La dispensation adaptée, oui mais à quel prix ?

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La dispensation adaptée, oui mais à quel prix ?

Publié le 24 octobre 2024
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Intérêt écologique, gains substantiels pour le système de santé… Sur le papier, la dispensation adaptée a tout bon. Dans la réalité, cette intervention pharmaceutique nécessite du temps, de la technicité et était jusqu’ici mal rémunérée. Comment valoriser ce dispositif pour susciter l’adhésion et l’inscrire durablement dans la pratique officinale ?

La dispensation adaptée a décidément fait parler d’elle cette année ! Les discussions sont en effet allées bon train pendant des mois pour essayer de trouver un accord sur l’étendue du périmètre et la rémunération de ce dispositif. Contre toute attente, il a été tout récemment supprimé de l’avenant économique organisant les rapports entre les pharmaciens titulaires d’officine et l’Assurance maladie (arrêté du 5 juillet 2024). Nombreux sont les pharmaciens à s’en inquiéter. « Cette intervention pharmaceutique aurait dû être encouragée et valorisée via la mise en place de nouvelles rémunérations », souligne Julien Tomé, pharmacien et auteur de la thèse « Aménager la pharmacie de demain ». Une opinion partagée par Christophe Le Gall, président de l’Union nationale des pharmacies de France (UNPF) : « Alors que la pression est mise sur la rationalisation des dépenses et l’usage efficient des produits de santé, il est illogique de ne pas inciter les acteurs de santé à réduire les lignes de traitement inutiles et à délivrer au plus près des besoins. »

Pour autant, la Caisse nationale de l’Assurance maladie (Cnam) l’assure : « Le déploiement de la dispensation adaptée n’est pas supprimé, mais reporté. Il pourra être assuré avec l’ordonnance numérique, lorsqu’elle sera totalement déployée chez les médecins et les officines. Sa généralisation étant prévue en 2025. »

0,10 € par ligne de médicament

Concrètement, la dispensation adaptée consiste, pour le pharmacien, à adapter la dispensation des médicaments aux besoins thérapeutiques du patient. Par exemple, face à une prescription « Paracétamol 1 g, 3 fois par jour, pendant 1 mois », le pharmacien n’est bien évidemment pas tenu de délivrer toutes les boîtes et, au cours de l’échange avec son paptient, cerner les besoins réels et lui expliquer alors les raisons de cette décision. À long terme, l’objectif de cette intervention pharmaceutique est de « renforcer le bon usage, l’observance, la lutte contre le gaspillage et la diminution du risque iatrogénique » (arrêté du 31 mars 2022 portant sur l’approbation de la Convention nationale). De quoi asseoir l’utilité du spécialiste du médicament qu’est le pharmacien, même si ledit pharmacien aurait tout intérêt financièrement à délivrer le plus de boîtes possibles.

Sur le terrain, la mission officinale de la dispensation adaptée a été expérimentée entre juillet 2020 et juin 2022. Il s’agissait de délivrer au patient la quantité de médicaments nécessaire, dans le respect de la prescription médicale, et uniquement pour les traitements à posologie variable. Cette pratique avait ciblé 22 classes thérapeutiques, portant en majorité sur la sphère digestive. Elle concernait également le paracétamol, l’ibuprofène, le piroxicam et le diclofénac.

Du point de vue de la rémunération, la rétribution de cette intervention pharmaceutique s’élevait à 0,10 € par ligne de médicament dont la délivrance était adaptée, avec une redistribution collective sous forme de rémunération sur objectifs de santé publique (Rosp) des économies réalisées à titre individuel, c’est-àdire à l’échelon de chaque officine. Un mode de calcul pour le moins complexe. La période, marquée par la pandémie de Covid-19, n’a pas permis de tirer des conclusions chiffrées cohérentes de cette expérimentation.

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« Quoi qu’il en soit, rémunérer la dispensation adaptée avec quelques centimes d’euros est loin d’être incitatif pour les pharmaciens. Expliquer au patient que la posologie peut être adaptée en fonction de sa situation nécessite du temps. La dispensation adaptée, tout comme les autres interventions pharmaceutiques, doit représenter une bouffée d’oxygène économique suffisante pour suppléer la perte de rentabilité de nos officines », souligne Christophe Le Gall.

