- Accueil ›
- Législation ›
- Dispensation ›
- Coûts durs
Coûts durs
Le 19 décembre dernier ont débuté de nouvelles négociations conventionnelles entre les syndicats de titulaires et l’Assurance maladie. Si les professionnels de santé se félicitent des nouvelles missions accordées et en projet, ils déplorent un flou persistant concernant l’amélioration de leur rémunération.
Tout avait plutôt bien commencé… Le 13 décembre dernier, Aurélien Rousseau, l’ancien ministre de la Santé, adressait sa lettre de cadrage détaillant les axes de discussion pour les futures négociations conventionnelles. Outre le maintien d’une offre officinale de proximité, il était prévu d’évoquer la valorisation de la dispensation et de poursuivre les échanges sur l’élargissement des missions des officinaux, qui intégrerait notamment la prévention et le sevrage tabagique, tout en renforçant leur rôle dans la prescription d’antibiotiques contre la cystite ou l’angine. Ces nouveaux périmètres constituaient, selon le locataire de l’avenue Duquesne, une « évolution historique ». Seul point de friction alors soulevé par les deux syndicats professionnels, la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) et l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO) : la délivrance à l’unité, en cas de pénurie de certaines molécules. Dans les faits, depuis le début des pourparlers, le bras de fer s’est révélé plus âpre que prévu. La déception aussi.
Des réunions sous haute tension
En effet, dès le premier round des négociations portant sur la dispensation d’antibiotiques aux patients atteints de cystite ou d’angine, les tensions se sont fait sentir. D’un côté, la FSPF et l’USPO réclamant une hausse du tarif prévu pour la réalisation du test rapide d’orientation diagnostique (Trod). De l’autre, les services de l’Assurance maladie à l’attitude jugée implacable. « Qu’est-ce qui justifie qu’on vous donne plus ? », demandait ainsi ironiquement un représentant de la Caisse nationale de l’Assurance maladie (Cnam). Ambiance… Philippe Besset, président de la FSPF, avait pourtant rappelé quelques évidences, notamment la référence de 25 € partagés entre pharmacien et médecin délégant lorsque la prise en charge avec délivrance de l’antibiotique s’effectue dans le cadre d’une structure d’exercice coordonné. Rappelé aussi que le coût pour la collectivité pouvait « grimper jusqu’à 160 €, si le patient passe par la case “urgence” ». A l’inverse, l’expertise des pharmaciens représente une source d’économie potentielle de 200 millions d’euros. De quoi justifier un petit effort financier, non ?
De nouvelles missions mais sans valorisation
Les pharmaciens titulaires et adjoints peuvent, depuis peu, mener des entretiens destinés aux femmes enceintes. Un format également évoqué pour la prévention de l’addiction aux opioïdes (dont le tramadol) afin d’informer sur le mésusage et la possible addiction à ces substances. Pour pallier les risques d’iatrogénie chez les patients âgés polymédiqués, des bilans partagés de médication ont été mis en place. Enfin, à l’avenir, il est prévu de confier aux titulaires le suivi des personnes en sevrage tabagique, voire la conduite d’entretiens d’information et de sensibilisation auprès de patients souffrant d’insuffisance cardiaque et de diabète. Lors de leur deuxième rencontre avec les représentants de l’Assurance maladie, les syndicats ont réclamé une « rémunération séquencée » pour la rétribution de ces entretiens. « Nous avons sollicité des paiements de 25 %, 25 % et 50 %. Le bilan serait ainsi rémunéré 15 € la première fois, 15 € la deuxième et 30 € la troisième fois. Le dernier montant serait volontairement plus important pour inciter à aller au bout de la démarche », a expliqué Philippe Besset. Face à ces nouvelles responsabilités, coûteuses en temps, en organisation et en infrastructures – nouvelles embauches, mise en place de plannings pour le suivi, création d’espaces de confidentialité pour recevoir les patients, etc. –, les syndicats ont aussi rappelé leur volonté ferme de réviser le montant de l’acte de délivrance du médicament. Un vœu pieux ? A la sortie des négociations qui se sont tenues sur ce sujet le 1er février, les présidents de la FSPF et de l’USPO ne cachaient pas leur frustration. « La Cnam s’est contentée de nous présenter un PowerPoint succinct comportant les différentes tranches de marge et les volumes, confie Pierre-Olivier Variot, président de l’USPO. Pour le reste, elle n’a dévoilé aucune projection, elle n’a pas réagi non plus aux propositions présentées d’une seule voix avec la FSPF. Nous avons donc le sentiment qu’il n’y a pas eu de réelle négociation et de ne pas avoir été écoutés. »
Qui gagnera la bataille des chiffres ?
Au regard des faits, si l’on pressent l’avis de ne pas régler la facture, il est plus difficile de voir comment réparer la fracture… La Sécurité sociale doit faire face à un déficit grandissant : 8,7 milliards d’euros en 2023 et 10,5 milliards d’euros en 2024. Voilà entre autres pourquoi elle vise une économie de 1 milliard d’euros sur les produits de santé. Résultat ? Entre les syndicats de pharmaciens et les représentants de la Cnam, la bataille des chiffres fait rage. Ces derniers évaluent l’augmentation de la marge sur le médicament à 3,5 % entre 2022 et 2023, les syndicats de pharmaciens à 1 %, soit un delta de 80 millions d’euros. « Lorsque vous avez d’un côté, la Cnam, qui défend l’équilibre des comptes sociaux, et de l’autre, une profession qui attend une revalorisation de sa rémunération pour préserver l’équilibre du maillage territorial, des officines et de l’accès aux soins, les échanges sont… tendus », confirme Philippe Besset. Histoire de rendre la pilule moins amère, la Cnam a aussi sondé les syndicats de pharmaciens sur un transfert possible de rémunération vers de nouveaux types d’honoraires. « Nos attentes ne reposent pas sur un transfert de valorisation, mais sur des revalorisations de l’ordre de 1 milliard d’euros pour les honoraires liés à l’ordonnance et à la vaccination, et la prise en compte d’honoraires sur les nouvelles missions confiées : la prescription d’antibiotiques pour les angines et les cystites, les territoires fragiles, la lutte contre la fraude et le renouvellement des ordonnances », défend le président de la FSPF.
