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LES HONORAIRES FONT COMMUNAUTÉ

Publié le 1 septembre 2012
Par Marie Luginsland
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En délaissant la marge au profit d’honoraires de dispensation, certains pays européens ont déjà confirmé l’acte pharmaceutique dans sa dimension intellectuelle. Et redessinent le paysage de la pharmacie européenne en ouvrant l’horizon à d’autres prestations.

C’était écrit. La progression des honoraires pharmaceutiques en Europe ne fait plus aucun doute. Six pays les ont adoptés. Cinq autres au moins y songent. Précarisation des revenus, officines sous le seuil de la rentabilité, fermetures en France, en Allemagne et dans les pays du Sud de l’Europe obligent un à un les Etats européens à revoir la rétribution de la dispensation pharmaceutique. Après la Grande-Bretagne, les Pays-Bas, la Belgique, la Croatie, la Slovénie et la Suisse, l’Espagne souhaite aussi évoluer vers un système de rémunération en honoraires. Quant à la France, l’« honoraire de dispensation » s’est récemment inscrit dans la convention pharmaceutique en mai dernier.

Déconnecter la rémunération de la vente

La crise financière n’est toutefois pas la seule responsable de cette prise de conscience. Bien avant, le mouvement s’était déjà amorcé. Hélène Charrondière, directrice des études chez DirectResearch (lire interview p. 31), voit dans l’émergence des honoraires aux quatre coins de l’Europe la recherche d’un même but, « déconnecter tout ou partie de la rémunération du pharmacien du prix des médicaments et faire évoluer le modèle économique de la pharmacie d’officine ». « Les honoraires rémunèrent l’acte d’un professionnel de santé (et non la prestation d’un distributeur). Ils participent à la revalorisation de la profession officinale et de sa place dans l’organisation du parcours de soins », ajoute-t-elle.

Acculé à la baisse du prix du médicament remboursé et à une politique de généralisation de l’utilisation des génériques, le modèle classique reposant majoritairement sur la marge bénéficiaire aurait-il montré ses limites ? Dans chacun des pays qui les a instaurés, les honoraires s’imposent comme une alternative probante, la marge bénéficiaire devenant marginale dans le revenu du pharmacien. Après de nombreuses années de négociations, la Suisse a accordé, en 2001, à chaque ligne de prescription – et non à chaque conditionnement – une rémunération basée sur les prestations (RBP) scindée entre une rétribution pour la validation du médicament et une autre pour la validation du traitement.

La Suisse reste le seul pays avec la Grande-Bretagne à avoir déconnecté les honoraires du volume de vente.

Ce n’est pas le cas des Pays-Bas qui, en 1998, les ont indexés au nombre de boîtes vendues. Un système qui a favorisé les conditionnements de petite taille et engagé les pharmaciens dans une nouvelle voie de « mercantilisation ». Ils ont revu leur copie en 2008, aboutissant à un compromis : la première dispensation leur est rémunérée plus du double du renouvellement pour atteindre une moyenne de 7,91 euros en moyenne par boîte.

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Dernier pays à franchir le pas en avril 2010, la Belgique a tiré des leçons de l’expérience de son voisin néerlandais. Elle est parvenue à garantir des honoraires de 5,20 euros par boîte de médicament pour un prix public médian à l’unité de 29,50 euros.

Une opération « blanche » financièrement

Enfin, cas atypique, celui de la Grande-Bretagne qui a accolé à son modèle d’honoraires, dès 2003-2004, des missions rémunérées par le NHS (National Health Service) démontrant que dérégulation du marché et prestations peuvent aussi faire bon ménage. « Ce secteur de la pharmacie, très libéral et limitant le champ du monopole officinal, est celui qui a élargi le plus le périmètre des services à valeur ajoutée du pharmacien. A plusieurs niveaux : des prestations prises en charge par le NHS, d’autres par les autorités de santé territoriale [équivalent des agences régionales de santé] et enfin des prestations payées par le patient lui-même », observe Hélène Charrondière. La chaîne Boots a ainsi introduit en 2007 des consultations pharmaceutiques dans ses points de vente (aide au sevrage tabagique, contraception d’urgence, cholestérol…) selon les options prises par les caisses locales du National Health Service. « Ces dernières ont tout à gagner que le pharmacien intervienne avant le médecin », note la « pharmacienne manager » du 151 Oxford Street à Londres. Tandis que sa consœur de la Sedley Place affirme que « les clients n’hésitent pas à mettre la main à la poche pour recevoir les services de leur pharmacien pour la calvitie, les troubles de l’érection ou encore dans le cas de certaines vaccinations, celle contre la grippe ou le cancer du col de l’utérus ». « Nous comptons cinq à six consultations par jour, ce qui fait deux heures et demie en moyenne consacrées à cette prestation », déclare-t-elle, affirmant que les seules consultations pour la calvitie rapportent à elle seule 120 500 euros par an à son officine !

