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Juge au tribunal de commerce

Publié le 5 juin 2010
Par Dominique Fonsèque-Nathan
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De plus en plus de pharmacies sont en difficulté financière. Pascal Nougarède, titulaire, est bien placé pour le savoir. Il a été élu juge au tribunal de commerce en 2004 puis juge-commissaire quatre ans plus tard. Depuis, il gère les procédures collectives et se bat pour que les entreprises en difficulté n’attendent pas la cessation de paiement pour utiliser la procédure de sauvegarde et se mettre sous la protection du tribunal de commerce.

Je n’ai jamais pu me résoudre à m’enfermer dans une seule fonction. Déjà, quand j’étais étudiant, j’étais président de la corpo de pharmacie », explique Pascal Nougarède, 52 ans, diplômé en 1986 et titulaire à Cimiez, sur les hauteurs de Nice, depuis 1992. Et c’est à cause de cette insatiable curiosité que, en 2003, il s’associe avec Paul Alliel pour se libérer du temps afin d’« élargir [son] horizon ».

Cela tombait bien car le syndicat des pharmaciens des Alpes-Maritimes cherchait des volontaires pour travailler au tribunal de commerce de Nice. Intéressé, Pascal Nougarède assiste alors à une séance de sensibilisation avant de faire acte de candidature auprès de l’Union pour l’entreprise des Alpes-Maritimes. Elu en octobre 2004, il prête serment quelques semaines plus tard et est installé en janvier 2005 lors de la rentrée solennelle annuelle du tribunal consulaire. Pascal Nougarède peut alors endosser sa robe noire et siéger aux côtés du président de la chambre et d’un ou deux assesseurs.

Vingt heures pour rédiger son premier jugement

Le jeune juge va faire son apprentissage pendant deux ans auprès de ses collègues et suivre les formations très pointues dispensées à Aix-en-Provence ou Marseille par l’Ecole nationale de la magistrature. Le pharmacien ne renâcle pas à la difficulté. Il lui faut suivre neuf modules de deux journées chacun et apprendre des milliers de pages de polycopiés par cœur. « Cette formation était un vrai challenge. Elle me prouvait qu’à l’âge de 46 ans on est encore capable de changer d’activité, d’aborder de nouveaux domaines et de montrer qu’on peut être utile. Cela me rappelait mon année à l’Institut d’administration des entreprises de Bordeaux », évoque Pascal Nougarède.

Peu à peu, il va apprendre à décrypter le jargon des avocats lors des audiences, à délibérer collégialement dans le secret et à rédiger des jugements respectant les règles du Code de procédure pénale, du Code de commerce et du Code civil : récapitulation des faits, de la procédure, des arguments des parties, attendus et conclusion. « Je me souviens du premier jugement que le président m’a demandé de rédiger, se souvient Pascal Nougarède. Il s’agissait d’un litige entre une entreprise et le gestionnaire d’un hélicoptère. Je ne connaissais rien au Code de l’aviation civile. J’ai passé 20 heures pour rédiger l’ensemble des pièces. J’avais peur de mal faire mais, au final, je m’en suis bien sorti. Cette affaire était très éloignée de ma pratique officinale. J’aurais pu renoncer mais ce n’est pas mon genre. Quand on s’engage, il faut aller jusqu’au bout. Il faut savoir se dépasser, même en plus de quarante-cinq ans. D’ailleurs, au fil du temps, on devient de plus en plus compétent. »

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Des juges issus du monde de l’entreprise

Et, compétent, Pascal Nougarède va vite le devenir à force de rédiger des conclusions, recevoir de mandataires, des chefs d’entreprise ou des administrateurs judiciaires. « Etre juge consulaire c’est défendre certaines valeurs de l’entreprise, insiste-t-il. A la différence des magistrats professionnels, les juges consulaires sont élus. Ils sont issus du monde de l’entreprise, ce qui leur donne compétence et valeur ajoutée. Qui mieux qu’eux peut comprendre le fonctionnement d’une entreprise, les litiges entre les entreprises, les différents actes de commerce, apprécier une situation économique et financière, préconiser des solutions crédibles quand il y a des difficultés ? Nous sommes aussi des magistrats pour lesquels le droit prime sur tout et qui mettent de l’équité quand ils définissent les dommages et intérêts. »

