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Dispensation adaptée : qui perd, qui gagne ?

Publié le 22 février 2020
Par Francois Pouzaud
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L’avenant n° 20 à la convention pharmaceutique introduit la dispensation adaptée, dont la rémunération se présente comme une prime. Derrière cette incitation financière se cache, en vérité, la compensation d’un manque à gagner. Elle sera d’autant plus importante que les pharmaciens sauront se mobiliser. Si la réussite dépend d’un engagement collectif, les pharmaciens ne seront pas tous sur un pied d’égalité en cas d’échec.

Le modèle économique de la dispensation adaptée, objet de l’avenant n° 20 à la convention pharmaceutique paraphé le 12 février entre l’Assurance maladie et l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), entrera en vigueur le 1er juillet. Le dispositif est inédit et déroutant pour le pharmacien habitué à toucher une marge sur chaque médicament qu’il dispense. Il sera désormais également rémunéré sur ce qu’il ne délivre pas, pour plus d’une vingtaine de classes de médicaments à posologie variable (voir page   20). Dispositif louable sur le principe car, en évitant de remplir inutilement les armoires à pharmacie, le risque de mésusage et de gaspillage est minimisé. Pour Gilles Bonnefond, président de l’USPO, la dispensation adaptée est une avancée fondamentale pour « le bon usage du médicament et la lutte contre l’iatrogénie ».

Une ROSP pour perdre moins

La Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), qui s’est abstenue de signer l’avenant n° 20, a une lecture différente du texte qui, selon son président, Philippe Besset, « recale le pharmacien dans un rôle comptable, sous couvert d’observance et de prévention de l’iatrogénie ». D’un point de vue strictement économique, « la dispensation adaptée est juste un dispositif qui a pour objet de faire perdre moins au pharmacien », dénonce-t-il. Même si les officinaux reçoivent une compensation financière, sous la forme d’une rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP). « Même avec cette intervention pharmaceutique rémunérée au plafond de 3,60   €, le pharmacien sera forcément perdant puisque, sur une ligne de médicament, rien qu’en délivrant trois boîtes en moins, il perd déjà 3   € d’honoraires à la boîte, sans compter la marge de dispensation », développe Denis Millet, président de la commission études et stratégies économiques à la FSPF.

Une « véritable usine à gaz et arnaque » qui transforme les pharmaciens en « pantins de la Sécu », appuie Philippe Besset. En désaccord depuis le début avec cette dispensation adaptée, il n’est même pas certain que ce dispositif fonctionne « comme un fusil à un coup » et qu’il y ait des marges d’économies à réaliser dès la première année d’application du dispositif. « Car les pharmaciens délivrent déjà la juste quantité de médicaments, aucune baisse de volume ne sera observée, la ROSP ne sera donc jamais déclenchée ! », craint-il.

Un dispositif équitable et juste ?

Gilles Bonnefond s’élève contre cette image du « pharmacien compteur de boîtes qui se livre à des calculs à la petite semaine pour savoir où est son intérêt financier. Nous avons, bien sûr, analysé toutes les hypothèses économiques de la dispensation adaptée. Si le pharmacien est confronté à un patient avec un risque iatrogène, je ne crois pas un seul instant qu’il refusera de pratiquer la dispensation adaptée au motif qu’elle lui rapporte moins », rétorque-t-il. De la décision de la profession à s’engager dans la dispensation adaptée dépendront le déclenchement et l’importance de la ROSP.

