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Les obligations en pharmacie
S’il est un mécanisme juridique qui connaît un succès grandissant dans le monde officinal, c’est certainement celui des obligations. Le mécanisme juridique est à vrai dire très ancien, et sa transposition au monde officinal n’est pas non plus récente, puisque des obligations étaient émises par des officines il y a déjà près de dix ans. Rien de totalement novateur, donc, mais un développement important au cours des dernières années qui conduit finalement à mettre en œuvre ce mécanisme juridique dans des dossiers somme toute ordinaires. Décryptage avec Thomas Crochet, avocat aux barreaux de Paris et de Toulouse, de la société Officiis.
Qu’est-ce qu’une obligation ?
Il s’agit d’une forme de prêt consenti par une personne à une société, avec une première différence majeure avec un prêt bancaire : la personne qui prête n’est pas obligatoirement (et n’est généralement pas) une banque. Il s’agit donc d’une exception au monopole bancaire. Ce prêt est divisé en titres, que l’on appelle des obligations, lesquelles constituent des fractions du prêt obligataire. A la différence des actions – autre catégorie de titres bien connue – les obligations ne donnent pas droit à des dividendes et à une fraction de l’actif de la société, mais ouvrent droit, comme un prêt classique, à la perception d’intérêts et au remboursement de la somme prêtée lorsque le terme convenu est atteint.
« En pratique, les caractéristiques des obligations sont très variables, et leur complexité peut être grande, signale Thomas Crochet. Les obligations constituent donc un outil juridique bien plus complexe et protéiforme que les actions qui, dans le monde de l’officine, confèrent généralement des droits semblables et au fond relativement standardisés. »
L’existence d’obligations dans une entreprise officinale, par nature, ne doit donc pas inquiéter, puisque ce sont avant tout les caractéristiques des obligations qui vont déterminer les conséquences qu’elles vont emporter. Ce que l’on appelle la « documentation juridique » est donc, en la matière, primordiale.
Les caractéristiques d’une obligation
Son montant
La première d’entre elles est son montant. Multiplié par le nombre d’obligations, il permet de connaître le montant de l’emprunt obligataire.
Sa durée
La deuxième caractéristique est la durée de l’obligation. A ce stade, les choses peuvent se corser un peu. La durée de l’obligation peut, en effet, être courte (moins de 5 ans), ou bien au contraire importante, supérieure par exemple à l’emprunt bancaire souscrit pour financer l’opération (plus de 12 ans). Des obligations d’une durée importante sont plus rassurantes. En effet, si la durée des obligations est nettement inférieure à celle du prêt bancaire qu’elle complète, le remboursement de l’emprunt obligataire impliquera, généralement, la souscription d’un nouvel emprunt bancaire destiné à refinancer le solde de l’emprunt bancaire initial et l’emprunt obligataire augmenté de ses accessoires. La viabilité économique de l’opération repose donc sur la faculté, au terme des obligations, d’obtenir ce refinancement, qui ne peut être garantie, notamment si la situation de l’officine se dégrade ou qu’entretemps les conditions de financement se durcissent.
Son mode de remboursement
Au-delà de la durée, se pose la question du mode de remboursement des obligations. Souvent, elles sont remboursables en une seule échéance à l’arrivée du terme, mais il arrive parfois que les obligations soient amortissables sur une certaine durée, à l’image d’un emprunt bancaire. La nécessité de recourir à un financement externe pour rembourser les obligations dépend donc aussi des modalités de remboursement.
Son taux d’intérêt
La quatrième caractéristique a trait aux intérêts générés par les obligations. De manière générale, le taux d’intérêt est fixe et bien plus important que les taux d’intérêt pratiqués par les banques, ce qui est logique. L’obligataire prend, en effet, un risque bien plus grand que la banque, qui sera remboursée en priorité (avec habituellement des garanties solides), et de manière échelonnée, alors que l’obligataire est généralement remboursé seulement au terme des obligations. Des taux d’intérêts de 6 à 8 % par an sont usuels. Les modalités de paiement des intérêts peuvent varier également : soit ils sont payables durant la « vie » des obligations, par exemple tous les trimestres, soit ils sont capitalisés, c’est-à-dire qu’ils s’ajoutent au montant du prêt obligataire et produisent eux-mêmes des intérêts, jusqu’au remboursement total. Naturellement, il est possible de panacher entre des intérêts pour partie payables régulièrement et pour partie capitalisés, le cas échéant en fonction de la situation financière de la société ayant émis les obligations. Dans une variante plus favorable à l’obligataire, les intérêts peuvent être qualifiés de participatifs ; le taux varie alors en fonction des performances de la société ayant émis les obligations. Si les performances attendues sont au rendez-vous, les intérêts générés par les obligations peuvent être très importants, et rendre par conséquent le remboursement de la dette obligataire compliqué, ou à tout le moins coûteux.
Sa convertibilité
La cinquième caractéristique de certaines obligations a trait à leur convertibilité. Si les obligations – dites simples – ne sont pas convertibles et doivent donc obligatoirement être remboursées à leur terme, il existe également des obligations convertibles en actions (OCA), qui peuvent être converties en capital, permettant à l’obligataire de devenir associé, s’il le souhaite, et le peut juridiquement, ce qui suppose qu’il ait la qualité de pharmacien d’officine. La clause relative à la convertibilité doit préciser si les obligations sont convertibles à tout moment ou bien, au contraire, à certaines échéances ou sous certaines conditions. La parité de conversion, c’est-à-dire la quote-part du capital qui sera obtenue par conversion, est également un élément clé des obligations.