Passionné par sa fonction, Pascal Nougarède restera quatre ans juge assesseur de la chambre du contentieux général, celle où se jugent les litiges entre les commerçants (impayés, concurrence déloyale, etc.), dont les plus importants peuvent atteindre plusieurs millions d’euros. Réélu en 2006, il prend du galon et siège à la chambre du conseil, celle qui intervient dans les affaires de procédures collectives (sauvegarde, redressement judiciaire et liquidation judiciaire). Pascal Nougarède est enfin nommé juge-commissaire par le président du tribunal de commerce. Désormais, il a pour charge de recevoir les chefs d’entreprise et leurs conseils, étudier avec eux les plans de continuation, de cession, contrôler le travail des mandataires liquidateurs ou encore des administrateurs judiciaires.

Dix officines du département sont en redressement judiciaire

Après ses classes au « contentieux », Pascal Nougarède se retrouve au cœur du métier de juge consulaire. Son objectif : s’assurer que l’entreprise dont le passif dépasse l’actif est en mesure d’apurer ses dettes, repartir sur de nouvelles bases solides, sans léser ses créanciers et créer un effet domino. Un travail délicat où son expérience est irremplaçable et où « l’indépendance des juges est garantie par la collégialité et permet de limiter les risques de dérives  ». Ce devoir d’impartialité et de neutralité tient le titulaire à l’écart des affaires concernant les officines, dont une dizaine sont actuellement en redressement judiciaire. « Il s’agit d’une situation inédite provoquée par une dégradation de l’économie de l’officine, la baisse des marges, la diminution des CA, la réduction des délais de paiement à 60 jours, mais aussi à cause d’un certain laxisme des banques qui acceptent de prêter pour l’achat de fonds surévalués », explique Pascal Nougarède.

A ses collègues, comme aux autres entreprises, il lance un message : ne pas attendre d’avoir des difficultés financières pour faire appel au tribunal de commerce : « Il faut savoir anticiper. Depuis 2009, la procédure de sauvegarde, déclenchée à l’initiative du chef d’entreprise, est destinée à faciliter la réorganisation de l’entreprise et permettre la poursuite de son activité, le maintien de l’emploi et l’apurement du passif. Celui-ci peut d’ailleurs être bloqué pendant un an et son remboursement peut courir sur dix ans. Dans cette procédure, peu utilisée, le tribunal de commerce ne sanctionne pas mais, au contraire, protège l’entreprise, ses salariés, les clients et les fournisseurs. »

Un conseil que le titulaire devrait ne jamais avoir à suivre. Le transfert de son officine en avril 2010 sur un local de 350 m2, la création (en cours) d’un espace de santé où coexistent délivrance des médicaments, parapharmacie, médicaments conseil, orthopédie, matériel médical, cosmétologie, etc., et la participation, depuis 3 ans, à un groupement de 10 pharmaciens – qu’il préside – devraient le mettre à l’abri des difficultés que connaissent certains de ses pairs.

Envie d’essayer ?

LES AVANTAGES

• Elargir sa vision de l’entreprise et de la vie économique.

• Epanouissement personnel.

• Se servir de son expérience personnelle pour aider les autres chefs d’entreprise.

• Se confronter à d’autres secteurs d’activités.

• Elargir son réseau de relations.

• Faire la preuve qu’on peut aborder d’autres sujets.

• Se former au droit.

• Pouvoir être à l’initiative d’une jurisprudence.

LES DIFFICULTÉS

• La fonction de juge prend du temps (en moyenne un jour et demi par semaine).

• La difficulté intellectuelle que représente la rédaction d’un jugement.

• L’angoisse de faire une erreur.

LES CONSEILS

• Il faut avoir la volonté de donner un peu de son temps aux autres.

• On n’est pas juge au tribunal de commerce pour ajouter une ligne sur sa carte de visite mais par conviction.

• Pour être juge, il faut s’organiser de manière à pouvoir s’absenter de l’officine.

• En tout point, il faut respecter une éthique très rigoureuse, la même que celle du pharmacien qui conseille et à qui on fait naturellement confiance.

• Pour être un bon juge, plusieurs mandats sont nécessaires car l’apprentissage est long.