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Pour les pharmaciens qui faisaient déjà de la dispensation adaptée sans le savoir les années précédentes, parce qu’elle correspond à une pratique habituelle, le dispositif sera sans perte économique. Mieux, « ils seront gagnants et ne seront plus pénalisés en délivrant moins de boîtes puisqu’ils seront désormais rémunérés pour cette intervention pharmaceutique », explique Gilles Bonnefond. Une affirmation que ne partage pas avec le même enthousiasme Philippe Besset. Car, dans le cas où le seuil de déclenchement de la ROSP ne serait pas atteint, ils ne seront pas récompensés, y compris de leurs efforts supplémentaires à baisser les volumes dispensés dans les 22 classes thérapeutiques éligibles à la dispensation adaptée. Autrement dit, « ils gagneront un peu à la condition que les confrères, qui jusqu’alors n’ajustaient pas les doses, acceptent de faire de la dispensation adaptée et de perdre un peu de marge sur la vente de ces médicaments », argue le président de la FSPF. Mais si ces derniers ne font rien (ou peu), ils ne perdront rien (ou presque) mais ils priveront les « bons élèves » de leur prime car les objectifs d’économies ne seront pas atteints. En pratique, la récompense de ceux qui pratiquaient déjà la dispensation adaptée dépend de l’engagement de ceux qui, jusqu’ici, délivraient la totalité des boîtes prescrites. Et qui deviendront perdants s’ils se mettent à la dispensation adaptée. Le Pr Claude Le Pen de l’université Paris Dauphine, économiste de la santé, souligne la complexité du dispositif. « Il ne peut marcher que s’il y a une responsabilité collective, une adhésion forte des pharmaciens d’aller au-delà des évolutions tendancielles des marchés. Or il est difficile de courber des tendances qui sont, malgré tout, un peu linéaires. » Et de souligner : « Il y a un hiatus entre la récompense individuelle et l’engagement collectif, compte tenu des clivages politiques sur cet avenant. Le seuil de déclenchement de la prime risque d’être difficile à atteindre. »

Seul élément positif relevé par Philippe Besset qui pourrait aider les pharmaciens à faire baisser significativement les volumes : « Avec le réchauffement climatique, on peut s’attendre à moins de pathologies saisonnières, de prescription et de dispensation de paracétamol », souligne-t-il, indiquant que le tendanciel sur cette molécule est à – 3 %.

Se mobiliser malgré les divergences

Par ailleurs, la FSPF estime que l’instauration d’une nouvelle ROSP va à l’encontre des avancées obtenues en faveur d’une rémunération au fil de l’eau. « La mise en place d’une rémunération à l’acte pour chaque intervention pharmaceutique prise au vrai sens du terme, c’est-à-dire un acte de coordination avec le médecin, aurait été un système plus équitable », estime Philippe Besset. Peut-être aussi mieux acceptée par les médecins. Le syndicat des médecins libéraux (SML) voit dans le dispositif une forme de « censure » de leurs ordonnances. Malgré les failles relevées par le syndicat non-signataire, il pourrait néanmoins inviter ses adhérents à ne pas boycotter la dispensation adaptée. « Dans l’hypothèse où tous les pharmaciens la font, la prime, même faible, profitera à tout le monde », explique Denis Millet.

Autre raison économique pour les pharmaciens d’y aller, « celle de ne pas perdre la rémunération de dix centimes d’euro TTC du code traceur [qui permet de comptabiliser le nombre d’interventions pharmaceutiques, NdlR] , si l’objectif d’économie n’est pas atteint la première année, le montant total de ce code acte sera défalqué de la prime de l’année suivante », avertit Philippe Besset.

Enfin, la dernière raison est politique. Elle tient dans la réponse du président de la République à l’USPO le jour où le syndicat a été reçu à l’Elysée. « Si les pharmaciens choisissent le camp du commerce, je vous challengerai, s’ils choisissent le camp du patient, ils n’auront pas de problème avec moi. »La profession n’a finalement pas vraiment le choix d’adapter sa conduite.


À RETENIR

•   En signant l’avenant n° 20 à la convention pharmaceutique le 12 février, l’Assurance maladie et l’USPO officialisent la dispensation adaptée, acte de non-dispensation par le pharmacien de tout ou partie des traitements à posologie variable.

•   Le mécanisme de rémunération de la dispensation adaptée est fondé sur l’effort collectif. A titre individuel, les gains engendrés pourraient être inégaux, selon que le pharmacien pratiquait déjà ou non la dispensation adaptée.

•   Pour les pharmaciens pratiquant déjà la dispensation adaptée, la prime dépend de l’engagement des pharmaciens qui délivrent jusqu’ici la totalité des boîtes et qui acceptent de perdre un peu de rémunération en se mettant à la dispensation adaptée.

REPÈRES 


DISPENSATION ADAPTÉE : MODE D’EMPLOI