Un point commun à toutes les démarches européennes est en effet la volonté des Etats d’effectuer une opération « blanche » sur le plan financier. Ce fut ainsi la contrainte imposée par le gouvernement belge. Services économiques et statistiques des caisses et de l’APB (Association pharmaceutique belge) ont élaboré pendant six ans des modèles affinés pour aboutir à un modèle d’honoraires reconnaissant dispensation, préparation, suivi pharmaceutique et conseil, en un mot la plus-value intellectuelle du pharmacien. L’exemple suisse est également révélateur. C’est en effet au moment où l’Etat a décidé d’accélérer la substitution par le générique qu’il a fini par céder aux revendications des pharmaciens d’introduire la rémunération basée sur les prestations. « Parce que nous pouvions alors justifier notre rôle ! », se souvient Marcel Mesnil, secrétaire général de PharmaSuisse, société faîtière des pharmaciens suisses.

Les organismes payeurs auront un droit de regard plus important

La rémunération en honoraires ne met pas à l’abri des dérives. Et aussi paradoxal que cela puisse paraître, cette forme de rétribution ne gomme pas les disparités au sein des réseaux de pharmacies. Il semblerait même qu’elle puisse devenir un vecteur de concurrence. En Suisse, les chaînes renoncent ainsi à percevoir la rémunération basée sur les prestations en compensant leur revenu sur des produits de droguerie. « Du dumping pur et simple mais que l’on ne peut interdire en vertu de la loi des cartels », dénonce Marcel Mesnil, précisant que des pharmaciens indépendants s’engagent eux aussi dans cette voie : « Ils n’osent plus réclamer leurs honoraires afin de ne pas perdre de clients. » En effet, le système de couverture santé suisse comprend une franchise de 250 euros par an. En deçà de cette somme, les assurés doivent supporter eux-mêmes leurs frais de santé.

La Belgique a su pour l’heure se préserver de ces distorsions du marché. « Il apparaît que la rémunération moyenne est quasi la même pour toutes les officines, indépendamment de leur situation géographique. Et comme c’était son objectif, le nouveau système semble bel et bien avoir dissocié la rémunération du prix », se félicite Kristien De Bruyn, de l’Association pharmaceutique belge, pour qui la prochaine étape consiste à obtenir une rémunération des services. « Si nos honoraires s’élargissent à des services et des prestations, les pharmacies commerciales ne pourront pas suivre ! », prédit Anne Lecroart, secrétaire générale de l’Association pharmaceutique belge, qui fait référence à l’implication spontanée des titulaires dans la formation.

Une vague de fond cependant traverse la pharmacie européenne ?: les honoraires de dispensation posent les jalons de nouveaux modèles de rémunération. En donnant un caractère contractuel aux prestations, ils autorisent un droit de regard plus important des organismes payeurs. Et dès lors induisent une notion de traçabilité de l’acte pharmaceutique. En Belgique, le ticket de caisse détaille les honoraires et la prestation à laquelle ils correspondent. Régulièrement, des tests avec patients mystère sont effectués pour valider la qualité du service et le gouvernement ne manque pas de réprimander la profession.

En Suisse, le RBP est un système de rétribution « très rigoureux sur la signification économique de l’acte », comme l’affirme Marcel Mesnil, rappelant que la démarche qualité QMS comprend un module « validation de l’ordonnance ». Du reste, l’assureur ne rembourse que s’il a la certitude que « l’acte est effectué dans le respect des trois critères suivants : efficace, approprié et économique ». Et le rigorisme suisse ne suffit pas à garantir le bon fonctionnement du système. Là aussi des patients mystère envoyés par les caisses veillent au respect de la convention !

De nouvelles prestations rémunérées

Si Samuel Lippert, titulaire à Charleroi (Belgique), pense que les honoraires n’ont rien changé à sa pratique (« Avant, je prenais le temps de conseiller mes patients tout autant qu’aujourd’hui »), sa consœur de Bruxelles estime toutefois que « les honoraire signifient aux yeux de l’opinion publique une reconnaissance de notre plus-value intellectuelle ».

Même si, aux Pays-Bas, Gerald Monterie, officinal, pense qu’une génération Internet montante n’aura que faire des conseils au comptoir, aujourd’hui les honoraires de dispensation donnent aux pharmaciens de ces pays les moyens de maintenir leur compétence, de l’améliorer et de communiquer sur leur savoir-faire. D’ailleurs, Samuel Lippert pense qu’à terme les honoraires permettront de différencier les pharmaciens entre eux : « Ils devront suivre une formation spécifique (dépistage, “curation” tabagique…) et percevoir des honoraires pour cela. » Comme les Suisses qui testent pendant trois ans un projet pilote de prestations de triage (soins de premiers recours), les Belges veulent eux aussi passer à la vitesse supérieure. « C’est une très bonne chose d’être parvenu à déconnecter la rémunération du pharmacien du prix des médicaments. L’étape suivante sera de déconnecter cette rémunération du produit lui-même et de mettre en place des honoraires pour des services. C’est un fameux défi », annonce Kristien De Bruyn. Leurs voisins néerlandais quant à eux testent dès cette année des prestations pour conseil associé (inhalation pulmonaire, sortie d’hospitalisation, malades chroniques par exemple). Le Portugal, pourtant encore sous le régime de la marge, évolue lui aussi vers la prestation de services, notamment pour le suivi des asthmatiques et des diabétiques. Aux quatre coins de l’Europe, la rétribution en honoraires de la dispensation est devenue la plate-forme des nouvelles missions du pharmacien.