Pas avant 2026 ?

Les discussions menées depuis de nombreux mois entre l’Assurance maladie et les deux syndicats représentatifs de la profession (Fédération des syndicats pharmaceutiques de France – FSPF et Union des syndicats de pharmaciens d’officine – USPO), sur la revalorisation des honoraires et des missions des pharmaciens, n’ont donc finalement pas permis d’établir un modèle économique convaincant. L’Assurance maladie proposait en février dernier de restreindre le dispositif de la dispensation adaptée au paracétamol et à ses posologies « variables », avec une Rosp.

Pour Pierre-Olivier Variot, président de l’USPO, « ces propositions étaient nettement insuffisantes au regard des besoins. Nous avons fait part de notre opposition, mais aujourd’hui nous sommes surpris par la suppression pure et simple de ce dispositif. Il faut absolument y revenir rapidement et remettre les interventions pharmaceutiques à l’ordre du jour. C’est fondamental pour l’avenir des pharmaciens. »

De son côté, Philippe Besset, président de la Fédération des Syndicats Pharmaceutiques de France (FSPF), considère que l’ordonnance numérique est « le meilleur moyen de mettre en place la rémunération de la dispensation adaptée. Elle permettra de voir ce que le médecin aura prescrit et ce que le pharmacien aura réellement dispensé. Ce sera une façon simple et efficace de faire le compte de ce qui a été adapté. Mais tout cela ne verra sans doute pas le jour avant 2026, malgré ce qui a été annoncé… »

En attendant, les chiffres parlent d’eux-mêmes. Alors que le chiffre d’affaires des pharmacies ne cesse d’augmenter, atteignant 2 253 000 € (chiffre d’affaires hors taxes moyen des officines, source KPMG), la marge s’effondre.

« L’augmentation du chiffre d’affaires, due en particulier aux médicaments chers, cache une dégradation de la rémunération officinale. Cette baisse de la rentabilité se traduit dans l’évolution des deux ratios clés de mesure de la performance, avec une évolution du volume de marge de -8,7 %, et une performance commerciale et de gestion moyenne (PCG) à -22,7 % », souligne KPMG dans son étude « Pharmacies : moyennes professionnelles 2 024 ». Et de poursuivre : « La rémunération des nouvelles missions n’est pas encore suffisante pour compenser la baisse de marge constatée en 2023. » Faute de revalorisation des honoraires, la situation pourrait donc devenir très complexe.

Vers un modèle québécois

Pour Julien Tomé, « qu’il s’agisse des honoraires associés à la dispensation adaptée ou de tout autre honoraire, le modèle économique doit évoluer vers la valorisation des compétences des pharmaciens et équipes officinales, et non plus vers une rémunération basée sur la marge des médicaments et autres produits non remboursés. »

Un modèle économique basé sur l’intervention pharmaceutique qui n’est bien sûr pas sans rappeler le modèle québécois : « En France, le pharmacien a de plus en plus de missions, entre la vaccination, les Trod et les entretiens pharmaceutiques. Nous nous rapprochons du modèle québécois où les pharmaciens peuvent, par exemple, prolonger l’ordonnance d’un médecin, ajuster une prescription, substituer un médicament en pénurie ou prescrire des médicaments pour certaines conditions. Ils possèdent des outils pour améliorer concrètement la santé de la population », explique Johanna Gérémie, pharmacienne et auteur d’une étude sur « L’officine et les spécificités du rôle du pharmacien au Québec ».

Mais qu’en est-il de la rémunération outre-Atlantique ? « De manière générale, le pharmacien québécois est rémunéré à l’acte lorsqu’il ajuste la posologie d’un médicament afin d’assurer la sécurité du patient ou l’efficacité de la thérapie médicamenteuse. Le tarif prévu pour l’année en cours est de 24,60 $ (NdlR 16,40 €) par modification d’une thérapie. Ce tarif est payable un maximum de quatre fois par jour, par patient. Si le pharmacien ajuste la dose de plus de quatre médicaments dans une même journée, il n’est payé que pour quatre interventions », détaille Marilie Beaulieu-Gravel, conseillère principale aux affaires publiques et gouvernementales de l’AQPP (Association québécoise des pharmaciens propriétaires).