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Evaluer une perte ne peut faire l’économie de preuves

Publié le 8 octobre 2022
Par Anne-Charlotte Navarro
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Un licenciement pour motif économique alors que la baisse des commandes ou du chiffre d’affaires n’est pas significative, cela semble impossible. Sauf si les difficultés de l’entreprise s’apprécient au sens large par les juges.

LES FAITS

Le 14 décembre 2006, M. L. est engagé en qualité de chargé d’études par la société SE, une entreprise de plus de 50 salariés mais de moins de 300. Après avoir été convoqué par courrier daté du 16 février 2017 à un entretien préalable à un éventuel licenciement, le salarié adhère le 7 mars 2017 au contrat de sécurisation professionnelle* qui lui est alors proposé, de sorte que la rupture de son contrat de travail intervient le 20 mars suivant. Il conteste la validité de son licenciement en saisissant les prud’hommes.

LE DÉBAT

L’article L.1233-3 du Code du travail précise que « l’employeur qui licencie un salarié en raison des difficultés économiques doit avoir subi soit une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, des pertes d’exploitation, une dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation ou, plus généralement, tout autre élément de nature à justifier de difficultés économiques ». L’un de ces indicateurs invoqué par l’employeur doit avoir connu une évolution significative. La loi ajoute que pour être significative, l’évolution négative doit se poursuivre sur plusieurs trimestres. Ce délai dépend du nombre de salarié dans l’entreprise. En l’espèce, la société SE (50 à 300 salariés) doit alors justifier de trois trimestres consécutifs de baisse des commandes ou du chiffre d’affaires par rapport à la même période de l’année précédente. Cependant, selon M. L., les bilans des années 2013, 2014, 2015 et 2016 n’apportent pas la preuve de cette situation pouvant justifier son licenciement. La cour d’appel de Colmar (Haut-Rhin), le 19 mai 2022, lui donne raison. Les magistrats considèrent que les éléments produits se contentent d’évoquer les résultats prévisionnels de l’entreprise, ce qui n’est pas suffisant. La rupture du contrat est qualifiée de « sans cause réelle et sérieuse ». L’entreprise SE forme un pourvoi en cassation.

LA DÉCISION

Le 21 septembre 2022, la Cour de cassation casse et annule la décision de la cour d’appel. Les magistrats estiment que « si la réalité de l’indicateur économique relatif à la baisse du chiffre d’affaires ou des commandes au cours de la période de référence précédant le licenciement n’est pas établie, il appartient au juge, au vu de l’ensemble des éléments du dossier de rechercher si les difficultés économiques sont caractérisées par l’évolution significative d’au moins un des autres indicateurs listés » par l’article L.1233-3 du Code du travail. En d’autres termes, si l’employeur ne démontre pas que ses commandes ou son chiffre d’affaires connaissent une baisse significative, le juge peut caractériser les difficultés économiques, seul, au regard des preuves apportées. Peu importe l’indicateur « choisi » par l’employeur dans la lettre de licenciement, lequel évoquait des capitaux propres pour l’entreprise inférieurs à la moitié du capital social et un endettement s’élevant à 7,5 millions d’euros à fin décembre 2016. L’affaire devra être rejugée par une autre cour d’appel pour apprécier si ces éléments constituent des difficultés économiques.

Source : Cass. soc., 21 septembre 2022, n° 20-18.511.

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* Le contrat de sécurisation professionnelle (CSP) est destiné au salarié licencié pour motif économique. Ce dispositif que l’employeur est tenu de proposer a pour objectif de favoriser une reconversion du salarié. Des mesures d’accompagnement et une indemnité spécifique sont prévues. Le salarié licencié peut le refuser.

À RETENIR

Le licenciement économique d’un salarié doit être justifié par l’évolution négative de l’un ou plusieurs des indicateurs suivants : une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, des pertes d’exploitation, une dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation.

En cas de litige, l’employeur doit apporter au juge la preuve de cette dégradation.

Il revient au juge d’apprécier de façon globale les difficultés économiques de l’entreprise et non seulement la variation du ou des critères invoqués par l’employeur.