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« Je vous déclare unis par la plus-value »

Publié le 3 février 2024
Par Anne-Charlotte Navarro
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Une titulaire décide de se marier et opte pour le régime hybride de la participation aux acquêts. Tandis que la pharmacie prospère, les époux se désespèrent. Lors du divorce, son époux, M. K., non-pharmacien, demande une partie de la valeur de l’officine. Un cadeau de rupture disproportionné ?

LES FAITS

 

Mme D. exploitait une pharmacie modeste avant de se marier avec M. K. Les époux ont opté pour le régime matrimonial de la participation aux acquêts. Travailleuse acharnée, Mme D. fait prospérer son officine, délaissant sa vie de couple. Plusieurs années après, les époux prennent la décision de divorcer. M. K. s’empresse de revendiquer une part de la valeur de la pharmacie.

LE DéBAT

 

L’article 1569 du Code civil dispose que « quand les époux ont déclaré se marier sous le régime de la participation aux acquêts, chacun d’eux conserve l’administration, la jouissance et la libre disposition de ses biens personnels […]. Pendant la durée du mariage, ce régime fonctionne comme si les époux étaient mariés sous le régime de la séparation de biens. A la dissolution du régime, chacun des époux a le droit de participer pour moitié en valeur aux acquêts nets constatés dans le patrimoine de l’autre, et mesurés par la double estimation du patrimoine originaire et du patrimoine final […] ». En pratique, pendant la durée du mariage, chacun des époux est propriétaire et administre ses biens sans avoir besoin de l’aval de l’autre, que ceux-ci aient été acquis avant ou pendant le mariage. Il décide seul s’il veut mettre tout ou partie des revenus du bien à la disposition de son époux. Il n’y a pas de communauté entre eux. Mais la particularité de ce régime réside dans ses modalités de dissolution. Lorsque celle-ci intervient, un calcul est effectué pour déterminer l’enrichissement réalisé par chacun des conjoints. Une comparaison entre le patrimoine originaire et final de chaque époux a lieu. En cas de perte de patrimoine, l’époux concerné supporte seul cette perte. En cas d’accroissement de valeur, le conjoint de l’époux dont le patrimoine a prospéré peut prétendre à la moitié de la valeur de l’enrichissement. Le contrat de mariage peut prévoir d’autres modalités de partage de l’accroissement de valeur. En l’espèce, M. K. réclame le versement de la moitié de la plus-value de la pharmacie. Mme D. s’oppose à cette revendication, car elle estime que la hausse de la valeur de sa pharmacie n’est pas dû à des investissements financiers, mais uniquement à son travail personnel. La cour d’appel de Grenoble (Isère) rejette, le 17 novembre 2020, l’argumentaire de M. K. et décide, dans le silence des textes, d’appliquer la règle prévue pour la liquidation de la communauté réduite aux acquêts. Celle-ci prévoit que « les plus-values des biens propres résultant de l’industrie personnelle de l’époux propriétaire ne donnent pas lieu à récompense au profit de la communauté ». M. K. forme un pourvoi en cassation.

LA DÉCISION

 

Le 13 décembre 2023, la Cour de cassation casse et annule la décision de la cour d’appel. Les hauts magistrats considèrent que cette dernière a mal interprété le droit en appliquant abusivement les règles de la communauté réduite aux acquêts au régime de la participation aux acquêts. Ils retiennent que « lorsque l’état d’un bien a été amélioré, fût-ce par l’industrie personnelle d’un époux, il doit être estimé, dans le patrimoine originaire, dans son état initial et, dans le patrimoine final, selon son état à la date de dissolution du régime, en tenant compte des améliorations apportées, la plus-value ainsi mesurée venant accroître les acquêts nets de l’époux propriétaire ». Ainsi, le travail de madame permet à monsieur d’obtenir la moitié de la plus-value constatée entre la valeur de la pharmacie au jour du mariage et celle au jour du divorce.

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À retenir

Les époux peuvent opter pour le régime matrimonial de la participation aux acquêts.

En cas de divorce, seuls les bénéfices réalisés sur le patrimoine de chaque époux sont partagés.

Si ce bénéfice est le fait du travail de l’époux propriétaire du bien, la plus-value mesurée doit également être partagée à parts égales ou selon la proportion indiquée dans le contrat.

  • Source : Cass. Civ. 1, 13 décembre 2023, n° 21-25.554.