Outre les intérêts, une prime de non-conversion peut rémunérer les obligations. Comme son nom l’indique, la prime de non-conversion est due par la société qui a émis les obligations si celles-ci ne sont pas converties et sont donc remboursées à leur échéance, ce qui est fréquemment le cas, la plupart des porteurs d’obligations ne pouvant pas les convertir faute de pouvoir juridiquement avoir la qualité d’associés. La prime de non-conversion peut être d’un montant forfaitaire, ou bien résulter d’une formule de calcul, généralement complexe, permettant en pratique à l’obligataire d’appréhender une quote-part de la valeur créée, comme s’il avait eu la qualité d’associé.
L’existence d’une prime de non-conversion et son mode de calcul est un bon moyen de distinguer les deux grands types d’obligataires qui interviennent sur le marché : ceux qui agissent comme des prêteurs, qui attendent une rémunération généralement conséquente mais fondamentalement décorrélée de la création de valeur, et ceux qui agissent comme des associés investisseurs, qui utilisent ce mécanisme juridique pour prendre part à la création de valeur comme s’ils étaient au capital, sans en avoir juridiquement la possibilité, soit parce qu’ils ne sont pas pharmaciens, soit parce qu’ils détiennent trop de participations.
Zoom sur…Les obligations de la CAVP
La CAVP (Caisse d’assurance vieillesse des pharmaciens) a décidé, il y a quelques années, de concourir au financement des acquisitions d’officines, sous la forme de prêts obligataires souscrits par le fonds InterPharmaciens. Il s’agit ici d’obligations simples, d’une durée de 15 ans, qui sont remboursables par tiers à partir de 12 années (les 12 premières années, seuls les intérêts sont donc réglés). Le taux d’intérêt n’est que de 2 % par an, ce qui extrêmement concurrentiel sur le marché des financements obligataires de PME. La somme prêtée peut représenter jusqu’à trois fois l’apport du pharmacien.
« Cette forme de financement connaît un succès certain, et justifié, tant l’offre est sans concurrence sur le marché », observe Thomas Crochet. Mais il mentionne quelques limites : « Encore faut-il que l’opération soit éligible ; les conditions d’accès sont en effet restrictives, puisque la présence d’un pharmacien non exerçant au capital est proscrite, que seuls les pharmaciens primo-accédants peuvent solliciter ce financement et que l’adhésion à certaines enseignes est proscrite. »
MATTHIEU BELIARD, CABINET POD« Le fonds CAVP est au-dessus du lot »
« Les solutions en fonds propres à disposition des repreneurs sont nombreux. Parmi les offres de prêt et d’aide sous la forme d’un complément d’apport personnel, le fonds de la CAVP, qui intervient sous forme d’obligations non convertibles, quasi fonds propres subordonnés au prêt bancaire, est un cran au-dessus des autres. Même si nous sommes très satisfaits des boosters d’apport pour certains dossiers – ces crédits bancaires complémentaires sur 5, 7 ou 9 ans, garantis par les grossistes ou les groupements -, le fonds CAVP est un véritable prêt in fine avec une franchise en capital comprise entre 10 et 14 ans, dont le remboursement intervient une fois la dette de la banque éteinte. La pression financière est donc limitée.
Sur 2019-2020, POD a concrétisé 3 projets d’installation avec le fonds CAVP. Les critères d’éligibilité à ce fonds sont connus (réservé aux primo-installants indépendants, seuil de chiffre d’affaires, rentabilité de l’officine laissant 25 000 euros de dividendes disponibles par an après rémunération de gérance…). Dès lors qu’ils sont remplis, la décision de financement, sauf exception, est accordée.
Pour deux de ces trois dossiers, l’apport personnel du primo-installant a été multiplié par trois, et pour un autre dossier où l’acquéreur ne disposait que de 5 % d’apport, le fait que la société gérant ce fonds (Esfin Gestion) ait donné un accord de financement a rassuré le banquier qui a, en fin de compte, prêté la totalité des besoins de financement de l’acquéreur. Avant de présenter un dossier à la banque, il faut toujours avoir au moins deux avis favorables : celui de l’expert-comptable et du cabinet de transaction. Si, en plus, un troisième avis – celui du comité stratégique d’Esfin Gestion – converge dans le même sens, c’est gagné ! »
La conclusion de Thomas Crochet
« Tout pharmacien envisageant d’acquérir une officine en ayant recours à un financement obligataire doit donc prendre connaissance avec attention du contrat d’émission des obligations, car si les statuts et les pactes sont généralement assez prévisibles et homogènes, tel n’est assurément pas le cas des obligations. Il est notamment essentiel pour le pharmacien de calculer sur la durée l’évolution du montant de la créance de l’obligataire (dette obligataire initiale augmentée des intérêts capitalisés et de l’éventuelle prime de non-conversion), et de comparer cette valeur à celle de l’officine et au solde de l’endettement bancaire, et ce afin d’avoir une vision claire de la valeur du capital qu’il détient dans l’officine. Celle-ci peut représenter la totalité dudit capital, mais dont la valeur peut parfaitement être amenuisée, voire réduite à néant, par le jeu des obligations. »
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