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Les médicaments chers sont rentables !

Publié le 18 avril 2009
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Une enquête de KPMG intégrant les coûts de distribution et le temps passé montre que la dispensation des médicaments chers est la plus rentable de toutes. Un beau pied de nez aux idées reçues.

Eternelle question : est-il préférable pour un pharmacien de vendre des médicaments à faible marge (en valeur absolue) mais à fort volume que l’inverse ? La plupart du temps, les réponses sont hâtives et reposent sur des a priori plus que sur des réalités. Les médicaments chers (PFHT supérieur à 150 Û) ont mauvaise presse auprès des officinaux au prétexte que le taux de la marge dégressive lissée (MDL) de la dernière tranche est très faible (6 % du PFHT + forfait de 0,53 Û par boîte).

« Il faut combattre l’idée largement répandue chez les pharmaciens que les ventes de produits chers rapportent peu de marge, insiste Yannick Piljean, expert-comptable, directeur de KPMG Lorient. Nous entendons tout et n’importe quoi sur les médicaments chers à faible marge, comme si personne n’avait conscience qu’un prix se forme à la vente, en tenant compte d’un coût de fabrication et de distribution du produit. »

En y regardant de plus près, la délivrance de spécialités remboursables et prescrites à forts volumes requiert globalement plus de temps et de personnel à la vente, et entraîne corrélativement un nombre plus important de factures subrogatoires électroniques (FSE) que la dispensation d’un médicament cher et peu prescrit. A contrario, il est incontestable que la délivrance de produits techniques et chers dans le cadre de traitements lourds et compliqués réclame un surcroît de compétences, une charge de travail supplémentaire et davantage de temps à consacrer au patient que la délivrance d’une simple ordonnance, prise isolément.

12 boîtes de Glivec = 1 887 boîtes de paracétamol !

Le cabinet KPMG a analysé la rentabilité d’une dispensation d’un produit cher tel que Glivec par rapport à celle d’une boîte de paracétamol ou d’ibuprofène. « Vendre une boîte de Glivec [2 557,53 euros TTC, 2 504,93 euros PVHT, pour un PFHT de 2 362,64 euros, NdlR] 12 mois dans l’année prend environ 1 heure par an, dégage un CA HT de 30 059 euros et permet de réaliser 1 707 Û de marge, le tout pour 1 heure de charges de personnel et 12 feuilles de soins électroniques traitées, calcule Yannick Piljean. Il faut 1 887 boîtes de paracétamol générique 1 g ou d’ibuprofène générique à 200 mg [1,74 euro TTC, 1,70 euro HT, NdlR] pour réaliser la même marge, mais cela suppose plus de 47 heures de main-d’oeuvre directe, et de produire plus de 800 feuilles de soins électroniques. C’est pour cela qu’il existe plusieurs tranches de MDL et trois taux de rémunération ! »

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KPMG a ensuite cherché à décortiquer les ventes, les marges et les coûts de distribution du médicament remboursable. Les paramètres pris en compte pour l’étude sont les suivants : les salaires et charges du personnel sont de 144 000 Û et le poste « traitement et charges TNS du titulaire » se monte à 58 000 Û. La pharmacie réalise 80 % de son chiffre d’affaires en médicaments remboursés et affecte donc 80 % des salaires et charges à ce secteur, soit 161 600 Û. Les quantités de boîtes vendues (95 225) sont réparties par catégorie de médicament et par tranche de MDL, ainsi que le chiffre d’affaires et la marge correspondante. En ramenant les frais de personnel payés dans l’officine, au prorata du chiffre d’affaires réalisé en TVA 2,1 %, par rapport aux ventes totales et à la boîte vendue, le coût de distribution oscille, selon KPMG, entre 1,30 Û et 1,70 Û par boîte, traitement des FSE et approvisionnements inclus. Puis, KPMG a déterminé et comparé la marge nette de frais de masse salariale (y compris la rémunération du titulaire et les charges patronales afférentes) pour le générique et les princeps en fonction de chaque tranche de MDL.

