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Dispensation sous protocole : paroles de pionniers
A la faveur d’une disposition prise par le gouvernement, plusieurs centaines d’officines se sont lancées depuis quelques mois dans la dispensation sous protocole leur permettant de délivrer, par exemple, de la fosfomycine sans ordonnance à une patiente atteinte de cystite simple. Mais la prise en charge ne peut s’effectuer que dans le cadre strict d’un exercice coordonné. Témoignages de pharmaciens.
Elles sont 400 officines à pratiquer la dispensation sous protocole depuis l’été dernier, selon le ministre de la Santé et de la Prévention lors de son intervention, fin novembre, à la journée de l’Ordre des pharmaciens. Le coup d’accélérateur a été donné début juillet à la suite de la « mission flash » sur les urgences et les soins non programmés. Parmi les mesures exceptionnelles qu’elle portait et que le gouvernement a adoptées, l’extension de la dispensation sous protocole aux pharmaciens exerçant dans le cadre d’une communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) avec projet de santé validé et ayant signé l’accord-cadre interprofessionnel (ACI). La mesure était, depuis 2020, réservée aux seules pharmacies appartenant à une maison de santé pluriprofessionnelle (MSP) et aux centres de santé et équipes de soins primaires (mais pour ces dernières sans possibilité de rémunération).
Dans certains territoires, la mise en place peut constituer un parcours du combattant. Des officinaux témoignent que des médecins ne souhaitent pas intégrer la CPTS et, lorsqu’ils s’y rattachent, il faut encore obtenir leur adhésion pour devenir « délégant », c’est-à-dire qu’il donne sa délégation à cette prescription par un pharmacien ou un infirmier appartenant à la même structure. En pratique, il s’agit donc de prescrire et de dispenser dans un cadre strict certains médicaments de prescription médicale obligatoire sans présentation d’une ordonnance.
Pour les officinaux, il a d’abord fallu s’approprier les protocoles validés par la Haute Autorité de santé et se former. Et les prises en charge ont pu débuter. Les syndicats de pharmaciens s’en félicitent mais voudraient pouvoir les faire sortir du cadre trop restreint de l’exercice coordonné. « Ce serait une mission conventionnée avec paiement à l’acte en plus de la dispensation du médicament », estime Pierre-Olivier Variot, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO). Il précise qu’il faudra toutefois en informer le médecin traitant. Fabrice Camaoini, vice-président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), rejoint cette position : « Tous les pharmaciens ne sont pas sur la même ligne de départ par rapport à l’exercice coordonné. Dans beaucoup de territoires, cela n’est pas possible. Et si, face à une situation de cystite, le seul conseil est de dire : “Prenez rendez-vous avec votre médecin ou allez aux urgences”, ce n’est pas satisfaisant. »
« Cette mission doit être connue de la population »
LOUIS BOSSON, pharmacien titulaire à Montélimar (Drôme), président de la CPTS Portes de Provence
La CPTS que je préside s’est lancée dans les protocoles de coopération l’été dernier. Les formations ont été effectuées fin septembre. Il a fallu ensuite attendre la validation par l’agence régionale de santé et la caisse primaire d’Assurance maladie qui devaient s’assurer de la prolongation des mesures d’urgence adoptées à l’été par le gouvernement. La prise en charge a réellement débuté fin décembre. Notre CPTS couvre 72 communes et comprend une trentaine d’officines. Plus de 20 sont aptes à réaliser la dispensation sous protocole pour la cystite simple.
Les deux sessions de formation ont été animées par le médecin délégant auprès de pharmaciens et d’infirmiers libéraux. La première a réuni une trentaine de participants, la seconde une dizaine. Nous avons repris le protocole de la Haute Autorité de santé, sans rien y ajouter. Il est assez simple, cadré et très sécurisé. Il n’y a pas de doutes sur la marche à suivre. Une seule réunion a été nécessaire pour nous lancer.
Dans notre CPTS, un cabinet médical a accepté d’être délégant pour tout le territoire. Nous avons choisi de lui affecter 8 € et 17 € reviennent au professionnel délégué. Les patientes qui ont bénéficié du dispositif n’ont pas de médecin traitant ou celui-ci n’était pas disponible, en grève à ce moment-là, en vacances ou se sont présentées un samedi après-midi, par exemple. Autrefois, notre seule solution était de les adresser à la maison médicale de garde ou aux services d’urgences, tous deux déjà débordés.
Les patientes ne sont pas plus surprises que cela de cette prise en charge. Nous la contextualisons et expliquons le processus sans entrer dans les détails. Cette mission doit être connue de la population. C’est pour cela que le site internet de la CPTS, qui est en construction, comprendra un volet pour les professionnels et un autre à destination des patients. Un bilan sera effectué dans six mois par le biais d’un questionnaire en ligne. S’il s’avère concluant, nous pourrons nous lancer dans d’autres protocoles.