Cette bataille de tranchées inquiète l’ensemble des acteurs du système de santé. Faute de revalorisation notable permettant d’enrayer la baisse de la rémunération, tous redoutent la fermeture de nombreuses officines, qui mettrait en péril un maillage dont le modèle était, jusqu’ici, salué comme vertueux. « Quid de l’offre de soins de proximité dans un pays qui prétend en faire une priorité, interroge l’Union nationale des pharmacies de France (UNPF), syndicat qui n’est pas à la table des négociations. Des moins de 20 000 pharmacies actuelles, combien seront encore là dans cinq ans, dans dix ans ? »
Le couperet tombera lors de la réunion plénière programmée la première semaine de mars (voir l’encadré « Un agenda serré jusqu’en mars » page XX). Lors de ce rendez-vous majeur, la Cnam devrait alors formuler ses premières propositions. Un nouveau bras de fer en perspective ?
La dispensation à l’unité : une mesure antiécologique
A mi-chemin des négociations, un autre sujet irrite fortement les représentants de la profession : celui de la dispensation à l’unité. Ce dispositif désormais inscrit dans la loi de financement de la Sécurité sociale 2024 est vanté comme l’un des remèdes possibles à la pénurie. Las !, selon les syndicats, ce dispositif se révèle, en réalité, antiécologique. « La dispensation à l’unité implique une multiplication des “boîtages” et des blisters. Elle nécessite aussi d’imprimer la notice de manière systématique », souligne Philippe Besset, président de la FSPF. Pour contourner cet écueil, d’autres propositions ont été faites comme envisager des moindres contenants. « Des boîtes constituées de sept unités d’antibiotiques permettraient de régler 90 % des situations », estime Pierre-Olivier Variot, président de l’USPO. Cette voie est notamment explorée avec les laboratoires génériques. Autre piste envisagée : la dispensation adaptée. Cette mesure consiste à délivrer uniquement les médicaments dont le patient a besoin, avec une rémunération pour le pharmacien en cas de non-délivrance. « Donner le moins possible de médicament est le meilleur moyen de limiter l’impact environnemental », note Philippe Besset. Enfin, chez nos voisins européens, la multiplication des tests rapides d’orientation diagnostique a fait ses preuves. « Aux Pays-Bas, l’usage du test CRP1, qui permet de déterminer l’origine virale ou bactérienne d’une infection, a permis de réduire de 40 % le nombre d’antibiotiques dispensés », argue Pierre-Olivier Variot. Rappelons que moins de 10 % des officines ont dispensé des antibiotiques à l’unité en 2023, selon l’Assurance maladie.
1 Protéine C réactive.
Un agenda serré jusqu’en mars
Les réunions se suivent et… ne se ressemblent pas. Chaque semaine depuis le mois de décembre, les échanges entre les syndicats et l’Assurance maladie portent sur des thématiques précises censées balayer l’ensemble des problématiques inhérentes à la profession.
– 11 janvier 2024 : modalités des dépistages angines et cystites à l’officine.
– 17 janvier 2024 : modalités d’accompagnement des patients, notamment dans le sevrage tabagique.
– 24 janvier 2024 : enjeux écologiques autour de la pharmacie.
– 1er février 2024 : évolution de la structure de la rémunération.
– 7 février 2024 : lutte contre la fraude.
– 22 février 2024 : la question des territoires fragiles.
– 29 février 2024 : pertinence de la délivrance.
Ces travaux se concluront par une séance plénière le 5 mars.
Comment rendre le métier attractif sans le valoriser ?
La FSPF a décidé de stopper les négociations portant sur les salaires et la révision des classifications censées favoriser l’attractivité des métiers de l’officine. « Une décision dictée par Thomas Fatôme qui doit prendre ses responsabilités », estime Philippe Denry, vice-président de la FSPF. En effet, selon les syndicats, la décision de revoir à la hausse les salaires n’incombe pas uniquement aux dirigeants des officines.
Les quatre principales propositions des syndicats sur la rémunération
L’ensemble des revalorisations demandées par les deux syndicats à la caisse primaire d’assurance maladie représente une enveloppe de 1 milliard d’euros. A quoi correspondent-elles ?
– Revaloriser les honoraires à l’ordonnance inscrits avec des codes actes.
– Réévaluer l’honoraire de prescription du vaccin et le rendre indépendant de l’acte d’administration.
– Créer des honoraires pour de nouveaux actes, comme celui sur la prise en charge des angines et des cystites ou le renouvellement des ordonnances.
– Mettre en place un paiement séquencé des entretiens d’accompagnement du patient.
![Salaires : un premier échec dans les négociations de 2025](https://www.lemoniteurdespharmacies.fr/wp-content/uploads/2025/02/iStock-1173338399-680x320.jpg)
![Harcèlement sexiste dans l’équipe : l’employeur doit agir immédiatement](https://www.lemoniteurdespharmacies.fr/wp-content/uploads/2025/02/harcelement-680x320.jpg)