leitmotiv, dans cette officine, c’est le conseil, y compris lorsqu’on délivre de l’aspirine. Cela paraît iconoclaste, mais je crois que nous obtiendrions de meilleurs résultats financiers si nous ne mobilisions pas autant d’argent pour détenir un stock suffisant de parapharmacie. J’en propose, certes (10 % du CA), sinon les clients ne comprendraient pas. Mais je me refuse à faire des promotions. Pour moi, le conseil importe plus que les prix, même si je reste dans les prix du marché. »
Les seuls moments où le titulaire accepte de quitter l’officine, c’est pour s’occuper de la cause des autres. De ce point de vue, le menu est copieux, voire trop. Ancien président du syndicat des pharmaciens (« parce que discuter évite les conflits »), président de l’association des commerçants du quartier Saint-Roch (« parce qu’on peut s’impliquer dans la vie locale sans faire de politique »), membre suppléant au Conseil de l’Ordre, Erland Watrin est aussi membre de la Chambre syndicale des professions libérales. C’est d’ailleurs par ce biais qu’il est arrivé aux prud’hommes. L’Union pour l’entreprise des Hautes-Alpes (UPE 05) cherchait des candidats pour ses listes. Le pharmacien pensait qu’il était judicieux qu’il y ait des représentants des professions libérables au sein de ce tribunal paritaire composé de juges non professionnels élus. Il se présente donc aux suffrages pour la première fois en 1997, à la section « encadrement ».
Aux prud’hommes, une impartialité à toute épreuve
Depuis, Erland Watrin est systématiquement réélu. D’abord simple assesseur, son sérieux et son impartialité en feront vite une des personnalités marquantes du conseil de prud’hommes. Juge référiste (celui qui tranche les demandes en référé, lorsqu’une décision urgente doit être prise), président de section ou vice-président, selon la règle de l’alternance annuelle employeur/salarié, il est aussi la bête noire des avocats, qui savent qu’avec lui il n’y a pas deux poids, deux mesures. Le pharmacien insiste : « Les litiges entre employeurs et cadres sont assez simples. Ils peuvent être résolus en s’appuyant sur des éléments accessibles comme le Code du travail, le Code de procédure civile, la convention collective et le contrat de travail. Nos jugements doivent être étayés par le droit, sinon ils sont cassés en cour d’appel. La justice prud’homale, ce n’est pas le Loto. Il s’agit d’une justice impartiale. Il n’y a pas d’un côté les affreux patrons et, de l’autre, les gentils salariés. » Erland Watrin insiste : « Dans les permanences que nous organisons à l’UPE 05 sur le droit social [NdlR : une autre de ses attributions bénévoles], nous disons aux patrons qu’ils ne doivent pas hésiter à aller aux prud’hommes pour faire défendre leurs droits, en cas de vol par exemple ou de concurrence déloyale. Le conseil de prud’hommes n’est pas réservé aux salariés. On ne peut pas le saisir pour tout et n’importe quoi. Dernièrement, nous avons condamné un justiciable à verser 30 000 euros à son employeur pour procédure abusive… »
Malgré des propos fermes, Erland Watrin se montre adepte de la méthode douce. « On a oublié que le conseil de prud’hommes, c’était d’abord la conciliation. Aller devant le bureau de jugement, c’est un échec. Or, on constate que de plus en plus d’affaires partent en jugement. Sauf quand le dossier n’est pas bon. Dans ce cas, les justiciables, salariés ou chefs d’entreprise, préfèrent la conciliation parce qu’ils savent qu’ils toucheront tout de suite une indemnité non soumise à fiscalisation et qu’il vaut mieux très souvent une mauvaise conciliation qu’un bon jugement. En outre, la conciliation totale met fin à la procédure. »
« Un seul de mes jugements a été cassé en cour d’appel »
Sur le secret des délibérés entre les quatre conseillers, deux représentants des salariés et deux représentants des employeurs, Erland Watrin tranche : « Nous ne marchandons jamais. Il est vrai que nous représentons chacun une des parties, mais dès qu’un employeur ou un salarié endosse l’habit de juge (en fait, une simple médaille autour du cou), il se transforme en quelqu’un d’impartial qui rend la justice avec conscience et équité. Sinon, cela ne fonctionnerait pas. Si chacun campait sur les positions de son propre camp, il serait impossible de rendre un jugement. Concernant les affaires pour lesquelles j’étais président de séance, nous n’avons fait appel qu’une seule fois à un juge (professionnel) départiteur chargé de nous mettre d’accord. Un seul de mes jugements a été cassé en cour d’appel. » Il en fait encore des cauchemars !
Autre point d’honneur du président Watrin, qui, au fil du temps, est passé de la lecture du Code de la santé (il a siégé au tribunal des conflits de la CPAM 05) à celle du Code du travail : la manière dont il préside le bureau des jugements. « Le conseil de prud’hommes, c’est l’oralité. Les deux parties sont présentes. Elles donnent leurs arguments. On doit alors les écouter avec respect, leur poser des questions afin de pouvoir se faire une opinion et émettre un jugement. »
A l’officine, un PEE et des salaires au-dessus de la grille
Cette aptitude à écouter, à prendre au sérieux et à établir un diagnostic lui vient-elle de son métier ? Ou bien est-ce parce qu’il est naturellement rigoureux et pondéré qu’il a choisi de devenir pharmacien puis juge ? Erland Watrin ne le sait pas lui-même. Il sait seulement que sa propension à militer pour la cause des autres remonte à son enfance. Issu d’une fratrie de 8 enfants, il a appris « à devenir solidaire ». Et le résultat s’en ressent dans l’exercice de son métier.
Avec une quinzaine de confrères, il vient de créer PharmAlp 05, une coopérative – qu’il préside aussi ! – chargée de faire des achats groupés et d’obtenir des remises. Objectif : en faire bénéficier les clients en pratiquant des prix honnêtes et… mieux rémunérer ses 4 assistantes, ses 7 préparateurs et la secrétaire. Mais cette politique salariale n’est pas nouvelle. Feuilles de paie sur la table, le titulaire prouve que tous ses salariés sont largement payés. A ces avantages, s’ajoute un plan d’épargne entreprise (PEE) dans lequel l’entreprise verse 3 euros pour chaque euro apporté par le salarié.
« Chaque entreprise devrait faire de même avec ses salariés si sa situation le permet, commente Erland Watrin. Pour que chacun puisse travailler dans de bonnes conditions, il faut qu’il reçoive une juste rémunération de son travail. Quand les salariés travaillent dans une bonne ambiance, cela se ressent sur la qualité de leur travail. Ils sont plus impliqués, plus motivés, moins absents. Il y a moins de conflits de travail. » Parole de conseiller prud’homal.
Envie d’essayer ?
Les avantages
– Sortir de l’officine et découvrir le fonctionnement d’autres entreprises.
– Défendre le monde et les valeurs de l’entreprise.
– Pouvoir conseiller d’autres chefs d’entreprise.
– Faire appliquer le droit de manière équitable.
– Améliorer les relations avec ses propres salariés.
Les inconvénients
– La mauvaise foi de certaines partenaires sociaux.
– Le temps nécessaire.
Les conseils
– Connaissez le Code du travail et le Code de procédure civile autant que possible.
– Privilégiez la conciliation mais soyez impartial.
– Avant tout conflit avec un salarié ou devant toute hypothèse de conflit, faites-vous conseiller.
– Pour siéger au conseil de prud’hommes, il faut posséder une officine suffisamment importante afin de pouvoir se faire remplacer pendant les séances.
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