« Nous sommes capables d’assumer la responsabilité du protocole »
SOPHIE SALOMÉ, pharmacienne titulaire à Faucogney-et-la-Mer (Haute-Saône), vice-présidente de la CPTS de Luxeuil
Notre territoire est rural et présente des difficultés d’accès aux soins. Dans le cadre du projet de santé de la CPTS, validé en décembre 2021, les médecins généralistes sont sollicités pour que chaque patient bénéficie d’un médecin traitant. Pour poursuivre la facilitation de l’accès aux soins, les pharmaciens d’officine et les infirmiers libéraux utilisent les protocoles pluridisciplinaires disponibles et répondent aux besoins des patients le week-end ainsi que la semaine. Nous appliquons les quatre protocoles établis à ce jour. Quinze des 18 officines du territoire de la CPTS sont habilitées à le faire. Au total, 28 pharmaciens titulaires et adjoints ont été formés aux différents protocoles et autant d’infirmiers libéraux. Cinq soirées de formation se sont tenues sur le thème de la pollakiurie l’an dernier. Les premières ont commencé dans le courant du mois d’août et la prise en charge a été lancée dans la foulée. Les médecins se sont investis : six ont accepté d’être délégants. Ils perçoivent 5 € et 20 € reviennent au délégué.
Le dispositif est encore peu connu même si l’information a été diffusée à la télévision, à la radio et dans la presse locale, sur le site et les comptes Facebook et Instagram de la CPTS. Des affiches ont été apposées dans les cabinets infirmiers et les officines. Une cinquantaine de patientes ont déjà été prises en charge. Elles se trouvaient en difficulté et sans possibilité de consulter rapidement un médecin. Nous leur expliquons que ce que nous proposons est sécurisé et cadré, que cela ne se fait pas « sous le manteau ». C’est aussi un message à transmettre aux médecins. La plupart jouent le jeu. Cependant, il peut y avoir de leur part une méconnaissance du contenu du protocole. Les critères d’inclusion et d’exclusion y sont bien définis. Certains médecins se montrent réticents et mêmes hostiles, car ils ne veulent pas endosser une coresponsabilité pour un acte qu’ils ne pratiquent pas. Il faudrait que cette inquiétude soit levée. Nous sommes capables d’assumer la responsabilité du protocole. S’il est bien suivi, on ne peut pas passer à côté de quelque chose de grave. Et il y a obligation d’information du médecin traitant ou du médecin délégant. Certains nous font un retour, d’autres pas. A ce jour, je n’ai pas eu connaissance qu’un patient ait dû consulter un médecin à la suite de cette prise en charge.
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« Nous pouvons enfin donner aux patientes une réponse qui tient la route »
MATTHIEU SAULNIER, pharmacien titulaire à Nanterre (Hauts-de-Seine), vice-président de la CPTS de Nanterre
La création de la CPTS, à laquelle j’ai participé, remonte à 2018-2019. Son principal intérêt est la mise en contact et le travail en synergie des professionnels, encore plus nécessaires en zone urbaine. Les pharmaciens d’officine sont souvent impliqués dans les actions de la CPTS. Ce sont les seuls professionnels habitués à travailler en équipe. Ils ont une capacité d’organisation, de coordination, de gestion des projets et de mobilisation rapide. Pour le moins, ils sont de bons relais d’information auprès de la population. La CPTS ne peut pas faire sans eux. Il n’y a pas de raison de développer un complexe d’infériorité, il faut prendre sa place et accepter de donner sans attendre en retour.
A Nanterre, les médecins salariés des centres municipaux sont plus favorables à ces évolutions que les médecins libéraux. Sur une vingtaine de pharmacies que compte la ville, neuf sont impliquées dans la dispensation sous protocole pour la prise en charge de la cystite simple, de l’odynophagie et de la varicelle. Les pharmaciens s’en sont saisis en juillet et le lancement remonte à septembre. En un mois et demi, la prise en charge de la cystite simple a concerné une cinquantaine de patientes.
Les personnes sont de plus en plus informées de l’existence de ce dispositif, notamment par leur mutuelle et par les médecins eux-mêmes. Nous respectons leurs prérogatives. Nous n’établissons pas de diagnostic. En suivant le protocole, on ne fait ni plus ni moins qu’un médecin qui délivre une ordonnance en dépannage par téléphone ou en téléconsultation, en respectant les critères d’inclusion et d’exclusion définis. Si une ordonnance conditionnelle a été rédigée, l’antibiotique est délivré. La rémunération du délégant est de 5 € et 20 € vont au délégué. Les délégants réalisent le suivi des actes et un relevé des effets indésirables. C’est à la CPTS de s’autoréguler, de vérifier que la dispensation s’effectue dans des conditions relevant de la qualité. Quant à moi, cela ne va pas révolutionner mon chiffre d’affaires. Mais nous pouvons enfin donner à nos patientes une réponse qui tient la route.
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