Il ressort une marge moyenne par boîte de 3 Û avec des variantes selon la catégorie de médicament remboursable et la tranche de MDL considérées : 3,05 Û par boîte pour les génériques qui correspondent à 23 % des volumes vendus, 2,26 Û par boîte pour les princeps de la première tranche de MDL (72 % des volumes vendus). La marge du pharmacien monte à 10,32 Û pour les princeps de la seconde tranche de MDL et fait un bond à 56,90 Û pour la fameuse tranche des médicaments chers (PFHT supérieur à 150 Û).

Il faudra apprendre à mieux compter

Tout compte fait, contrairement aux conditionnements trimestriels qui font perdre de la marge par glissement de tranche de MDL ainsi que deux forfaits à la boîte de 0,53 Û – ce qui agace prodigieusement les syndicats professionnels toutes tendances confondues, à qui il n’a pas échappé qu’il s’agissait d’une perte sèche pour l’officine -, les médicaments chers sont d’un bon rapport. « Ils ne sont pas une plaie pour la pharmacie et l’augmentation de leurs ventes doit être un axe de développement, conclut Yannick Piljean. Il est important que le titulaire sache comment se forme sa marge en euros et quels moyens humains il met en face. »

Avec le développement des médicaments chers, l’expert-comptable insiste sur l’intérêt d’appréhender demain la marge nette de charges de personnel, qu’il faudra alors connaître, suivre et interpréter avec finesse. Ce qui suppose de prendre en compte de nouveaux paramètres dans les calculs, à côté du panier moyen et du chiffre d’affaires par vendeur, tels que le temps pour déconditionner, le coût d’acquisition et de maintenance des machines, les volumes traités, le coût en charges et salaires en rapport avec toutes les opérations induites par la délivrance des médicaments chers.

Par ailleurs, les logiciels informatiques des SSII spécialisées proposent aujourd’hui des outils statistiques qui, correctement paramétrés, fournissent des éléments permettant de suivre chaque mois l’évolution de la marge en euros de l’officine et les évolutions des marges par tranches de marge dégressive lissée. Les comptables apprécient.

Les produits chers brouillent les résultats

Un bon gestionnaire doit avoir l’oeil rivé sur ses ventes et analyser régulièrement ses résultats. Une tâche aujourd’hui rendue plus complexe par la pénétration des produits chers. « Ils faussent la vision du titulaire sur les évolutions des différentes composantes du chiffre d’affaires, une progression du CA peut masquer des mouvements de baisse sur d’autres postes, explique Yannick Piljean. Supposons qu’un pharmacien récupère 60 000 Û de chiffre d’affaires parce qu’il vend des produits chers contre le HIV, la dégénérescence maculaire et le cancer. Très souvent, il ne va pas réaliser que les 5 % de croissance de son CA en produits vignetés résultent en vérité d’une hausse de consommation de 8 % en produits très onéreux, pondérée par des baisses possibles du CA des deux premières tranches de la MDL, du nombre de boîtes vendues, voire du nombre de clients avec ordonnance. Aussi, pour avoir une vision plus juste des résultats par famille de produits, doit-il suivre mensuellement son panier moyen ordonnance, le nombre de boîtes vendues, le nombre de FSE créées, et les comparer aux résultats du même mois de l’année précédente. »

Idéalement, le pharmacien devrait donc suivre le nombre de boîtes et le chiffre d’affaires par tranche de MDL pour les princeps et le générique. La vigilance sur les marges est importante pour pouvoir réagir au plus vite. Car c’est bien la marge bénéficiaire de l’officine qui va permettre de rémunérer le titulaire, ses salariés, assumer les frais de structures, dont le loyer, et rembourser l’emprunt souscrit pour l’acquisition du fonds.